Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XV. LETTRES – VOLUME V

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Lettres de saint François de Sales. 16

DCLIII. A la Comtesse de Tournon. Comme l'Evêque de Genève entendait réduire un délinquant à l'obéissance ; ses griefs contre une famille qui le protégeait. — Le plus grand désir du Saint. 16

Année 1611. 18

DCLIV. A M. Bénigne Milletot (Inédite). L'Evêque de Genève recommande à son ami les négociations dn vicaire général de son diocèse et lui donne des nouvelles de sa fille Marie-Marguerite, Religieuse à la Galerie. 18

DCLV. A Madame Bourgeois, Abbesse de Puits-D'Orbe. Témoignages d'affectueux dévouement. — De belles et bonnes confitures. — Deux recettes pour rétablir entièrement la santé. 18

DCLVI. A Mademoiselle Claudine de Chastel. A quelle condition les exercices de piété revigorent l'âme, même s'ils sont faits sans goût. — La variété et l'unité des sentiments ; le monde et le Ciel. — Eloge de la future Mère de Chastel, alors novice. 19

DCLVII. A la Mère de Chantal (Inédite). Ne rien regarder, ne rien aimer que dans la lumière et l'amour de Notre-Seignenr. — Un « livret » qui a besoin d'une préface pour être plus intelligible. — Communication promise pour le jour même ou le lendemain. 21

DCLVIII. A Madame de la Fléchère (Inédite). Dans quels cas il ne faut pas s'abstenir de communier. — La variété des petits accidents de cette vie et l'état immobile de la sainte éternité. — Deux nouvelles recrues pour la Visitation   21

DCLIX. A Madame de Monfort (Inédite). Félicitations à l'occasion d'une naissance. 23

DCLX. A la Mère de Chantal. La conversion de Mme de Saint-Cergues : la cérémonie se fera dans l'oratoire de la Galerie. — Pourquoi faut-il bien traiter son cœur et le « tenir en bon point. » — Ou rien, ou Dieu. — Notre amour pour Dieu, jamais suffisant, jamais excessif. 23

DCLXI. A la Présidente Favre. Convalescence de la Mère de Chantal. — La « chere grande fille. » — Quand les « embarassemens » d'une grande maison augmentent, « il faut tant plus appeller Nostre Seigneur a nostr'ayde. » — La plus grande consolation à la fin de la journée. 24

DCLXII. A M. Philippe de Quoex (Fragment). La nouvelle ruche de la Visitation. — Une maladie inconnue à Galien. — Une mère abeille « trop aspre a la cueillette. » — La Mère de Chantal et les saintes veuves de l'Eglise. 25

DCLXIII. A la Mère de Chantal. La gloire de Dieu, maîtresse et régente des affections de François de Sales. — Un défi entre deux Saints ; leur unité d'âme et de cœur. 26

DCLXIV. A M. Bénigne Milletot (Inédite). Mme de Chantal apprend la mort de son père. — Son « desplaysir » et sa « vertu » dans cette circonstance. — Eloge du défunt. — Le bruit de la future translation du saint Evêque à un autre siège n'est pas fondé. 26

DCLXV. A la Présidente Brulart. Comment connaître l'intention de Notre-Seigneur à propos d'une vocation. — L'holocauste « en effect » et l'holocauste « en affection. » — Une « hantise » indiscrète et superflue. — Il est mieux, pour une femme du monde, d'ouïr la sainte Messe tous les jours que de faire l'oraison chez soi. — Santé et sainteté   28

DCLXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Un moyen de « recreer nostre pauvre cœur. » — La Mère de Chantal est avertie de ne pas se tenir à genoux pendant son oraison. 29

DCLXVII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus Évêque de Belley. Il faut beaucoup souffrir des enfants en bas âge. — Quatre mots de saint Paul, règle des prédicateurs. — La patience et la doctrine. 29

DCLXVIII. A la Mère de Chantal. Le nom que le Saint avait d'abord adopté pour ses chères filles ; pourquoi il le changea. — Sa dévotion â sainte Françoise Romaine. — Le « petit Batiste » et « Celse Benine ». 30

DCLXIX. Au Président Antoine Favre. Les « pauvres gens d'Estrembieres ; » prière de les défendre contre leurs frères rebelles. 30

DCLXX. A la Mère de Chantal (Inédite). Un arbitrage du Saint dans une querelle entre soldats. 31

DCLXXI. A la même. Le baume et les « basses herbettes » de la Croix. — Grandeur de saint Joseph ; pourquoi pouvait-il faire envie aux Anges et défier le Ciel. — La veuve de Naïm et la mère de Celse-Bénigne. 31

DCLXXII. Au Président Antoine Favre. Compassion du Saint pour les misères du pays au printemps de 1611  32

DCLXXIII. A une dame inconnue. Le monde et ses séductions. — Mépris extrême du Saint pour la gloire. Les exigences du Créateur et celles du monde. 33

DCLXXIV. A Madame de la Fléchère. Pourquoi les petites chutes et imperfections ne doivent étonner ni l'âme chrétienne, ni son directeur. 33

DCLXXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Paris, Chambéry, réclament l'Evêque de Genève pour le Carême de l'année suivante : que le duc de Savoie décide, le Saint se conformera à son désir. 34

DCLXXVI. A l'abbe d'abondance, Vespasien Aiazza. Humble récit des commencements de la Visitation. — Pourquoi Mme de Chantal est-elle venue « a son chetif pere. » — Sa prudence et sa force virile. — Jacqueline Coste. — « Un doux et gracieux refuge. » — L'esprit et la vie intérieure des premières Religieuses. — Dévouement de François de Sales à Dieu et à son Eglise. — Pour la charité, toute peine est bien aimée. — Un Saint qui avait le don d'ouvrir les cœurs. 35

DCLXXVII. A la Mère de Chantal (Fragment inédit). Pourquoi faire ce qui est requis pour tenir sa santé un peu forte. — Ce que le Saint demandait à la Messe avec une « ardeur extraordinaire. » — Affectueux dévouement du Fondateur pour la Mère de ses chères filles. 36

DCLXXVIII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus Évêque de Belley. Recommandation en faveur d'un ancien serviteur d'Antoine Favre. 36

DCLXXIX. A M. Antoine des Hayes. Premiers projets de Denis de Granier ; son portrait. — Les jeunes gens et les difficultés. — Menaces de guerre. 38

DCLXXX. A M. Jacques de Bay. Un père de famille désire que son fils achève ses études au collège de Savoie à Louvain. — Le Saint sollicite l'admission du jeune étudiant. 39

DCLXXXI. A la Mère de Chantal. L'échange du Cœur du Sauveur avec celui d'une « benite Sainte. » — François de Sales désire pour lui et souhaite à la Mère de Chantal la même faveur. 40

DCLXXXII. Au Président Antoine Favre. Les appréhensions et les difficultés d'un voyage à Gex. — Les exigences du service de Dieu et des âmes, plus impérieuses encore. 40

DCLXXXIII. Au Marquis de Lans. Le Saint donne avis de son voyage à Gex. 41

DCLXXXIV. A Madame de Vignod, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Divin échange. — Ce qu'il est utile d'imiter dans la vie de sainte Catherine de Sienne. — Dieu seul mérite d'être servi et suivi avec passion. — La Communion fréquente et les âmes faibles. — Ce que font les bergers en Arabie. — L'obéissance assure la protection de Notre-Seigneur. 41

DCLXXXV. A la Présidente Brulart. Progrès spirituel de la Mère de Chantal. — Les tribulations et la sainteté. — Qu'est-ce qui approche Notre-Seigneur de nos cœurs. 42

DCLXXXVI. A la Présidente Favre (Inédite). L'ambition d'un prédicateur de Carême. — Les cœurs simples et humbles, et la Croix. 43

DCLXXXVII. Au Président Antoine Favre. Le Saint s'en remet à son ami pour informer le Sénat qu'il accepte l'invitation de prêcher le Carême de 1612. 44

DCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. La religion catholique à Gex ; espérance de l'y voir refleurir. — L'apostolat du Saint ; un résultat qu'il n'estime pas médiocre. 45

DCLXXXIX. A M. Jean de Chatillon (Inédite). Recommandation en faveur d'un solliciteur dans la gêne. 46

DCXC. Au grand-prieur et aux Religieux de Saint-Claude. La chrétienté de Divonne et les frais dn culte sont confiés au zèle des Religieux de Saint-Claude. 47

DCXCI. A la Mère de Chantal. Annonce du retour à Annecy. 47

DCXCII. A la même. Effusions de ferveur. — Fruit du mystère de la Pentecôte. — L'esprit de force et l'esprit de sagesse ; l'amour sacré et la souveraine Unité. 47

DCXCIII. A la même. Les armes et la devise de la Visitation. — La Congrégation est « vrayement un ouvrage du cœur de Jesus et de Marie. » — Ses armes symbolisent la soigneuse mortification du cœur, propre à l'Institut  48

DCXCIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Sollicitation de la grâce pour un coupable. 49

DCXCV. Au même. Défense du Saint contre une calomnie. — Son inviolable fidélité au duc de Savoie. — Ce qu'il a fait à Gex. — Il a déjà rendu compte de tout ce qu'il a appris discrètement sur les projets des Français. — Une proposition du sieur de la Nous. — Les Suisses catholiques et le pays de Berne. — Vains efforts des brouillons et des calomniateurs pour représenter l'Evêque de Genève « avec des affections estrangeres ». 49

DCXCVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Le rétablissement du culte à Gex et part qu'y a prise le Chapitre de Genève. — Sollicitation du placet royal pour lui annexer un bénéfice. — Petites nouvelles. — Retour à la foi d'un gentilhomme. — Pourquoi la connaissance de la vérité n'est pas toujours suivie de la conversion. 51

DCXCVII. A une religieuse. En quoi consista la rare mortification de saint Jean-Baptiste. — Facilité de l'imiter par la communion spirituelle, à défaut de la Communion réelle. — Homme céleste ou ange terrestre. — Tout nous crie : Amour, amour ! — Des dames qui « font merveilles». 52

DCXCVIII. A la Mère de Chantal. Louanges de saint Jean-Baptiste : plus que vierge, plus que confesseur et prédicateur, plus que docteur et martyr, plus qu'évangéliste et apôtre, plus que prophète et patriarche, plus qu'ange et plus qu'homme. — Ses prérogatives admirables. — Quelqu'un de plus grand encore. 53

DCXCIX. A la même (Fragment). Le mystère de la Visitation. — La très sainte Vierge en la maison de Zacharie ; effets miraculeux de sa présence. — Effusions d'humble amour pour le Verbe incarné. 53

DCC. A M. Antoine des Hayes. Assurance réciproque d'invariable amitié. — Eloge du Prieur des Feuillants et pour quelles raisons particulières il s'est fait estimer du Saint. — Rupture d'un mariage princier. — Le deuil d'un ami. — Il n'est pas accordé à l'Evêque de Genève d'aller prêcher un Carême à Paris. — La marquise de Maignelay. — Derniers jours d'un poète. 54

DCCI. A Madame de Bertrand de la Perrouse (Inédite). Les insistances d'un jeune gentilhomme. — Prudence et charité du Saint dans une affaire délicate. 55

DCCII. A la Mère de Chantal. Mgr Camus annoncé pour une exhortation à la Galerie. 57

DCCIII. Au Président Antoine Favre. Message confié à un ami 57

DCCIV. A Madame de la Fléchère. Ne rien rabattre de nos pratiques religieuses par respect humain. — Vouloir savoir d'où procèdent les sécheresses : curiosité superflue. — Nouvelles d'un Feuillant, d'un Cordelier, d'un Cistercien. — Une « bonne petite filleule » du Saint, « toute de succre ». 58

DCCV. A la Mère de Chantal. Le catéchiste de Notre-Dame. 59

DCCVI. A une dame. Le grand et l'unique bonheur d'une femme chrétienne. 60

DCCVII. A Madame de la Fléchère. Quel profit tirer des chutes. — Servir Dieu parmi les sécheresses nous est chose plus dure, selon notre goût, mais plus profitable selon le goût de Dieu. — Les « viandes seches » et les hydropiques. — Exercer la débonnaireté à tout propos et sans propos. 60

DCCVIII. A la Mère de Chantal. Souhaits à l'occasion de la Saint-Bernard. — Les vertus caractéristiques du grand Docteur, d'après saint François de Sales. 61

DCCIX. A la même. — Une vocation à contrôler. — Sujet d'oraison conseillé pour des novices à la veille de leur profession. 62

DCCX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Jubilé de Thonon, — Lorsque, par charité, l'on dérange ses exercices de dévotion, Dieu ne cesse pas d'être servi. 63

DCCXI. A Monsieur Bénigne Milletot. Une réponse claire sur trois points. — Pourquoi l'amitié de saint François de Sales pour ses amis était plus forte que la mort. — Le critère des vraies amitiés. — Une main « exquise et rare » et une matière « de mauvais lustre. » — Pour quels motifs l'Evêque de Genève déteste les contentions et disputes entre catholiques. — Il n'a pas trouvé à son goût certains écrits de Bellarmin. — La pauvre mère poule et les poussins qui s'entrebecquettent. — Adroite et charitable critique. 63

DCCXII. A la Mère de Chantal. Sollicitude pour la Mère de Chantal, alors absente de Savoie. — Les affaires : leur multiplicité ne doit pas troubler, ni leur difficulté émouvoir. — Nouvelles de Mlle de Blonay. — Sermon sur la Nativité de la très sainte Vierge. — Affection des deux Fondateurs pour la Sœur Favre. 66

DCCXIII. A la même. Comment traiter des affaires de la terre. — L'amour transforme tout. — Santé et sainteté de François de Sales. — Le moyen de parvenir. — Communauté de désirs et d'aspirations entre la Mère de Chantal et son Directeur. — La sainte Croix ; elle béatifie ceux qui l'aiment et la portent. — L'autel des crucifiés. 67

DCCXIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Eboulement à Sixt. — Détresse des habitants qui en est la suite. — Le Saint recommande ses diocésains à la charité du duc de Savoie. 68

DCCXV. A M. Michel Brisson (Inédite). Regrets de ne pouvoir accepter de prêcher un Carême à Saint-Merry. — Témoignages d'estime au destinataire qui avait transmis l'invitation. 68

DCCXVI. A la Soeur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Notre-Seigneur saura bon gré à qui porte et supporte les âmes qui se trouvent faibles. 69

DCCXVII. A la Soeur Roget, Religieuse de la Visitation (Inédite). Ce qu'il faut faire après « quelques petitz mauvais pas. » — Avoir le cœur franc envers les Supérieurs. — La « petite bienaymee Françon. ». 70

DCCXVIII. A la Mère de Chantal. Souhaits de bon et saint voyage. — Affectueux messages pour les compagnons, les parents et les amis de la Mère de Chantal 71

DCCXIX. Au Baron Amédée de Villette. A propos de la mort d'une parente : regrets, condoléances, consolations, promesse de prières. 72

DCCXX. Au Président Antoine Favre (Inédite). La cure de Saint-Sigismond en 1611 : l'ami du destinataire en mériterait une meilleure. 73

DCCXXI. A la Sœur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Un Père vigilant qui a peur d'être blâmé pour ne l'être pas assez. — Pourquoi ne faut-il pat emporter toutes les couronnes. — C'est encore de la charité que de laisser faire aux autres quelque chose. — De qui doit-on attendre l'issue des maladies. 74

DCCXXII. A M. Bénigne Milletot. La plus mauvaise façon de mal dire. — Il est presque impossible « de corriger l'immoderation moderement. » — Ce qui arrive souvent aux chasseurs. — A César ce qui est à César, mais aussi à Dieu ce qui est à Dieu. 75

DCCXXIII. A un inconnu (Fragment inédit). Des bailliages qui n'avaient pas été visités « il y a plus de cent ans. » — Bourgeois et bourgeoises de Genève aux vendanges et de quoi ils étaient étonnés, ayant ouï le Saint  76

DCCXXIV. A Dom Eustache de Saint-Paul Asseline, Feuillant. Amitié du Saint pour l'Ordre des Feuillants. — La disposition des matières dans une Somme de théologie ; moyen de rendre celle-ci « plus friande et plus aggreable. » — Les questions inutiles. — Souhaits et témoignages d'affection. 77

DCCXXV. A la Mère de Chantal. De quels principes doit s'inspirer la Mère de Chantal pour fixer la durée de son séjour en Bourgogne. — Comme le monde censure ce qui est fait pour Dieu. — Nouvelles de la Visitation. 78

DCCXXVI. A M. Philippe de Quoex. Mlle de Blonay sera la bienvenue à Annecy ; qu'elle y vienne sans attendre le retour de la Mère de Chantal 79

DCCXXVII. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève avertit le gouverneur de son départ pour Gex. 79

DCCXXVIII. A la Mère de Chantal. Ferveur nouvelle de charité et de zèle pour Notre-Seigneur. — La beauté de la foi transporte François de Sales d'amour et de gratitude ; il en voit plus clairement la grandeur, en pays hérétique   81

DCCXXIX. A M. Jean de Chatillon. Lettre d'affaires. 82

DCCXXX. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève expose au gouverneur le sujet et les résultats de son voyage à Gex. — Les commissaires, l'un « grand catholique, » et l'autre « grand heretique, » — Exécution de l'édit de Nantes à Gex. — Espérances fondées pour le prochain rétablissement du culte. 82

DCCXXXI. A Madame d'Aiguebelette (Inédite). Le meilleur témoignage de fidélité, — Souffrance et action, — La mortification par élection et par acceptation. — Quel est le vrai temps de la moisson des affections. — Alerte provoquée par la Sœur de Chastel. — L'assistance des malades dans la maison de la Galerie. — On « desseigne » à Dijon un monastère de la Visitation. 83

DCCXXXII. A la Soeur de Chastel, Religieuse de la Visitation. Encourageantes paroles à une convalescente. — Consolation que le Saint souhaite à la Mère de Chantal pour son retour à Annecy. 85

DCCXXXIII. A Madame de Menthon, Abbesse de Sainte-Catherine. Souhaits de bonne fête à une Abbesse, sa cousine. — Prédications et auditeurs du Saint. 86

DCCXXXIV. A Madame de la Fléchère. Comment témoigner la vraie fidélité à Notre-Seigneur. — Condition de la vie humaine. — Ce qui arrive entre les enfants des hommes. 86

DCCXXXV. A la Mère de Chantal (Inédite). Condescendance du Saint pour une Religieuse malade. — Promesse d'une visite à la Galerie pour le lendemain. 87

DCCXXXVI. A la même (Inédite). Une journée très occupée. — C'est Notre-Seigneur qui unit les cœurs indissolublement. 88

DCCXXXVII. A la même. Les occupations du Saint privent la maison de la Galerie de ses entretiens. — Une visite de la baronne de Thorens. — Charité délicate. 88

DCCXXXVIII. A une dame. Où se révèle l'amour pur de Notre-Seigneur et l'amoureuse fidélité à son service. — Laissons Dieu façonner notre cœur tout à son gré. — Cinq élévations propres à sanctifier les souffrances. — Pourquoi et comment faut-il recourir aux remèdes. — Profit spirituel de la maladie. 89

Année 1612. 91

DCCXXXIX. A la Mère de Chantal. Le baume sacré du nom de Jésus ; quels sont les cœurs qu'il pénètre de son parfum. — Pieuses aspirations. — Souhaits pour la Mère de Chantal. — Le mystère de la Circoncision. — Prière au « divin Poupon. » — La circoncision spirituelle. 91

DCCXL. A M. Bénigne Milletot. Souhaits de nouvel an. 92

DCCXLI. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jésus. Un « livret » dont le Saint aurait désiré avoir une copie. — Sa dévotion pour le bienheureux Pierre Favre et ce qu'il pensait de l'histoire de sa vie. 92

DCCXLII. A M. Antoine des Hayes. Bons effets que les amis du Saint attribuaient à ses lettres. — M. de Granier. — Le duc de Nemours ne désire pas céder son hôtel 93

DCCXLIII. A la Mère de Chantal. Les deux et le soleil comparés à la chair du Sauveur. — Contemplation angélique et Communion eucharistique. — Une sentence du grand saint Antoine. — Pourquoi Dieu nous abaisse et se cache   94

DCCXLIV. A Madame Françoise Bourgeois Prieure du Puits-D'Orbe. L'appui des créatures et la protection de la providence divine. — Quand il nous arrive quelque chose contre notre gré, que faire ? — Jugements et manquements qui ne sont pas mortels. — Message. 94

DCCXLV. A M. Pierre de Bérulle. M. de Marillac porteur d'une lettre de M. de Bérulle. — Sympathies du Saint pour la Congrégation de l'Oratoire. — L'hôtel du duc de Nemours n'est pas libre. — Offre de services et remerciements pour l'envoi de deux livrets. 96

DCCXLVI. A Mademoiselle Acarie. La sainte bienveillance d'une Bienheureuse pour l'Evêque de Genève. — Pourquoi aurait-il désiré faire le voyage de Paris ? — Sentiment de François de Sales sur l'Oratoire naissant ; regrets de n'avoir pu prêter son concours à M. de Bérulle. — Souhaits pour la nouvelle Congrégation. 97

DCCXLVII. A la Mère de Chantal. Entre les deux Fondateurs, il n'y avait « ni second, ni premier. » — Modèle d'exhortation destinée à des prétendantes avant leur vêture. — Ce qu'on enseigne aux Novices. — Sœur Jeanne-Charlotte de Bréchard leur maîtresse ; obéissance qu'on lui doit. — Une illusion que les Novices ne sauraient avoir. 98

DCCXLVIII. A la même. Le très grand saint Paul. — Un désir du Saint. — Pourquoi Dieu soustrait ses douceurs. — Prière à Jésus. — A quelle classe de personnes la douce charité profite davantage. 99

DCCXLIX. A la même (Billet inédit). Une résolution finale à prendre pour l'emplacement de l'oratoire de la Visitation   99

DCCL. A la même. Un remède souverain : les prières de la Mère de Chantal et la relique de sainte Apolline. — Preuve sensible de la communion des Saints. 101

DCCLI. A la Présidente Brulart. Ce qui rend profitable la nourriture corporelle et spirituelle. — Sentiments d'humilité proposés à une âme privée de la Communion fréquente. — Sentir qu'on est tout à Dieu et « en train de l'orayson » ne dispense pas de s'exercer aux vertus et de mortifier ses passions. 101

DCCLII. A la Reine Mère, Marie de Médicis (Minute). L'ambassadeur de l'Evêque de Genève et du petit peuple catholique de Gex auprès de la reine mère. 102

DCCLIII. A M. Jean de Chatillon. Une pauvre demoiselle recommandée à la Sainte-Maison de Thonon   102

DCCLIV. A M. Philippe de Quoex. Zèle de la Mère de Chantal et du Saint pour la conversion d'un médecin. Brebis errantes et troupeau fidèle. — Préoccupations et résignation du Fondateur de la Visitation. 103

DCCLV. Au Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus (Fragment). Grave maladie de la Mère de Chantal. — Une oraison prolongée et répétée sur la troisième demande du Pater. — La résignation et la confiance d'un Fondateur. 104

DCCLVI. A Madame de Saint-Cergues. Les amitiés qui ont Dieu pour auteur, et la distance des lieux. — Une occupation agréable et précieuse pour l'Evêque de Genève. 104

DCCLVII. A Sa Saintete Paul V (Minute). A quoi servent les canonisations ; le Saint les jugeait presque nécessaires pour le temps où il vivait. — Il demande au Pape de canoniser le bienheureux Amédée ; motifs qu'il fait valoir en faveur de sa supplique. 105

DCCLVIII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation. Questions et conseils. — Comment « la grande Fille » du Saint devait gouverner son cœur et l'encourager souvent. — Le souverain bonheur de l'âme. 108

DCCLIX. A Madame de Peyzieu (Inédite). Une mère du Saint, par alliance spirituelle. — Compliments et paroles d'affection. 108

DCCLX. A Monseigneur Anastase Germonio Archevêque de Tarentaise. La controverse sur le pouvoir temporel des Papes et l'autorité des Conciles. — De quel côté penchent les parlementaires et les hommes d'Etat. — Esprit et tendance du siècle. — Un remède plus efficace que les discussions des théologiens. — Ce que doivent faire les prédicateurs. — L'entente des Prélats, de la Sorbonne et des Religieux, bientôt mortelle à l'hérésie. — Moyens de ménager cette union. 110

DCCLXI. A la Présidente Brulart. Une solution également difficile et inutile. — Etat des esprits en 1611 et en 1612. — Zèle que le Saint jugeait inopportun. — Dangers de certaines discussions agitées par des docteurs incompétents. — Souveraine autorité spirituelle du Pape ; droits qu'elle lui confère. — Devoirs corrélatifs des chrétiens envers le Pape et l'Eglise. — Triple alliance qui doit exister entre le Pape et les rois. — Les deux autorités ne se contrarient pas, mais « s'entreportent l'une l'autre. ». 113

DCCLXII. A la Mère de Chantal. La plus heureuse salutation qui fut jamais. — Les souhaits de l'Ave Maria  115

DCCLXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête en faveur d'un prisonnier innocent. 116

DCCLXIV. A la Mère de Chantal. L'insensibilité spirituelle : en quoi consistait cette épreuve pour la Mère de Chantal. — Conseils appropriés. — Le haut point de la sainte résignation. — Les ténèbres au pied de la Croix. 116

DCCLXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique du Saint au nom d'un gentilhomme qu'il avait assisté à ses derniers moments. 118

DCCLXVI. A M. Antoine des Hayes. Le nid du Saint. — Messages et nouvelles. 119

DCCLXVII. A M. Claude de Quoex (Inédite). « La pauvre dame Jaqueline. » — Dureté de M. Gilette. — Le P. de Bonivard, S. ]., prédicateur du Carême à Annecy. — Contentement mutuel du Religieux et du bon peuple annécien. — Affluence des Chambériens aux sermons de saint François de Sales. 120

DCCLXVIII. Aux Religieuses de la Visitation d'Annecy. Pourquoi saint François de Sales se résignait à vivre en ce misérable monde. — Abeilles mystiques et mouches libertines : le bonheur et les exercices des unes et des autres mis en parallèle. — Un festin plus délicieux que celui d'Assuérus. — Les spirituelles saillies sur les collines de Calvaire, d'Olivet, de Sion, de Thabor. — Bonheur de la vie religieuse. 120

DCCLXIX. Au Baron Bernard de Chevron. Envoi d'une lettre d'affaires. 122

DCCLXX. A M. Claude de Quoex. Le Saint s'emploie pour obtenir l'expédition d'un procès. 122

DCCLXXI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Cent mille bonjours. 123

DCCLXXII. A la même. Visite promise ; visite annoncée. 123

DCCLXXIII. A Madame de Maillard ancienne abbesse de Sainte-Catherine. Recommandations pour la Sœur de Vignod. — Notre-Seigneur est jaloux des âmes qu'il favorise. 124

DCCLXXIV. A la Mère de Chantal (Inédite). Charité attentive et minutieuse du Saint pour la Mère de Chantal. — Le régime d'une convalescente. 124

DCCLXXV. A M. Bénigne Milletot. Le Saint revendique son droit, qui était contesté, de conférer les bénéfices dans certaines paroisses situées en France. 125

DCCLXXVI. A Madame de la Fléchère. L'aveuglement des duellistes ; pourquoi et comment le Saint en avait une grande compassion. 125

DCCLXXVII. A Madame de la Valbonne (Fragment). Quels sont ceux que le Sauveur n'abandonne jamais. Un nouveau filleul du Saint. 127

DCCLXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pourquoi le Saint désire obtenir l'agrément du duc de Savoie pour les prédications qu'on lui demande à Lyon. 128

DCCLXXIX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). — « Nostre fievre » et « nostre teste. » — Les bonnes dispositions des syndics pour les agrandissements de la Visitation. 128

DCCLXXX. A la même (Fragment inédit). Une postulante qui avait de la répugnance pour l'abjection ; comment traiter avec elle. 129

DCCLXXXI. A la même. Beauté du Ciel après l'Ascension du Sauveur. — Aspirations pieuses. — La seule chose qni donne du prix à l'éternité des biens, d'après saint François de Sales. — La glorification du corps de Notre-Seigneur et de notre corps. 129

DCCLXXXII. Aux éminentissimes Cardinaux de la Sacrée Congrégation des Rites(Minute). L'une des opinions maudites de Calvin. — Dévotion des catholiques de Savoie au bienheureux Amédée. — Pourquoi les membres de la Sacrée Congrégation des Rites doivent faire avancer sa canonisation. 130

DCCLXXXIII. A Dom Pierre de Saint-Bernard de Flottes Feuillant. Un grand désir du Saint. — Envoi d'un ouvrage. — Les PP. Capucins en Savoie. 132

DCCLXXXIV. A Monseigneur Pellegrino Bertacchi Évêque de Modène. Renseignements demandés sur un étranger apostat, en faveur de sa femme convertie. 132

DCCLXXXV. Au Chanoine aimé rouge, sous-prieur de Peillonnex. Renseignements fournis sur un jeune prêtre. 134

DCCLXXXVI. A Madame de Cornillon, sa sœur. Une prétendante « de fort bonne famille et de tres bonne mine. »   134

DCCLXXXVII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe (Inédite). Condoléances et consolations. — Le seul prix de cette vie mortelle. — Pour mourir, tous les moments sont « heureux » à ceux qui craignent Dieu. — L'Abbesse désire faire un voyage en Savoie ; le Saint ne sait ni le lui conseiller, ni l'en dissuader. 134

DCCLXXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements pour une grâce obtenue. 136

DCCLXXXIX. A Monseigneur Michel d'Esne, Évêque de Tournai (Inédite). L'Introduction à la Vie devote attire à son auteur les louanges d'un Prélat étranger. — Gratitude du Saint. — Son oraison pour Genève. — Remerciements pour un envoi de traductions. 136

DCCXC. A M. Claude Dupanloup, Curé de la Muraz. Le saint métal et la dévotion à saint Théodule. 137

DCCXCI. A la Mère de Chantal. La rose, symbole des vertus de saint Jean-Baptiste. — Son amour pour la Sainte Vierge et son Enfant. — Deux lis dans une rose. 137

DCCXCII. A Messieurs les Chanoines de Saint-Jean de Lyon (Minute). Le Saint voudrait bien accepter l'invitation du Chapitre, mais à cause du silence du duc de Savoie, il se dégage de sa promesse. 139

DCCXCIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un gentilhomme offensé qui demande justice. 140

DCCXCIV. A Madame de la Fléchère. Les Constitutions de la Visitation. — Messages variés. 140

DCCXCV. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Une bonne fille qui ne pourra pas être si tôt consolée. « Le livret » que prépare le Saint. 141

DCCXCVI. A Madame de Travernay. Ce qui donnait à François de Sales « un particulier contentement. » — Pourquoi et comment les tracas sont utiles au progrès spirituel. — Un sentiment qui rend légers tous les déplaisirs. 141

DCCXCVII. A l'Archiduc d'Autriche, Albert VII. Supplique en faveur de l'établissement d'un monastère à Saint-Claude. — Le sort ordinaire de ceux qui recherchent l'intimité de Dieu. — Comment les âmes qui prient servent leur pays et leur époque. 143

DCCXCVIII. A la Mère de Chantal. Un bonjour du « grand saint Pierre. » — La délivrance des liens spirituels. — « Mignardise d'amour » de Notre-Seigneur. — La marque de l'amour fidèle. — Il faut mourir ou aimer. — « Une jolie pensee. » — Les jeunes apprentis et les vieux maîtres en l'amour de Dieu. — Où tendait l'amitié mutuelle qui unissait l'ime du Saint et celle de la Mère de Chantal 144

DCCXCIX. Au Marquis de Lans. Rentré à Annecy, l'Evêque de Genève rend compte de ses négociations dans le pays de Gex. — Eloge d'un commissaire. — Sentiments des Genevois. 145

DCCC. A la Reine Mère, Marie de Médicis (Minute). Remerciements à la reine régente et souhaits pour son fils et pour elle, en retour de son intervention pour le rétablissement du culte à Gex. 146

DCCCI. A un gentilhomme. La mort d'une fille spirituelle du Saint, âme « belle et devote ». 147

DCCCII. A la Mère de Chantal. L'aube du jour éternel. — Souhaits pour la petite Congrégation. — Un sentiment fort particulier qu'éprouve le Saint la veille de l'Assomption. — La divine Fruitière. — En descendant de chaire   148

DCCCIII. A M. Antoine des Hayes. Par « humeur », le Saint aime la discrétion. — Service demandé en faveur du Chapitre de Genève. — Phénomènes célestes. 149

DCCCIV. A la Mère de Chantal. Avis charitable. 150

DCCCV. A Madame de Genève, abbesse de Baume-Les-Dames (Inédite). Offre conditionnelle d'une postulante, fille de Gallois de Sales. — Ce qui rebutait quelquefois les prétendantes à la Visitation. — Portrait de la nièce du Saint. 150

DCCCVI. Au Baron Amédée de Villette. Le regard des princes et les rayons du soleil. — « Petite harengue » présentée à une Abbesse. — Une cousine du Saint lui dit « son petit cas » : pourquoi elle ne songeait pas à la Visitation   152

DCCCVII. A M. Claude de Blonay. Le voyage de Milan n'est plus désespéré. — Un Saint qui a soin de ses dévots. — Plan du voyage ; compagnon à retenir. 153

DCCCVIII. A Madame de Travernay. Comment accommoder les prières avec beaucoup d'occupations du matin jusqu'au soir. — Les oraisons jaculatoires. — Les afflictions du cœur. — Quelles sont les âmes que Dieu aime. 153

DCCCIX. A la Mère de Chantal. Une âme à consoler. 154

DCCCX. A M. Antoine des Hayes. Une amitié à l'abri de toute défiance. — Pourquoi, dans l'intention de prêcher à Saint-Benoit, le Saint préparait « un cœur tout nouveau, » après dix ans de ministère épiscopal. — Opposition résolue du duc de Savoie anx prédications de François de Sales à Paris, — Perplexités d'un évêque. 154

DCCCXI. A M. Jacques de Bay. Recommandations en faveur de trois étudiants de Savoie. — Nouvelles religieuses  156

DCCCXII. A la Mère de Chantal. Une jeune fille écartée de la Visitation pour cause de maladie. 156

DCCCXIII. Au Baron Amédée de Villette. La contagion au-pays de Vaud. — La petite cousine aimée tendrement de la Mère de Chantal 158

DCCCXIV. A Madame d'Escrilles. Affection des Religieuses de la Galerie pour la destinataire. — Les satisfactions sèches et les consolations savoureuses. — Messages. 159

DCCCXV. A Madame de la Fléchère. Ce que réservait le Saint dans ses demandes à Dieu. — Petites nouvelles. — Annonce du départ de la Galerie. 160

DCCCXVI. A Madame de Grandmaison. Comment le Saint entend témoigner sa sainte amitié. — Messages divers. 161

DCCCXVII. A Madame de Peyzieu. Le nom du cœur. — Les consolations du Jubilé. — Témoignages d'amitié pour la destinataire et sa famille. — Affliction fâcheuse et affliction courageuse. — La modération des affections ménagères, grandement utile à la piété. — Une imperfection dont peu de gens s'abstiennent. — Les cœurs faibles et les cœurs forts. 162

DCCCXVIII. Au Marquis de Lans. Intercession en faveur d'un capitaine dans la gène et dans la vieillesse. 163

DCCCXIX. A la Sœur de Blonay, Novice de la Visitation. Ce qui rend certaines tentations inoffensives. — La petitesse et l'enfance spirituelle. 163

DCCCXX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Annonce de visiteuses. 165

DCCCXXI. Au duc de Bellegarde (Minute). Menaces et prétentions des pasteurs protestants. — Précaution que propose l'Evêque de Genève pour les atténuer. — Eloge de M. Millelot. 166

DCCCXXII. A M. Gilles le Mazuyer. L'église de Gex ; espérances qu'elle donne. — Une difficulté et une impossibilité se rencontrent dans les lettres de naturalité obtenues pour les curés. — Une « viande friande » au XVIIe siècle. — Remerciements du Saint. — Il ne fait pas le « refuseur, » mais jamais il ne sera « praetendeur. » — Les francs serviteurs de Dieu, peu nombreux. 166

DCCCXXIII. A M. Antoine des Hayes. Requête de François de Sales. — A la diète de Bade. — Obstination des Bernois. — Un déplaisir du Saint. 168

DCCCXXIV. A la Présidente Favre. Une âme qui va bien. — L'amour de Dieu et la paix. — Les voies du Ciel. — Précaution contre les « babillardz ». — Ce que pensait le Saint des Ursulines et des institutrices chrétiennes. — Les entreprises extraordinaires qui ne sont pas hasardées. — Un monastère de seize bonnes filles, où rien n'abonde ni ne manque. — La pauvre Thiollier. 169

DCCCXXV. A Madame d'Escrilles. Nouvelles de la Mère de Chantal. — Oratoire de la Visitation. 170

DCCCXXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Affectueuse gronderie. — La Mère de Chantal au milieu des tracas d'une installation. — Pourquoi doit-elle garder ses forces. 171

DCCCXXVII. A Madame de la Fléchère. Les bancs des femmes dans les chœurs des églises. — Elles peuvent toutefois y entrer. — Nouvelles de la Mère de Chantal et de la Congrégation. — Pourquoi il est mieux d'avoir moins. 171

DCCCXXVIII. A la Présidente Favre (Inédite). Les Ursulines et les petites filles de Chambéry. — Un défaut de l'éducation maternelle, assez fréquent, d'après le Saint. 172

DCCCXXIX. A M. Claude de Neuvecelle. Recommandation réitérée en faveur d'une pauvre fille. 172

DCCCXXX. A la Mère de Chantal. Comment recevoir les remèdes imposés par l'obéissance et la raison. — Les croix qui répugnent aux sens et à la nature. — Dans la maladie, la Mère de Chantal doit être « brebis » et « colombe »   174

DCCCXXXI. A la même. Une auditrice que François de Sales a vue au sermon ; pourquoi il n'a pas osé l'aborder. — Un sermon « fait hardiment et passionnement. » — Le dixième anniversaire d'un sacre. — Prédicateurs de l'Avent  174

DCCCXXXII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe. Un voyage en Bourgogne empêché par un voyage à Turin. — Pour s'avancer dans l'amour de Dieu, une jambe infirme est meilleure que l'autre. 175

DCCCXXXIII. A Madame de Peyzieu. A propos du dernier et du premier jour de l'an. — Souhaits de piété. — Exhortation à la douceur et humilité. — Le saint nom de Jésus et « l'odeur de son parfum ». 175

DCCCXXXIV. A la Reine Mère, Marie de Medicis (Minute). Requête en faveur des catholiques de Gex, pour obtenir en leur ville le rétablissement d'un ancien monastère de Carmes. 177

DCCCXXXV. A la Mère de Chantal (Inédite). Une mère alarmée. — Avis charitable donné à un visiteur inopiné   178

DCCCXXXVI. A une dame (Fragment inédit). La dévotion et la maladie. — En quoiconsiste et ne consiste pas l'amour divin. 178

DCCCXXXVII. A Madame de la Fléchère. Les solides consolations. — La crainte et l'amour devant Dieu. — L'émondage spirituel. — Condition d'une parfaite retraite. 178

DCCCXXXVIII. A la Mère de Chantal. L'oraison de la Mère de Chantal trouvée bonne par le Saint et agréable à Dieu. — Pourquoi et comment doit-elle se garder des fortes applications de l'entendement. — Se tenir en la présence de Dieu et s'y mettre : deux choses différentes. — Allégorie de la statue dans sa niche. — Marie-Madeleine. — Bonheur de vouloir aimer Notre-Seigneur. — Le sommeil empêche-t-il de se tenir en la présence de Dieu ?. 180

DCCCXXXIX. A la même. D'où vient l'amertume spirituelle. — Jésus-Christ est un Dieu de douceur. 181

DCCCXL. A la même (Fragment). La parole de Dieu et comment il faut la recevoir des uns et des autres  181

DCCCXLI. A Madame de la Fléchère. La tristesse des séparations. — Pleurons un peu, non toutefois beaucoup, « nos chers trespassés. » — Les âmes chrétiennes doivent supporter doucement la perte des parents. — L'oraison et la variété des affections qui viennent t'y mêler. — Particulariser les résolutions. — Le langage des yeux. 182

DCCCXLII. A la Mère de Chantal. Un visiteur annoncé. — Pourquoi il faut lui faire un accueil dévotement agréable. — Personne ne se repentira d'avoir aidé la Visitation. 182

DCCCXLIII. Au duc de Bellegarde (Minute inédite). Gratitude et humilité du Saint. 184

DCCCXLIV. A la Mère de Chantal. Lumières et sentiments que recevait le Saint pour écrire le Traitté de l'Amour de Dieu   185

Année 1613. 186

DCCCXLV. A Madame de Travernay. Attitude de l'esprit humain en face des évènements. — Considérations sur une mort prématurée. — Notre-Seigneur meilleur juge que nous de nos intérêts. — Consolations à la mère de l'enfant devenu un «brave petit saint». 186

DCCCXLVI. A la Mère de Chantal. Le cœur de l'Evêque de Genève. — Un projet de Congrégation. — Le Traitté de l'Amour de Dieu. — Nouvelle de la mort tragique du baron de Lux : compassion du Saint. 187

DCCCXLVII. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex (Inédite). Pouvoirs donnés à un curé ; avis et recommandations diverses. 187

DCCCXLVIII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Assurance de dévouement. — Souhaits et bénédictions  188

DCCCXLIX. A M. Jean de Chatillon. Recommandation en faveur d'un nouveau converti digne d'assistance   189

DCCCL. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet (Fragment). Les sentiments que le Saint aimait à trouver dans une postulante. — A la Visitation, « toutes choses sont basses, » excepté « la pretention » des Religieuses qui l'habitent. 190

DCCCLI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Remerciements pour de beaux présents ; le Saint en a fait part à ses amis. — Un plaisir interdit. — Souhaits et message. 191

DCCCLII. A une dame. Dans quelles vues de foi il faut considérer les absences et les séparations définitives. 192

DCCCLIII. A Madame d'Escrilles. Affaires diverses. — Parmi les tracas temporels, il faut garder la sainte tranquillité et douceur de cœur. 192

DCCCLIV. A la Mère de Chantal. Un contrat qui va bien. — Promesse d'une visite et annonce d'une visiteuse   193

DCCCLV. A la même (Billet inédit). Mesures à prendre à l'ouverture d'un testament. — Décès de Mme de Miribel 193

DCCCLVI. Au Père de Lesseau, Religieux Célestin. Le Saint décline les louanges d'un poète avec une discrète humilité. 194

DCCCLVII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe. Solidité des affections plantées de la main de Dieu. — Intérêt que porte le Saint au Puits-d'Orbe. — Il faut faire souvent revivre les résolutions prises au temps de la ferveur. — Messages divers. 194

DCCCLVIII. A M. Claude de Blonay. Le destinataire n'ayant pas eu à se louer de son fils, « excessif en desseins, » le Bienheureux promet d'y porter remède. — Messages divers. 195

DCCCLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pourquoi le Saint n'a rien entrepris contre l'abbé de la Tour. — Qu'on lui donne des commandements, il obéira. 196

DCCCLX. A Madame de la Croix d'Autherin. La vocation du mariage et le moyen d'y devenir fort sainte. — L'obéissance au confesseur. — Règlement de vie. — Conseils variés. — La crainte des vices et l'amour des vertus. — Douceur et humilité. — Une besogne que Dieu paie de mille consolations. 196

DCCCLXI. A M. Claude de Blonay. Le Saint renonce par charité à la consolation d'avoir un ami pour compagnon de pèlerinage. — Voyage à Turin, à pied ou à cheval, suivant les circonstances. 197

DCCCLXII. A M. Antoine des Hayes. Détails rétrospectifs sur l'affaire Berthelot et l'internement de M. de Charmoisy. — Conseils adressés à Philothée par l'entremise du destinataire. — Le Saint désirerait avoir la liberté d'aller à Paris l'année suivante. 199

DCCCLXIII. A Madame de Charmoisy. Quand doit-on témoigner à Notre-Seigneur son amour. — Sympathies et dévouement pour la famille de Charmoisy éprouvée. 201

DCCCLXIV. A la Mère de Chantal (Fragment). Les embarras d'un héritage. 202

DCCCLXV. A la même. Une chape vraiment belle : d'où lui vient sa beauté ; symbolisme des dessins qui la décorent. — Bénie soit la main de la brodeuse. 202

DCCCLXVI. A la même. Le travail permis à la Mère de Chantal deux jours chômés. — Souhait et espérance du Saint. — Un visage pâle et un cœur vermeil 203

DCCCLXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Dévouement du Saint pour M. de Charmoisy. — Malice de ses ennemis et crédulité du prince de Nemours. — Berthelot et M. de Servette. 203

DCCCLXVIII. A M. Claude de Quoex. — Renseignements pour une dispense de mariage à obtenir. 204

DCCCLXIX. A la Mère de Chantal (Inédite). Une halte en Maurienne. — Sollicitude du Saint en voyage   204

DCCCLXX. A la même. Comment attendre l'issue d'une maladie. — Dans quels sentiments faut-il sortir de cette vie et acquiescer à la Providence divine. 205

Minute écrite par saint François de Sales pour Madame de Saint-Cergues. 207

DCCCLXXI. A Madame Dufour. Mme de Saint-Cergues expose les raisons de son abjuration. — Après la grâce du Saint-Esprit, la confession de foi catholique a surtout dessillé ses yeux : elle a vu Jésus-Christ, unique objet de foi, d'espérance et de charité, l'exclusion de toute idolâtrie, le culte raisonnable des Saints. — Une « pauvre petite brebiette » se réunit au troupeau. — La lumière n'est pas toujours accompagnée de la facilité pour déduire les raisons de la croyance. 207

DCCCLXXII. Au Cardinal Anne de Pérusse d'Escars de Givry (Inédite). La Sainte-Maison de Thonon. — Les Carmes réformés de Paul V. 208

Appendice. 211

I. Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants. 211

A. Lettre du Baron de Lux. 211

B. Lettre du Prieur et des Religieux de Saint-Claude. 212

C. Lettre du Père Jean de Villars de la Compagnie de Jésus. 213

D. Lettre de Madame de Saint-Cergues. 214

E. Lettre de D. Sens de Sainte-Catherine, Feuillant. 215

F. Lettre de M. Jean-Louis de Chevron, Seigneur de Bonvillard. 216

G. Lettre de Mgr Michel d'Esne, Évêque de Tournai 216

H. Lettre du Chevalier Claude de la Verchère. 217

II. Pièces diverses. 219

A. Saint François de Sales et Mgr Germonio. 219

B. Lettre de M. Antoine des Hayes A M. de Charmoisy. 219

C. Les Grands Pardons d'Annecy. 220

Jesus Christus, Filius Intemeratæ Virginis Mariæ.. 221

Du jeudy, sixiesme septembre mil six cens douze. 221

Description du parement de l'Eglise de Nostre Dame. 223

Description de l'autre porte de l'entree de l'Eglise de Nostre Dame et par laquelle la procession est entree   224

Description du portail dressé devant la trille de fer de la chappelle de Nostre Dame avec la parure de l'autel d'icelle. 224

Description de l'oratoire dressé au jubé, sçavoir pres le crucifix. 225

Du vendredy, septiesme septembre, jour et feste de sainct Gras. 227

D. Lettre de M. Louis de la Tournette a M. Crotti 228

 

 

Lettres de saint François de Sales

 

 

DCLIII. A la Comtesse de Tournon. Comme l'Evêque de Genève entendait réduire un délinquant à l'obéissance ; ses griefs contre une famille qui le protégeait. — Le plus grand désir du Saint.

 

Annecy, 9 septembre 1610.

 

            Madame,

 

            Dieu sçait que le desir duquel je suis pressé de faire chastier messire Nicolas Nacot, n'a point d'autr'origine qu'en mon devoir, qui m'oblige de reduire a l'obeissance ceux qui la doivent et la refusent a l'authorité que je tiens. Que si ledit Nacot eut comparu estant [1] appellé, il y a long tems que son innocence, sil en a, auroit esté honnorablement appreuvee. Mais de ne vouloir pas seulement comparoistre et me vouloir dire ses raysons teste a teste, sans autre reconnoissance de son devoir qu'en paroles, c'est chose que je ne puis estimer raysonnable.

            Au demeurant, Madame, je ne puis non plus penser pourquoy vous tenes pour rigoureuse la poursuite faite contre cet homme lâ, puisqu'il y a plusieurs moys qu'il va mesprisant toutes citations impunément. Et encor suis-je plus estonné dequoy vous me tenes pour ombragé contre monsieur vostre mari, et me dites que beaucoup d'indices ne luy en ont donné que trop de connoissance ; car, en vray (sic) verité, je me suis tous-jours tenu pour fort honnoré de la bienveuillance que, de sa grace, il m'a portee. Et si mon impuissance et insuffisance ne m'a pas permis de la cultiver par mes services, ma connoissance pourtant ne m'a jamais permis de demeurer sans une tres forte affection de correspondre a cette faveur par tous les tesmoignages qu'il me seroit possible. Aussi, Madame, vous ne me marques que cette languissante, mais que neanmoins il vous plait d'appeller rigoureuse procedure ; et moy, pourveu que vous me permettiés de me defendre un peu librement contre vous, je vous diray que si le nœud du devoir que j'ay a monsieur vostre mari et a vous se pouvoit desfaire, vous m'auries tous deux grandement des-obligé en deux occasions.

            L'un'est quand, sciemment, vous fistes prendre la licence de faire le mariage de monsieur et madame de Monthouz vos enfans, laquelle, pour un si grand empeschement, nous ne pouvions donner qu'abusivement. Mais, comme pouvoit-on ne faire pas ce qui estoit desiré d'un si bon lieu ? Or, Madame, je serois extremement [2] desplaysant si, sur la bienveuillance delaquelle vous me gratifiés, j'avois pensé seulement a tirer de vous chose qui vous deut donner le moindre repentir du monde, et jugerois de vous avoir grandement offencé si je l'avois fait esciemment.

            L'autre fois, Madame, ça esté quand vous aves entrepris de soustenir la des-obeissance de cet homme d'Eglise pour lequel vous m'escrivés ; car de maintenir sa cause, au fond de l'affaire, vostre charité seule, sans autre consideration, vous en pouvoit donner une juste volonté. Mais ne vouloir seulement pas quil responde et se represente quand il est appellé, et vouloir encor que je sois condamné de rigueur et d'infidelité si je ne treuve bon cela, il me semble que c'est la rigueur mesme et que, tacitement, on prefere ce prestre et son injuste repos a l'authorité en laquelle je suis, et que, sans violer mon devoir, je puis vouloir en fin le ramener a la bergerie et sous la houlette.

            Ce pendant, Madame, je veux bien attendre encor quelque tems avant que de faire aucunes poursuites, pour apprendre de vous mesme, puisque vous me faites esperer le bien de vous voir si tost, les raysons de ce venerable personnage. Que si elles sont telles que je me doive humilier, je le feray de bon cœur ; mais si aussi il se treuve raysonnable qu'il s'humilie sous la justice que je fay exercer, je vous supplieray de ne point employer l'authorité de vostre bienveuillance pour l'en exempter, contre la necessité de ma charge.

            Je me res-jouys que Sa Sainteté ayt ouctroyé le [remède] requis au mal de l'action que fit messire Nacot, et seray encor plus ayse quand je sçauray quil aura esté legitimement appliqué ; car, honnorant tres cherement monsieur vostre mari et vous, Madame, comme je fay et feray toute ma vie, je desire que tout ce qui vous est praetieux vive entre les benedictions caelestes et que rien ne demeure jamais en vostre mayson qui les en puisse divertir. Madame, j'ay de l'affection et de lhonneur pour monsieur vostre mari, pour vous et pour les vostres autant que vous sçauries souhaiter d'homme qui vive ; [3] mais le plus grand desir que je face, c'est que jamais Dieu ne soit abandonné, non pas mesme pour un moment.

            Je le supplie donq quil vous conserve tous, quil vous prospere et benisse de ses plus grandes faveurs ; et vous, je vous conjure, Madame, faites moy le bien de me croire fermement,

Vostre plus humble serviteur et parent,

FRANÇS, E. de Geneve.

            9 septembre 1610, a Neci.

            A Madame

            Madame la Contesse de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin. [4]

 

Année 1611

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DCLIV. A M. Bénigne Milletot (Inédite). L'Evêque de Genève recommande à son ami les négociations dn vicaire général de son diocèse et lui donne des nouvelles de sa fille Marie-Marguerite, Religieuse à la Galerie.

 

Annecy, 3 janvier 1611.

 

            Monsieur,

 

            L'honneur que j'ay d'estr'aymé de vous, servira de [simple] praeface a ma supplication, laquelle je vous [5] fay [d'estre] favorable protecteur de ce porteur, frere de monsieur le premier President de Savoye et mon Vicayre general, pour les affaires qui le tirent vers vous, qui sont parties siennes et parties miennes ; mais, a mieux dire, siennes et miennes tout ensemble, puisque luy mesme est mien par une longue et bonn'amitié.

            Au demeurant, nostre bonne fille se porte mieux icy que nous n'eussions presque sceu esperer ; ell'a bien eü un petit acces de fievre ces jours passés, mais ce n'a esté que cela. Ce qui est le plus, c'est qu'ell'est toute pleyne de vraye bonté et pieté, qui la rend uniquement chere a toutes ses Seurs. Dieu luy donne la sainte perseverance et vous conserve longuement, Monsieur, selon le souhait de

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            3 janvier 1611.

            A Monsieur

            Monsieur Milletot,

            Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire d'Autun. [6]

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DCLV. A Madame Bourgeois, Abbesse de Puits-D'Orbe. Témoignages d'affectueux dévouement. — De belles et bonnes confitures. — Deux recettes pour rétablir entièrement la santé

 

Annecy, 4 janvier 1611.

 

            Si vostre lettre m'a comblé de joye, je le demande a mon cœur, qui a esté tout absorbé de consolation voyant et la souvenance que vous aves de moy et l'honneur que vous continues de me faire en m'aymant, mais tendrement et cherement, comme vous me le tesmoignes. Mais que puis-je faire ni dire, ma tres chere Seur, qui puisse dignement vous satisfaire sur ce sujet ? Je confesse ingenuement que je suis vaincu, et que, comme vous me devances infiniment de toutes partz, vous le faites tres particulierement en celle-ci, de me rendre les devoirs et les tesmoignages d'amitié pour celle-la avec laquelle je vous ayme. Je la sens si grande, si forte et si fidelle qu'il ne me semble pas qu'aucun autre me puisse devancer de ce costé ; mais je ne sçai comme mon malheur a voulu que je vous en aye rendu si peu de preuves cette annee passee. Il faut, ma chere Seur, l'attribuer aux occasions qui ne s'en sont pas presentees, et non jamais a nulle sorte de mesconnoissance des obligations que je vous ay, qui sont indicibles, puis qu'elles ne sont pas comprehensibles.

            Croyés, ma tres chere Seur, que mon cœur est fraternellement amoureux du vostre, et que si j'avois la commodité d'assouvir ses desirs, je serois bien tost en vostre solitude, laquelle, vous dites, je redoute pour son aspreté, mais laquelle j'ayme precisement pour mille sujetz, mais principalement pour l'amour de vous, qui, par vostre presence, me l'avés rendue ci devant plus douce et plus aggreable que ne furent jamais les plus delicieuses conversations des villes. [7]

            Il ne faut pas oublier de dire quatre motz, avant de finir, de la chere seur qui a manqué de nous estre ravie ces jours passés par un brave et galant gentilhomme qui la recherchoit en mariage. Je seray tous-jours extremement ayse de son contentement ; mais quand il sera de n'estre point mariee, cette joye redoublera en moy. Mon Dieu, ne nous verrons-nous jamais tretous ensemble ? J'en suis un peu, a dire vray, impatient ; mais je ne croy plus qu'elle m'ayme, puisque non obstant que je luy escrivisse dernierement, je n'ay point de ses nouvelles que par vostre entremise. Or sus, si ne laisseray-je pas de luy escrire.

            Vous connoistres bien, ma tres chere Seur, par la longueur de cette lettre, le playsir que j'ay de le faire et de m'entretenir avec vous ; mais il n'y a remede, vostre charité me pardonnera. Je n'ay pas tous les jours le bien de vous pouvoir entretenir ; quand j'en ay la commodité, il s'en faut prevaloir. Je ne vous parle point de [mon frere] ni de madame de Chantal ; ilz vous escrivent tretous.

            Vous me dites sur la fin de vostre lettre je ne sçai quoy de vos belles et bonnes confitures, et desquelles, estant avec vous, j'ay si abondamment usé. Mais, ma chere Dame, vous estes, avec la petite seur, la souveraine friandise pour m'attirer par devers vous, tout le reste n'est qu'accessoire ; ces deux personnes que je viens de nommer sont le principal.

            Il faut finir en vous recommandant le soin de vostre santé, avec la joye interieure et la recreation exterieure, qui vous serviront pour un entier restablissement. Faites-le, ma chere Seur, sinon pour vous, pour le moins en consideration de ceux qui la souhaitent entiere et parfaite. Je suis de ceux-la, et vous le croyés, n'est-ce pas ? [8] Ma chere Seur, il faut bien le faire, et m'aymer absolument, presque sans reserve.

            Je suis en Nostre Seigneur, que je vous desire propice eternellement, ma tres chere Seur,

Vostre

FRANÇS DE SALES.

            Je suis serviteur tres humble de madame nostre bonne mere et de monsieur le baron d'Origny, et leur bayse les mains avec humilité.

            Ce 4 janvier 1611.

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DCLVI. A Mademoiselle Claudine de Chastel. A quelle condition les exercices de piété revigorent l'âme, même s'ils sont faits sans goût. — La variété et l'unité des sentiments ; le monde et le Ciel. — Eloge de la future Mère de Chastel, alors novice.

 

Annecy, 4 janvier 1611.

            J'ay de la consolation de voir en vostre lettre, ma chere Fille, que non obstant tous vos desgoutz et toute vostre tristesse, vous aves perseveré a faire vos exercices sans vous en estre oubliee que fort peu ; car, pourveu qu'on fasse en consideration de l'amour de Dieu ce qu'on fait, bien que ce soit sans sentiment et sans goust, l'ame ne laisse pas de prendre force et vigueur en l'interieur et en la portion superieure et spirituelle.

            Cheminés donq avec courage et parfaite confiance en [9] Nostre Seigneur, car il vous tiendra de sa main ; et par la varieté des sentimens a laquelle nous sommes sujetz en ce miserable monde, il vous conduira au Ciel, ou nous n'aurons qu'un seul et invariable sentiment de la joye amoureuse de sa divine bonté, a laquelle je vous conjure de me recommander perpetuellement.

            La bonne seur que vous aves ici est vrayement une bonne Fille ; et pourveu qu'il playse a la sainte providence de Nostre Seigneur de nous laisser quelque tems madame de Chantal, ainsy que nous l'esperons, j'ay confiance en ce mesme Sauveur que cette chere seur sera bien consolee en ce genre de vie qu'ell'a embrassé. Je vous prie d'avoir souvenance de tout cela en vos oraysons.

            Vostre tres affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, 4 janvier 1611.

            A Madamoyselle de [Chastel].

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DCLVII. A la Mère de Chantal (Inédite). Ne rien regarder, ne rien aimer que dans la lumière et l'amour de Notre-Seignenr. — Un « livret » qui a besoin d'une préface pour être plus intelligible. — Communication promise pour le jour même ou le lendemain

 

Annecy, vers le 6 janvier 1611.

 

            Ma tres chere Fille, ma Seur,

 

            Il faut bien que mon cœur donne le bon jour au vostre de la part de Nostre Seigneur. Je prie donq cette souveraine pureté et clarté qu'elle donne le jour de sa lumiere [10] et de son amour a nostre cœur, affin quil chemine en cette lumiere et quil vive en cet amour, que rien ne soit regardé qu'en cette lumiere, ni rien aymé qu'en cet amour.

            J'ay bien treuvé le livret duquel je vous parlay ; mais j'y ay rencontré des choses si dures, que je ne vous le veux bailler qu'apres vous avoir fait une præface qui vous le rende plus intelligible et moins scabreux. Cependant, demeurés toute en Dieu, et le suppliés quil rende nostre cœur tout uniquement, simplement et purement sien.

            J'ay un petit projet a vous communiquer, qui tend a la gloire de Dieu et reduction d'une grande ame. Si je puis, ce sera ce jourd'huy ; si je ne puis, ce sera demain.

            Bonjour donq, ma tres uniquement chere Seur, ma Fille ; Jesus soit tous-jours sur vostre cœur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de Longeville, à Besançon.

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DCLVIII. A Madame de la Fléchère (Inédite). Dans quels cas il ne faut pas s'abstenir de communier. — La variété des petits accidents de cette vie et l'état immobile de la sainte éternité. — Deux nouvelles recrues pour la Visitation

 

Annecy, 7 janvier 1611.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            J'ay trois de vos lettres qui ne sont point respondues, et si, je n'ay encor point de loysir maintenant. Seulement vous diray-je que la faute commise avec madame la [11] Comtesse et M. du Coudrey m'a donné mille consolations en sa reparation, car vous la fistes extremement bien a mon gré ; et ne failloit pas pour cela quitter la tressainte Communion, laquelle, au contraire, il faut employer pour remede a telz petitz defautz, qui ne viennent pas tant de mauvayse volonté, comme de surprise et foiblesse.

            Je me res-joüys dequoy vostre fievre a cessé avant que j'en aye sceu le commencement. Il faut ainsy cheminer par varieté de petitz accidens spirituelz et temporelz, tenans tous-jours neanmoins a Nostre Seigneur qui, en cette sorte, nous conduira par sa grace a l'estat immobile de la sainte eternité.

            Nostre Mme de Chantal a esté rudement malade, mais maintenant se porte beaucoup mieux et va tous les jours en amendant de santé, avec une continuelle memoyre de vous, qu'elle cherit et honnore de tout son cœur. Hier elle receut une nouvelle fille, qui fait la septiesme, [12] et dans peu on attend la huitiesme. Elle se recommande a vostre charité.

            J'ay escrit nagueres a Bons, par une bonne commodité. Dieu vous benisse, ma chere Fille. Je suis immortellement tout vostre.

            7 janvier 1611.

            A Madame

            Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire de Dijon. [13]

DCLIX. A Madame de Monfort (Inédite). Félicitations à l'occasion d'une naissance.

 

Annecy, 14 janvier 1611.

 

            Madame ma chere Cousine,

 

            Ça esté de tout mon cœur que je me suis res-joüy du contentement que Nostre Seigneur vous a donné et a monsieur de Monfort mon cousin, puisque l'affection avec laquelle je vous honnore me fait participer a tous vos ressentimens. Dieu vous face voir longuement cet enfant prouffiter es benedictions que luy souhaite,

            Madame ma Cousine,

Vostre humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII janvier 1611.

            A Madame

            Madame de Monfort.

 

Revu sur l'Autographe conservé dans la sacristie de l'église paroissiale de Grasse. [14]

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DCLX. A la Mère de Chantal. La conversion de Mme de Saint-Cergues : la cérémonie se fera dans l'oratoire de la Galerie. — Pourquoi faut-il bien traiter son cœur et le « tenir en bon point. » — Ou rien, ou Dieu. — Notre amour pour Dieu, jamais suffisant, jamais excessif

 

Annecy, vers le 12 ou le 20 janvier 1611.

 

            Or sus, ma tres chere Fille, la plus grande gloire de Dieu, qui est la souveraine maistresse de nos affections, m'a retenu aupres de cette bonne dame de Saint Cergue, pour la reduction de laquelle vous aves prié ; car l'ayant veuë disposee a prendre les finales resolutions de son bonheur, je ne l'ay point voulu abandonner qu'elle ne les eust faites, dont je loüe Nostre Seigneur de tout [15] mon cœur. Et vous, loüés-le aussi de tout vostre cœur, et nous le louerons tous deux de tous nos cœurs. J'ay opinion que sa Majesté divine sera honnoree en cette conversion.

            Je suis bien ayse qu'elle se soit un peu recreée aupres de vous, car voyes-vous, elle sentira tous-jours quelque petite tranchee de l'enfantement qu'elle va faire. Nous avons pris jour pour nous voir demain et commencer, a mon advis, sa confession et preparation a la sainte Communion, laquelle nous ferons Dimanche en vostre oratoire aussi ; car, ma tres chere Fille, puisque j'espere que les Anges, et sur tout la Reyne des Anges, regarderont le spectacle de la derniere action de la reduction de cette ame, je desire qu'elle se face autour de vostre chere petite trouppe, affin que nous soyons tous regardés avec une joye extraordinaire et qu'avec ces Espritz celestes, nous facions le festin d'allegresse sur cet enfant revenu.

            Je prie nostre doux Sauveur qu'il respande sa douce et aggreable suavité sur vous, affin que vous reposies saintement, sainement, tranquillement en luy, et qu'il veille paternellement sur vous, puisqu'il est le tres souverain amour de nostre inseparable cœur. O Dieu, ma chere Fille, je le vous recommande, nostre pauvre cœur ; soulagés-le, confortés-le, recreés-le le mieux et le plus que vous pourres, affin qu'il serve Dieu ; car c'est pour cette consideration [16] qu'il nous le faut traitter. C'est l'aigneau d'holocauste qu'il nous faut offrir a Dieu, il le faut donq tenir en bon point et grasselet, s'il est possible ; c'est le lict de l'Espoux, pour cela le faut-il parsemer de fleurs. Consolés-le donq, ma chere Fille, ce pauvre cœur, et luy donnés le plus de joye et de paix que vous pourres. Helas ! qu'avons-nous autre chose aussi a souhaitter que cela ?

            Vive Dieu ! ma Fille : ou rien, ou Dieu ; car tout ce qui n'est pas Dieu, ou n'est rien, ou est pis que rien. Demeurés bien toute en luy, ma chere Fille, et le priés que j'y demeure bien tout aussi, et la dedans aymons-nous puissamment, ma Fille, car nous ne sçaurions jamais trop ni asses [aimer]. Quel playsir d'aymer sans craindre d'exces ! Or, il n'y en a jamais point ou on ayme en Dieu.

            Je vous envoye ce Miroir d'amour, et apres vous je le verray, car j'en ay envie, estimant que cette traduction faite par les Chartreux sera parfaite. …[17]

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DCLXI. A la Présidente Favre. Convalescence de la Mère de Chantal. — La « chere grande fille. » — Quand les « embarassemens » d'une grande maison augmentent, « il faut tant plus appeller Nostre Seigneur a nostr'ayde. » — La plus grande consolation à la fin de la journée

 

Annecy, 25 janvier 1611.

 

            Ma tres chere Seur, ma Fille,

 

            C'est tout couramment que je vous escris. J'iray ce soir voir Mme de Chantal (qui guerit fort lentement, sur tout des jambes et des bras, et qui vous bayse tres affectionnement les mains) pour conferer avec elle sur la reception de la fille dont vous m'escrives, delaquelle les bonnes qualités ne sont pas de peu de consideration. Nous verrons aussi la chere grande fille, qui est certes fort aymable et le cœur gauche de Mme de Chantal.

            J'ay dit, il y a des-ja quelque tems, a M. Pergod que je voulois estre son tresorier d'ores-en avant ; bien que je desire que mon office finisse bien tost par la vente de cette mayson, laquelle me sembleroit utile plus que la conservation, pourveu qu'elle se vendit a bonnes enseignes. Mais il n'en faut pas faire grand bruit.

            Ma tres chere Fille, je vous voy, ce me semble, bien enfoncee dans une multitude d'embarassemens, que la grandeur du mesnage ou vous estes vous met sur les [18] bras. Mais, ma tres chere Fille, il faut tant plus appeller Nostre Seigneur a nostr'ayde et reclamer sa sainte assistence, affin que ce travail que vous deves supporter luy soit aggreable, et que vous l'embrassies pour son honneur et gloire. Voyes, ma chere Seur, que nos jours sont cours et que, par consequent, le labeur que nous y avons ne peut estre long ; si que, moyennant un peu de patience, nous en sortirons avec honneur et contentement, car nous n'aurons point de si grande consolation a la fin de la journee que d'avoir beaucoup travaillé et supporté de peynes.

            Bonsoir, ma tres chere Seur ; aymes fidellement ce frere et serviteur qui est tout vostre.

FRANÇ", E de Geneve.

            XXV janvier.

            Je vous remercie bien humblement de la marmotte.

            A Madame

            Madame la premiere Presidente de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Pignerol.

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DCLXII. A M. Philippe de Quoex (Fragment). La nouvelle ruche de la Visitation. — Une maladie inconnue à Galien. — Une mère abeille « trop aspre a la cueillette. » — La Mère de Chantal et les saintes veuves de l'Eglise.

 

Annecy, janvier ou février 1611.

 

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            Je recommande a vos Sacrifices la santé de la mere abeille de nostre nouvelle ruche ; elle est grandement [19] travaillee de maladie, et nostre bon monsieur Grandis, quoy qu'il soit l'un des doctes medecins que j'aye veus, ne sçait qu'ordonner pour ce mal, qu'il dit avoir quelque cause inconneuë a Galien, docteur des medecins. Je ne sçai si le diable nous veut espouvanter par la, ou si elle n'est point trop aspre a la cueillette ; toutefois je sçai bien qu'elle n'a point de meilleur remede a son gré que de s'exposer au Soleil de justice.

            Quoy que c'en soit, j'ay tant a cœur cette sainte entreprise, qui ne vient que d'en haut, que rien ne m'estonne en sa poursuite, et croy que Dieu rendra tout a fait cette Mere une sainte Paule, sainte Angele, sainte Catherine de Gennes et telles saintes vefves, qui, comme belles et odorantes violettes, ont esté si aggreables a voir dans le sacré jardin de l'Eglise. De telles espouses de Jesus Christ il est dit : Myrrha et gutta et casia a vestimentis, etc.

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Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy. [20]

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DCLXIII. A la Mère de Chantal. La gloire de Dieu, maîtresse et régente des affections de François de Sales. — Un défi entre deux Saints ; leur unité d'âme et de cœur

 

Annecy, [février 1611.]

 

            O Dieu, ma toute chere Fille, je proteste, mais je proteste de tout mon cœur, qui est plus vostre que mien, que je ressens vivement la privation que je souffre de vostre veüe pour ce jourdhuy. Nostre maistresse, la gloire de Dieu, l'a ainsy disposé, et vous sçaves, ma tres chere Fille, quelle fidelité nostre cœur tres uniquement un luy a voùee ; c'est pourquoy, sans reserve, je la laisse regenter au dessus de mes affections, es occasions ou je voy ce qu'elle requiert de moy. O demain, Dieu aydant, je vous iray entretenir une bonne heure avant le sermon, et nous parlerons de nostre desfy, lequel vous treuveres bien aggreable, ma chere Fille, et bien digne de nostre si inseparable cœur.

            Or sus donq, bon soir, ma toute mienne Fille. Je voudrois vous pouvoir dire le sentiment que ce jourdhuy j'ay eu, en communiant, de nostre chere unité, car il a esté grand, parfait, doux, puissant, et quasi par maniere de vœu et de dedicace.

            Bon soir, la fille de mon cœur, ou plus tost, ma Fille et mon cœur. Soyes toute en paix, toute en repos et sur tout, toute en Dieu. Faites moy escrire deux motz, car ces messagers me sont suspectz. [21]

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Pistoie. [21]

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DCLXIV. A M. Bénigne Milletot (Inédite). Mme de Chantal apprend la mort de son père. — Son « desplaysir » et sa « vertu » dans cette circonstance. — Eloge du défunt. — Le bruit de la future translation du saint Evêque à un autre siège n'est pas fondé

 

Annecy, 26 février 1611.

 

            Monsieur,

 

            Il y a ja long tems que la triste nouvelle du trespas de feu monsieur le President Fremiot nous estoit arrivee, et quant et elle un regret extreme, selon les grans devoirs que nous luy avions et la grand'estime en laquelle nous l'avions ; mais nous avions empesché que la bonne Mme de Chantal n'en apperceut aucun bruit, parce que c'eust esté une cruauté de voir surcharger sa maladie d'un sentiment de si grande douleur, en un tems auquel elle estoit encor fort foible. Maintenant neanmoins, je luy ay porté moy mesme ce fascheux advis, en la reception duquel son desplaysir a grandement combattu sa vertu, laquelle sans doute, si elle n'eust esté fort solide et profonde, ell'eust esté vaincüe ; mays, Dieu mercy, ell' en a tant tesmoigné, que ceux qui l'ont veuë en ce point de tristesse, en ont receu un exemple digne de memoyre.

            Et moy j'ay receu de la consolation, ayant sceu que ce bon et digne seigneur defunct avoit eu aggreables les souhaitz que, selon ma naïfveté, j'avois marqués en ces dernieres lettres que je luy escrivis. C'est la verité, [22] Monsieur, j'honnorois cet honnorable et grand personnage avec un amour tout particulier, lequel ne perira jamais en mon ame, non plus que celuy que, de tout mon cœur, je vous ay dedié et que de rechef je vous consacre.

            Je ne sçai comme ce bruit de ma future translation a un autre Evesché a peu courir autour de moy, sans qu'il y ayt eü de cela ni sentiment, ni desir, ni aucune sortè d'opinion en moy. Non, Monsieur, il n'y a point eu d'apparence en tous les discours qu'on en a fait ; de sorte que je persevereray au saint service que je suis obligé de rendre a la chere trouppe en laquelle vous aves un si bon gage. Dieu en soit loué et vous face abonder en ses graces et consolations.

            Je suis en luy, Monsieur,

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XXVI febvrier 1611.

 

            A Monsieur,

            Monsieur Milletot,

Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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DCLXV. A la Présidente Brulart. Comment connaître l'intention de Notre-Seigneur à propos d'une vocation. — L'holocauste « en effect » et l'holocauste « en affection. » — Une « hantise » indiscrète et superflue. — Il est mieux, pour une femme du monde, d'ouïr la sainte Messe tous les jours que de faire l'oraison chez soi. — Santé et sainteté

 

Annecy, 1er mars 1611.

 

            Ma tres chere Seur, ma Fille,

 

            J'ay vos deux lettres, dont la premiere est de l'unziesme du mois passé et la seconde de l'unziesme de celuy-ci ; [23] et j'ay tant a respondre a la premiere [qu'à la seconde], parce que je l'ay receuë seulement despuis peu et non gueres plus tost que la seconde.

            Vous deves croire le confesseur de N. en ce qui regarde son entree en Religion, car vous ne sçauriés mieux apprendre l'intention de Nostre Seigneur que par l'advis de celuy qu'il a donné pour directeur a la fille dont il s'agit. Que [si] sa divine Majesté ne vouloit pas cet holocauste en effect final, mais seulement en affection et application commencee, comme il fit d'Isaac, c'est a dire, si cette chere Fille estant entree en l'Ordre, ne se treuvoit pas forte pour y perseverer, mon Dieu ! quel mal y auroit-il en cela ? Nul, sans doute ; et en ce cas, il faudroit renoncer a nos goustz et plus secrettes affections pour acquiescer a la sainte volonté de Dieu.

            Puis que donq maintenant elle est preste, au jugement de son Pere spirituel et des bonnes Meres Carmelines, et que monsieur son pere contribue son consentement, il semble qu'en toute asseurance vous en pouves faire l'offrande, et que Nostre Seigneur l'aura fort aggreable, sauf neanmoins a son bon playsir de disposer de sa perseverance en cet estat particulier, ou de sa sortie, selon que sa providence treuvera meilleur ; a quoy nous nous conformerons tous-jours et sans replique, car il n'est pas raysonnable de prescrire a cette infinie Sapience la façon de laquelle il nous veut rendre siens. Voyla pour le premier point.

            Pour le second, je regrette infiniment que ce personnage se laisse si long tems tromper et trompe soy mesme en cette indiscrette et superfluë hantise, et sur tout puisqu'elle donne du scandale. O Dieu ! que ce leur seroit chose utile a tous deux de renoncer a ces inutiles et inconsiderees complaysances, et que ce seroit une [24] grande charité de les en retirer ! Mais, quant a la personne que je connois, quoy que jadis elle fust aucunement interessee en ce mal, qui pour n'estre pas vicieux ne laisse pas d'estre perilleux, je ne treuve aucun inconvenient que quelquefois, selon les occurrences, elle se confesse en toute liberté a ce personnage-la, dans le cœur duquel, s'il y avoit quelque impureté, elle ne se glisseroit pas par la confession, mais ouy bien par les autres conferences et conversations, ou privautés et hantises. Qu'elle s'y confesse donq librement es occasions ; mais qu'elle ne luy parle pas hors de la, que courtement et promptement.

            Pour le troysiesme, croyés fermement que vous n'avés ni retenés a vostre escient aucune affection contre la volonté de Dieu, c'est a dire pour le peché veniel, encor que plusieurs imperfections et mauvaises inclinations de tems en tems vous surprennent. Ne laissés pas de faire la Communion le jeudi et les festes sur semaine, et le mardi du Caresme ; mais cela n'en doutés plus, ains employés vostre cœur a estre bien fidele en l'exercice de la pauvreté emmi les richesses, de la douceur et tranquillité emmi le tracas, et de la resignation du cœur et de tout ce qui vous doit arriver en la providence de Dieu. Qu'est-ce qui nous peut manquer, ayant Dieu ?

            Pour le quatriesme, il est mieux en toute façon que vous oyies la sainte Messe tous les jours et y faire l'exercice de la Messe, que de ne l'ouïr pas, sous pretexte de continuer l'orayson chez vous. Je dis qu'il est mieux, non seulement parce que cette reelle presence de l'humanité de Nostre Seigneur en la Messe ne peut estre suppleée par la presence mentale (bien que, pour quelque digne respect, on demeure esloigné d'icelle), mais aussi parce que l'Eglise desire fort que l'on assiste a la Messe. Et ce desir la tient lieu de conseil, auquel c'est espece d'obeissance de s'accommoder, quand on le peut bonnement, et par ce que vostre exemple est utile au simple peuple en la qualité que vous estes : or, il n'aura [25] point d'exemple de ce que vous feres en vostre oratoire. Arrestés-vous donq a ceci, ma tres chere Fille.

            Je ne prescheray ce Caresme qu'aux monasteres de cette ville, et cinq ou six fois en la grande eglise. Je suis plein de santé, a mon advis ; fussé-je plein de sainteté, comme mon rang et ma charge le requierent !

            La bonne madame de Chantal a tesmoigné et tesmoigne une vertu toute particuliere en l'occasion du trespas de monsieur son pere, qu'elle n'a sceu que despuis troys jours, parce que, la voyant si affoiblie de sa maladie, je luy celay cette mauvaise nouvelle tant que je peus, sçachant bien que cela retarderoit le retour de sa santé. Vanité des vanités, et toutes choses sont vanité *, ma tres chere Fille, sinon d'aymer et servir Dieu. Cette bonne Seur a esté toute consolee d'entendre que son pere estoit mort en l'acte de repentance.

            Demeurés toute en Dieu, ma tres chere Fille, vivés saintement joyeuse, douce et paysible. Je suis, mais fort absolument,

            Ma tres chere Fille,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCLXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Un moyen de « recreer nostre pauvre cœur. » — La Mère de Chantal est avertie de ne pas se tenir à genoux pendant son oraison

 

Annecy, [mars 1611.]

 

            Je suis bien content, ma tres chere Fille, que vous retourniés doucement a la sainte orayson, pour un peu [26] recreer nostre pauvre cœur aupres de son Sauveur qui, comme l'arbre de bausme, distillera tous-jours quelque goute de sa sainte liqueur sur nous, qui demeurerons paysiblement en attention. Demeurés donq une demi heure au matin et un quart d'heure au soir, et ne vous opiniastrés pas a vous tenir a genoux, car il suffira bien d'estre assise.

            Vous pouves tres bien recevoir M. de la Tour ; Dieu luy face la grace de bien profiter en vostre conversation, et a monsieur le Baron d'Effrans, lequel il faut un peu que vous entreteniés sur ses exercices et sur…                            

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy. [27]

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DCLXVII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus Évêque de Belley. Il faut beaucoup souffrir des enfants en bas âge. — Quatre mots de saint Paul, règle des prédicateurs. — La patience et la doctrine

 

Annecy, 7 mars 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Je me res-jouis avec vostre peuple qui a le bien de recevoir de vostre bouche les eaux salutaires de l'Evangile, et m'en res-jouirois bien davantage, s'il les recevoit avec l'affection et reconnoissance qui est deuë a la peyne que vous prenes de les respandre si abondamment. Mays, Monseigneur, il faut beaucoup souffrir des enfans tandis qu'ilz sont en bas aage, et bien que quelquefois ilz mordent le tetin qui les nourrit, il ne faut pas pourtant le leur oster. Les quatre motz du grand Apostre nous doivent servir d'epitheme : Opportune, importune ; in omni patientia et doctrina. Il met la patience la premiere, comme plus necessaire, et sans laquelle la doctrine ne sert pas. Il veut bien que nous souffrions qu'on nous treuve importuns, puisqu'il nous enseigne d'importuner par son importune. Continuons seulement a bien cultiver, car il n'est point de terre si ingrate que l'amour du laboureur ne fœconde. [28]

            J'attendray cependant les livres quii vous plaist me promettre, qui tiendront en mon estude le rang convenable a l'estime que je fais de leur autheur, et a l'amour parfait avec lequel je luy porte et porteray toute ma vie honneur, respect et reverence.

            Je suis, Monseigneur,

Vostre tres humble frere et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 7 mars 16...

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DCLXVIII. A la Mère de Chantal. Le nom que le Saint avait d'abord adopté pour ses chères filles ; pourquoi il le changea. — Sa dévotion â sainte Françoise Romaine. — Le « petit Batiste » et « Celse Benine »

 

Annecy, 9 mars 1611.

 

            Ouy, ma chere Fille, ouy sans opiniastreté, nous changerons le nom de Seurs Oblates, puisque cette expression [29] desplait si fort a ces messieurs ; mais nous ne changerons jamais le dessein et le vœu eternel d'estre a jamais les tres humbles servantes de la Mere de Dieu. Renouvellés-en la promesse en vostre Communion ; j'en feray de mesme au Sacrifice de la Messe.

Helas ! il y a aujourd'huy douze ans que j'eus la grace de celebrer dans le monastere de cette sainte vefve Romaine, avec mille desirs de luy estre devot toute ma vie. Comme elle est nostre sainte Patronne, il faut qu'elle soit nostre modele. Elle aymoit bien autant son petit Batiste que vous aymés vostre Celse Benine ; mais [30] elle laissa a Dieu l'entiere disposition d'en faire a sa volonté, et il en fit un enfant de salut. Ainsy je l'espere du cher enfant de ma tres chere Mere.

 

Revu sur uu ancien Ms. de l'Année Sainte, conservé à la Visitation d'Annecy.

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DCLXIX. Au Président Antoine Favre. Les « pauvres gens d'Estrembieres ; » prière de les défendre contre leurs frères rebelles

 

Annecy, 10 mars 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je vous ay escrit par celuy qui m'a apporté ce matin vostre lettre ; mais ces pauvres gens d'Estrembieres me forcent, par leurs remonstrances, d'interceder pour eux, puisqu'ilz recourent a moy pour cela, en qualité, disent-ilz, de mes enfans les plus exposés a la persecution de leurs freres rebelles. Je vous supplie donq tres humblement, en ce qui pourra bonnement et saintement se faire, de les avoir en recommandation.

            Je vous donne de rechef le bon jour tres affectionné, et suis…      

            Le 10 mars 1611. [31]

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DCLXX. A la Mère de Chantal (Inédite). Un arbitrage du Saint dans une querelle entre soldats

 

Annecy, [mars] 1611.

 

            Je vous donne le bon jour, ma tres chere Fille, avec cette mortification de ne vous pouvoir voir d'aujourdhuy, parce que je vay a deux lieuës d'icy pour accommoder certaine grande querelle qu'il y a entre nos François. Mays avant que de partir, je vay dire la Messe, tous-jours pour nostre cœur, que je supplie Nostre Seigneur remplir de mille et mille benedictions, et sur tout de celle de son tres parfait amour.

            Bon jour donq, ma tres chere Fille, et dites moy comme vous vous portes. Au moins, vivés joyeuse en ce Sauveur, au service duquel nous sommes trop heureux d'estre voués sans reserve quelconque.

            Vive Jesus ! Amen.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [32]

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DCLXXI. A la même. Le baume et les « basses herbettes » de la Croix. — Grandeur de saint Joseph ; pourquoi pouvait-il faire envie aux Anges et défier le Ciel. — La veuve de Naïm et la mère de Celse-Bénigne

 

Annecy, 17 mars 1611.

 

            Ma chere Fille, tenons nous, je vous supplie, tout au bas bout de la Croix, trop heureux si quelque goutte de ce bausme qui distille de toutes pars tombe dedans nostre cœur, et si nous pouvons recueillir de ces basses herbettes qui naissent la autour.

            O je voudrois bien, ma tres chere Fille, vous entretenir un peu sur la grandeur de ce beni Saint que nostre cœur ayme, parce qu'il a nourri l'Amour de nostre cœur et le cœur de nostre amour. Sur ces paroles : Seigneur, faites bien aux bons et aux droitz de cœur, o vray Dieu, dis je, qu'il falloit que ce Saint fust bon et droit de cœur, puisque Nostre Seigneur luy a fait tant de bien, luy ayant donné la Mere et le Filz ! Car, ayant ces deux gages, il pouvoit faire envie aux Anges et desfier le Ciel tout ensemble d'avoir plus de bien que luy ; car, qu'y a il entre les Anges, comparable a la Reyne des Anges, et en Dieu, plus que Dieu ?

            Bon soir, ma toute chere Fille. Je supplie ce grand Saint, qui a si souvent dorloté nostre Sauveur et qui l'a si souvent bercé, qu'il vous face les caresses interieures qui sont requises a l'avancement de vostre amour envers ce Redempteur, et qu'il vous impetre abondance de paix interieure, vous donnant mille benedictions. Vive Jesus, [33] vive Marie ! et encor le grand saint Joseph qui a tant nourri nostre Vie.

            A Dieu, ma Fille ; la vefve de Naïm m'appelle aux funerailles de son cher filz. Ce n'est pas que, sur ce sujet, je ne pense a ce que vous m'escrives du vostre. A Dieu soyons nous sans fin, sans reserve, sans mesure. Jesus soit nostre couronne, Marie soit nostre miel.

            Je suis, au nom du Filz et de la Mere,

Vostre tres asseuré serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCLXXII. Au Président Antoine Favre. Compassion du Saint pour les misères du pays au printemps de 1611

 

Annecy, 19 mars 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Le P. François et moy avons escrit a Thonon selon vostre derniere lettre, et ferons avec soin tout ce qui se presentera a faire sur ce sujet.

            Je vous escrivis l'autre jour des miseres de ce païs, non point contre la verité, qui est plus grande en cela qu'on ne sçauroit dire, mais bien contre mon gré, puisque le mal est irremediable. Mais, me treuvant chez M. le [34] Præsident de cette ville lhors quïlz despechoyent, je me treuvay engagé par sa priere, et des autres seigneurs du Conseil, de joindre ma lettre a la leur. Je prie Nostre Seigneur quil soulage ce peuple de sa grace et le divertisse du desespoir, et les affaires publiques d'une totale ruine.

            Je suis, Monsieur mon Frere,

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIX mars 1611.

            A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges.

            Conseiller d'Estat de S. A., Premier President de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

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DCLXXIII. A une dame inconnue. Le monde et ses séductions. — Mépris extrême du Saint pour la gloire. Les exigences du Créateur et celles du monde.

 

Annecy, 22 mars 1611.

 

            Helas, ma tres chere Fille, que ce miserable monde est puissant a nous traisner apres ses niaiseries et amusemens ! Or, je suis bien ayse que nous nous soyons un peu [35] apprivoysés, monsieur vostre mary et moy. A cette intention, je luy parlay bien amplement de mes affaires et des occurrences qui me regardoyent, et ne sçavois bonnement comme faire pour luy celer l'extreme mespris que Dieu m'a donné de toutes ces adventures qu'on appelle de fortune et d'establissement ; car il ne veut pas que cela soit mesprisé d'un si grand mespris comme est celuy que, graces a Nostre Seigneur, j'en ressens en mon ame. O Dieu, ma chere Fille, que ce monde est estrange en ses fantasies, et a quelle sorte de prix est il servi ! Si le Createur ordonnoit des choses si difficiles comme le monde, combien peu treuveroit-il de serviteurs.

            Or sus, demeurés en paix aupres de la tres sainte Croix, eslevee en ce tems pour enseignes de salut a nos ames.

FRANÇS E. de Geneve.

            Le 22 mars 1611.

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DCLXXIV. A Madame de la Fléchère. Pourquoi les petites chutes et imperfections ne doivent étonner ni l'âme chrétienne, ni son directeur

 

Annecy, 22 mars 1611.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vous pouves penser qu'en ce tems je suis attaché icy, sans que je puisse executer le desir et dessein que j'avois de vous aller voir, sinon que quelque cas de necessité m'appellast a vostre service ; car alhors, rien ne me sçauroit retenir, estant si tres entierement et parfaitement vostre comme je suis. [36]

            J'ay veu par vos lettres vos petites cheutes et imperfections, pour lesquelles ni vous ni moy ne devons aucunement nous estonner, car ce ne sont que des petiz advertissemens de nous tenir bas et humbles devant nos yeux, et pour nous esveiller en cette sentinelle en laquelle nous sommes. Il faut donq bien vivre courageuse, ma tres chere Fille, car en fin nous sommes a Dieu sans reserve, ni exception aucune. Demeures donq en paix, avec la grace et consolation du Saint Esprit.

            Je vous escris sans loysir, mays non pas sans un tres grand desir continuel de vostre grandeur spirituelle, estant, comme je suis, tres entierement et parfaitement vostre.

F., E. de G.

            A Neci, le XXII mars 1611.

            A Madame

Madame de la Fleschere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Aoste, aux Archives de la Société académique.

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DCLXXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Paris, Chambéry, réclament l'Evêque de Genève pour le Carême de l'année suivante : que le duc de Savoie décide, le Saint se conformera à son désir

 

Annecy, 3 avril 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Je suis extremement recherché et pressé d'aller prescher le Caresme prochain a Paris. D'autre part, messieurs du Senat de Chamberi me font l'honneur de me desirer a mesme fin. Je supplie tres humblement Vostre Altesse de me commander ce qu'elle voudra, puisque je prendray mon inclination de la sienne et ma resolution de son commandement. [37]

            Si Dieu exauce mes souhaitz, il comblera de ses plus cheres benedictions Vostre Altesse, de laquelle je suis d'un cœur non pareil,

            Le tres humble, tres obeissant et tres fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le jour de Pasques 1611.

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DCLXXVI. A l'abbe d'abondance, Vespasien Aiazza. Humble récit des commencements de la Visitation. — Pourquoi Mme de Chantal est-elle venue « a son chetif pere. » — Sa prudence et sa force virile. — Jacqueline Coste. — « Un doux et gracieux refuge. » — L'esprit et la vie intérieure des premières Religieuses. — Dévouement de François de Sales à Dieu et à son Eglise. — Pour la charité, toute peine est bien aimée. — Un Saint qui avait le don d'ouvrir les cœurs.

 

Annecy, 3 avril 1611.

 

            Monsieur mon tres cher Frere,

 

            L'incroyable parfum d'une amoureuse suavité dont vostre lettre nompareille en douceur pour moy est pleine, [38] me force doucement a condescendre a vos fraternelz desirs de sçavoir ce que je fay en ce recoin de nos montagnes, dont vous dites que l'odeur est montee jusqu'a vous. Je le croy facilement, mon tres cher Frere : puisque j'ay mis des holocaustes sur l'autel de Dieu, falloit-il pas qu'elles jettassent une odeur de suavité ? Voyci donq, non point ce que j'ay fait, mais ce que Dieu a fait l'esté passé.

            Mon frere de Thorens alla querir en Bourgoigne sa petite femme et amena avec elle une bellemere qu'il ne merita jamais, d'avoir, ni moy de servir ; vous sçaves des-ja quelque chose comme Dieu l'a renduë ma fille. Or, sachés donq que cette fille est venue a son chetif pere affin qu'il la fist mourir au monde, selon le dessein que je vous ay communiqué a nostre derniere entreveuë. Pressee des desirs de Dieu, elle a tout quitté, et, avec une prudence et force non commune a son sexe fragile, elle a pourveu a son desengagement ; en sorte que les bons treuveront beaucoup de choses a loüer en cela, et les enfans malins du siecle ne sçauront sur quoy s'attacher pour former leurs mesdisances.

            Nous l'enfermasmes le jour de la tres sainte Trinité, avec deux compaignes et la servante que je vous fis voir, qui est une ame si bonne dans la rusticité de sa naissance, que, dans sa condition, je n'en ay point veu de telle. Despuis, il vient des filles de Chamberi, de Grenoble et Bourgoigne, pour s'associer a elles ; et j'espere que cette Congregation sera pour les infirmes un doux et gracieux refuge, car, sans beaucoup d'austerités corporelles, elles prattiquent toutes les vertus essentielles de la devotion.

            Elles disent l'Office de Nostre Dame, font l'orayson mentale ; elles ont une police de travail, silence, obeissance, humilité, exempte de toute proprieté, extremement exacte et autant qu'en monastere du monde. Leur vie est amoureuse, interieure, paysible et de grande edification. Apres leur profession, elles iront servir les malades, [39] Dieu aydant, avec grande humilité. Voyla, mon tres cher Frere, un petit sommaire de ce qui s'est fait icy.

            Quant a la reforme que vous projettés, je la passionne, et, faut advoüer la verité, vostre inclination m'incline et me tire tout a soy ; vos raysons sont preignantes et vostre authorité toute puissante pour moy. Non, pour Dieu, ne craignés point de m'importuner. J'ay sacrifié ma vie et mon ame a Dieu et a son Eglise : qu'importe-il que je m'incommode, pourveu que j'accommode quelque chose au salut des ames ? Traittés-moy donq fraternellement, puisque vous sçaves qu'entre nous tout se fait en charité et pour la charité. Or, la charité n'a point de peyne qui ne soit bienaymee : Ubi amatur, non laboratur ; vel si laboratur, labor amatur.

            Si ce pauvre garçon ne m'eust rencontré ici pour se confesser a moy, il s'en alloit a Rome, ne treuvant personne a qui ouvrir a son gré confidemment son ame, ou, a la verité, j'ay treuvé moins de mal que je ne pensois, et incomparablement moins qu'il ne croyoit. O mon Dieu, mon tres cher Frere, si Dieu, qui incline tant de personnes a me remettre la clef de leurs cœurs, voire a en lever la serreure devant moy affin que je voye mieux tout ce qui est dedans, pouvoit si bien fermer le mien que rien n'y entrast jamais que son divin amour et que rien ne l'ouvrist que la charité, hé, que vous m'aymeries suavement ! Priés fortement pour cela, et croyés fermement que je suis

Vostre tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 3 avril 1611. [40]

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DCLXXVII. A la Mère de Chantal (Fragment inédit). Pourquoi faire ce qui est requis pour tenir sa santé un peu forte. — Ce que le Saint demandait à la Messe avec une « ardeur extraordinaire. » — Affectueux dévouement du Fondateur pour la Mère de ses chères filles

 

Annecy, avril 1611.

 

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pas de vous faire bien ayder, tant quil se pourra, affin que ce mal vous soit utile ; car voyes vous, ma chere Fille, il faut bien estre soigneuse de faire ce qui est requis pour nous tenir un peu forte et vaillante, puisque, comme vous le desires, il nous faut faire des effortz pour devenir saints et rendre des grans services a Dieu et au prochain. Or sus, j'attens donq un mot de vos nouvelles, que vous m'escrires comm'amoy, c'est a dire vous mesme.

            Ce pendant, mon cher enfant, ma mie, Dieu vous benisse, Dieu vous prospere, Dieu soit le tres uniqu'amour de nostre tres unique cœur. Il faut bien que je vous die que ce matin a la Messe, j'ay prié pour nostre avancement en la pureté, perfection et unité d'esprit avec, certes, un'ardeur extraordinaire ; mais en cela, les extraordinaires me sont presqu'ordinaires. Apres disné, le P. Prieur des Feuillans m'a donné beaucoup de consolation par [41] la bonn'opinion quil a d'un grand progres de nostre Congregation.

            Bon soir, mon cher courage, mon enfant. Oüy, ma Fille, vous estes le courage de mon cœur et le cœur de mon courage en ce doux et triomphant Sauveur qui l'a ainsy voulu, et que je supplie employer le tout a sa gloire, unique praetention de mon cœur et de mon courage uniquement unique en luy.

            Le bon soir a nos cheres filles.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers.

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DCLXXVIII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus Évêque de Belley. Recommandation en faveur d'un ancien serviteur d'Antoine Favre

 

Annecy, 12 avril 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Cet honnest'homme parisien a servi longuement, fidelement et aggreablement monsieur le premier Praesident de Savoye, et pour quelque sujet hors de luy, il quitte maintenant ce service, et a desiré de moy cette lettre pour vous faire la reverence en vous la presentant, estimant que, si d'adventure vous avies besoin de quelque serviteur de sa sorte, par cett'occasion il pourroit entrer au bien de l'estre. Or, Monseigneur, cet (sic) ainsy sans artifice que je vous dis l'artifice louable de ce bon personnage, auquel je sçai bon gré dequoy, par ce moyen, je puis me ramentevoir en vostre sainte, sacree et inviolable bienveuillance, a laquelle je me recommande [42] tres humblement, luy dediant mon obeissance et service perpetuel.

            Dieu vous conserve et comble de ses graces, Monseigneur, et je suis

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XII avril 1611.

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque et Seigr de Belley,

            Prince du St Empire.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Meaux.

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DCLXXIX. A M. Antoine des Hayes. Premiers projets de Denis de Granier ; son portrait. — Les jeunes gens et les difficultés. — Menaces de guerre.

 

Annecy, 13 avril 1611.

 

            Monsieur,

 

            Outre que je ne sçaurois pouvoir me ramentevoir en vostre bienveuillance et ne le faire pas, je suis bien ayse de vous donner advis comme, sur ce que M. de Charmoysi, mon cousin, m'avoit dit touchant vostre desir de me voir le Caresme prochain a Paris, j'ay escrit a son Altesse ; en sorte que j'espere en peu de jours avoir une response absolue, laquelle, si elle est selon nostre gré, je pourray justement croire que Dieu l'aura voulu d'une volonté speciale, puisque la concurrence des affaires du monde me sera peu favorable, comme je pense. Mais [43] pensés, Monsieur, quel contentement pour moy de pouvoir encor une bonne fois jouir de la douceur de vostre presence.

            Au demeurant, j'ay avec moy un jeune homme d'Eglise, neveu de feu Monsieur le Reverendissime mon predecesseur, qui s'est immaginé qu'a l'adventure il pourroit entrer par delà au service de quelques jeunes seigneurs pour leur instruction, et par ce moyen estudier aussi ; et m'a tant pressé, sachant en quelle confiance je suis avec vous, que j'ay esté contraint de luy promettre de vous supplier de me donner quelque advertissement si cela pourroit estre. Mais j'adjouste pourtant, qu'encor que ce jeune homme soit de fort bonne mayson (mais mayson descheuë) et qu'il ait l'esprit fort gentil et bien estudié, si est-ce que c'est plus son jugement qui le porte a ce desir que non pas mon advis, qui est que son courage n'est pas pour entrer en ladite sujettion que telle condition requiert. Mais les jeunes gens devorent toutes les difficultés de loin et fuyent a toutes les difficultés de pres.

            Or, Monsieur, il me suffira, s'il vous plaist, de m'escrire un mot qui le puisse aucunement desabuser, car il est force de traitter avec luy ; affin que, sans [se tourmenter] de vous prier, il attende que Dieu luy pourvoye des moyens de nager a ses despens ; ce qui sera bien tost, puisque j'en voy des-ja la semence paroistre sur le champ, qu'il seroit prest a recueillir des maintenant, si la jeunesse luy eust permis d'estre aussi arresté ci devant comme il est resolu de l'estre dores-en-avant.

            Monsieur, je m'interesse avec vous et use librement de ce petit artifice en faveur dé ce jeune homme, que je dois affectionner pour l'esperance qu'il donne de devoir reüscir, et sur tout a la memoire que je dois a Monsieur [44] son oncle. Vous interpreteres le tout en bonne part, comme d'un cœur qui prend toute confiance au vostre.

            Nous sommes icy sans nouvelles, mais non pas sans menaces [de ceux de Genève] de faire beaucoup de maux a nos eglises ; mais la protection de laquelle ilz font profession de tirer leur force, ne leur sera, comme j'espere, jamais donnee pour ces miserables effectz. Dieu nous veuille donner « la paix que le monde ne peut donner, » et vous conserve, Monsieur, longuement et heureusement, selon le souhait de

Vostre tres fidele et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 13 avril 1611.

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DCLXXX. A M. Jacques de Bay. Un père de famille désire que son fils achève ses études au collège de Savoie à Louvain. — Le Saint sollicite l'admission du jeune étudiant

 

Annecy, 26 avril 1611.

 

            Monsieur,

 

            Le sieur Martinet, conseiller de Son Altesse et maistre de la Chambre des Comtes de Savoye, sachant avec combien de prudence et de soin les jeunes gens sont [45] conduitz et gouvernés sous vostr'authorité et direction dans vostre college, il desireroit grandement que son filz, qui a des-ja fait son cours en philosophie, eüt le bien d'y estre receu et retiré, affin que plus heureusement il acheve ses estudes ; et cela, sans aucunement charger la despense du college, puisque pour icelle, il prouvoyeroit de la pension et fourniture requise.

            Or, estimant que, comme je vous honnore et cheris devant un chacun, aussi soys-je aymé et cheri de vous, il a desiré que j'intercedasse pour cet effect aupres de vous. Ce que je fays, vous priant, autant quil se peut, de recevoir ce filz-lâ a ma contemplation et comme filz d'un pere plein d'honneur et de merite ; en quoy vous accroistres le nombre des obligations que je vous ay, pour lesquelles je prie Nostre Seigneur vous combler de ses graces, et suis en luy,

            Monsieur,

Vostre humble confrere et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            Annessi, le XXVI avril 1611.

            A Monsieur

            Monsieur de Bai,

Docteur et lecteur en theologie a Louvain,

President du College de Savoye, Chancelier de l'Université, Doyen de St Pierre.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bruxelles, Bibliothèque des PP. Bollandistes. [46]

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DCLXXXI. A la Mère de Chantal. L'échange du Cœur du Sauveur avec celui d'une « benite Sainte. » — François de Sales désire pour lui et souhaite à la Mère de Chantal la même faveur

 

Annecy, 29 avril [1611.]

 

            Je m'en vay a l'autel, ma chere Fille, ou mon cœur respandra mille souhaitz pour le vostre ; ou plustost, nostre cœur respandra mille benedictions sur soy mesme ; car je parle plus veritablement ainsy.

            O Dieu, ma chere Seur, ma Fille bienaymee, a propos de nostre cœur, que ne nous arrive-il comme a cette benite Sainte de laquelle nous commençons la feste ce soir, sainte Catherine de Sienne, que le Sauveur nous ostast nostre cœur et mist le sien en lieu du nostre ! Mais n'aura-il pas plus tost fait de rendre le nostre tout sien, absolument sien, purement et irrevocablement sien ? Oh qu'il le face, ce doux Jesus ! je l'en conjure par le sien propre et par l'amour qu'il y enferme, qui est l'amour des amours. Que s'il ne le fait (oh ! mais il le fera sans doute, puisque nous l'en supplions), au moins ne sçauroit-il empescher que nous ne luy allions prendre le sien, puisqu'il tient encor sa poitrine ouverte pour cela. Et si nous devions ouvrir la nostre, pour, en ostant le nostre, y loger le sien, ne le ferons-nous pas ?

            Qu'a jamais son saint nom soit beni ! [47]

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DCLXXXII. Au Président Antoine Favre. Les appréhensions et les difficultés d'un voyage à Gex. — Les exigences du service de Dieu et des âmes, plus impérieuses encore

 

Annecy, 30 avril 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Ce porteur vous dira que j'ay un peu d'apprehension de faire le voyage de Gex, auquel neanmoins mon devoir m'oblige, puisque c'est pour le restablissement de l'eglise a Divonne, lieu fort important en ce païs-la. Le rencontre du bruit de guerre, qui n'est pas encor esteint, du refus des passages et de ces fausses nouvelles qui ont couru ces jours passés, me semble estre mal a propos pour cett'occasion d'aller hors l'Estat et parmi monsieur le Grand et monsieur de Lux ; mais je ne vois point de suffisant pretexte pour m'excuser de ce service de Dieu et des ames. Seulement, je m'essayeray d'estre court et revenir le plus vistement qu'il se pourra. J'en escris un mot a monsieur le Marquis de Lans, ad cautelam, si vous le treuves bon.

            J'oubliay de dire a mon frere de la Thuille que monsieur [48] d'Abondance vouloit faire que le Pape prieroit Son Altesse de vouloir quil vous employast a la response du livret, et cela a mon advis, ira mieux. Je suis sans fin ni reserve,

            Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXX avril 1611.

            A Monsieur

Monsieur le premier President de Savoye.

 

Revu sur une copie conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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DCLXXXIII. Au Marquis de Lans. Le Saint donne avis de son voyage à Gex.

 

Annecy, 30 avril 1611.

 

            Monsieur,

 

            Estant appellé pour restablir le saint exercice de la foy en une bourgade du pais de Gex, qui est de mon diocese, [49] mais hors de l'obeissance de Son Altesse Serenissime, j'ay voulu, avant mon depart, donner connoissance a Vostre Excellence de ce petit voyage auquel ma charge m'oblige, affin qu'en toutes occasions j'observe tant quil me sera possible les loix de mon devoir.

Dieu veuille a jamais benir Vostre Excellence, delaquelle je suis,

            Monsieur,

Tres humble et tres affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXX avril 1611.

            A Monsieur,

Monsieur le Marquis de Lans, Lieutenant general,

            Chevalier de S. A. deça les monts.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, Bibliothèque Magliabecchiana

(Autografi Gonnelli, n° 8).

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DCLXXXIV. A Madame de Vignod, Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Divin échange. — Ce qu'il est utile d'imiter dans la vie de sainte Catherine de Sienne. — Dieu seul mérite d'être servi et suivi avec passion. — La Communion fréquente et les âmes faibles. — Ce que font les bergers en Arabie. — L'obéissance assure la protection de Notre-Seigneur

 

Annecy, 30 avril [1611.]

 

            Nostre Sauveur vous arrache le cœur, comme il fit a la devote sainte Catherine de Sienne de laquelle nous [50] faysons ce jourdhuy la feste, pour vous donner le sien tres divin, par lequel vous viviés toute de son saint amour. Quel bonheur, ma tres chere Seur, si quelque jour, au sortir de la sainte Communion, je treuvois mon chetif et miserable cœur hors de ma poitrine, et qu'en sa place fut establi ce pretieux cœur de mon Dieu ! Mais, ma chere Fille, puisque nous ne devons pas desirer des choses si extraordinaires, au moins souhaitte-je que nos pauvres cœurs ne vivent plus desormais que sous l'obeissance et les commandemens du cœur de ce Seigneur. Ce sera bien asses, ma chere Seur, pour, en ce fait, imiter utilement sainte Catherine ; et en cette sorte, nous serons doux, humbles et charitables, puisque le cœur de nostre Sauveur n'a point de loix plus affectionnees que celles de la douceur, humilité et charité.

            Vous seres bienheureuse, ma tres chere Seur, ma Fille, si parmi toutes ces fadaises de partialités, vous vives toute en vous mesme pour Dieu (Dieu, qui seul aussi merite d'estre servi et suivi avec passion) ; car ainsy faysant, ma chere Seur, vous donneres bon exemple a toutes et gaignerés la sainte paix et tranquillité pour vous mesme.

            Laissés, je vous supplie, philosopher les autres sur le sujet que vous aves de communier ; car il suffit pour vostre conscience, que vous et moy sçachions que cette diligence de revoir et de reparer souvent vostre ame est grandement requise pour la conservation d'icelle. Et si vous en voules rendre conte a quelqu'une, vous luy pourres bien dire que vous aves besoin de manger si souvent cette divine viande parce que vous estes fort foible et que, sans ce renforcement, vostre esprit se dissiperoit aysement. Cependant continués, ma tres chere Seur, a bien serrer ce cher Sauveur sur vostre poitrine ; faites qu'il soit le [51] beau et le suave bouquet dessus vostre cœur, en sorte que quicomque vous approche sente que vous en estes parfumee et connoisse que vostre odeur est l'odeur de la myrrhe.

            Tenés vostre esprit en paix, non obstant cet embarrassement qui est autour de vous. Remettés a la plus secrette providence de Dieu ce que vous treuveres de malaysé, et croyés fermement qu'il fera une douce conduite de vous, de vostre vie et de toutes vos affaires.

            Sçavés-vous ce que font les bergers en Arabie quand ilz voyent esclairer, tonner et l'air chargé de foudres ? Ilz se retirent sous les lauriers, et eux et leurs troupeaux. Quand nous voyons que les persecutions ou contradictions nous menacent de quelque grand desplaysir, il nous faut retirer, et nous et nos affections, sous la sainte Croix, par une vraye confiance que tout reviendra au prouffit de ceux qui ayment Dieu.

            Or sus, ma chere Fille, ma Seur, tenés bien vostre cœur ramassé, gardés-vous fort des empressemens. Jettés souvent vostre confiance en la providence de Nostre Seigneur ; soyés toute asseuree que plustost le ciel et la terre passeront, que Nostre Seigneur manque a vostre protection, tandis que vous serés sa fille obeissante, ou au moins desireuse d'obeir. Deux ou troys fois le jour, pensés si vostre cœur est point inquieté de quelque chose, et treuvant qu'il l'est, taschés soudain a le remettre en repos.

            A Dieu, ma chere Fille ; Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur.

FRANÇS, E. de Geneve. [52]

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DCLXXXV. A la Présidente Brulart. Progrès spirituel de la Mère de Chantal. — Les tribulations et la sainteté. — Qu'est-ce qui approche Notre-Seigneur de nos cœurs

 

Annecy, avril 1611.

 

            Ma tres chere Seur,

 

            Escrivant a monsieur vostre mary en recommandation d'un mien amy, chanoine de Lyon, je vous fay ce petit billet pour tout simplement vous saluer de tout mon cœur, non seulement en mon nom, mais de la part encor de la chere et bonne seur madame de Chantal, laquelle va de bien en mieux pour sa santé et, pour le dire encor entre nous deux, pour sa sainteté, a laquelle les tribulations et maladies sont fort propres pour donner de l'avancement, a cause de tant de solides resignations qu'il faut faire es mains de Nostre Seigneur.

            Vivés toute pour Dieu, ma chere Fille, et puisqu'il faut que vous vous exposies a la conversation, rendés-vous y utile au prochain par les moyens que souvent je vous ay escritz. Et ne pensés pas que Nostre Seigneur soit plus esloigné de vous tandis que vous estes emmi le tracas auquel vostre vocation vous porte, qu'il ne seroit si vous estiés dans les delices de la vie tranquille. Non, ma tres chere Fille, ce n'est pas la tranquillité qui l'approche de nos cœurs, c'est la fidelité de nostr'amour ; ce n'est pas le sentiment que nous avons de sa douceur, mais le consentement que nous donnons a sa sainte volonté, laquelle il est plus desirable qu'elle soit executee en nous, que si nous executions nostre volonté en luy. [53]

            Bon jour, ma tres chere Seur, ma Fille. Je prie cette souveraine Bonté qu'elle nous face la grace de la bien chercher par amour, et suis en elle tout entierement,

            Madame,

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCLXXXVI. A la Présidente Favre (Inédite). L'ambition d'un prédicateur de Carême. — Les cœurs simples et humbles, et la Croix

 

Annecy, 2 mai 1611.

 

            Ce seroit une faute inexcusable, ma tres chere Seur, ma Fille, de laisser partir un porteur si fidelle sans luy donner une lettre pour vous. Vrayement je m'en res-jouis aussi dequoy bien tost nous aurons le bien de vous voir icy, en attendant le Caresme prochain, auquel sans doute je porteray une extreme affection de gaigner beaucoup d'ames a Celuy qui, pour les gaigner toutes, voulut bien perdre sa tres digne vie sur la croix. Mais, ma chere Seur, voules vous bien que je vous die ma pensee ? Je crains infiniment de rencontrer trop de sagesse. Certes, c'est grand cas comme la Croix ayme les cœurs simples et humbles. Neanmoins, c'est le Sauveur que je presche, lequel remplit les vallees et explane ou abbaisse les montagnes.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Seur, ma Fille. Je suis tout en luy, [54]

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            2 may 1611.

A Madame la premiere Presidente de Savoye.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation de Montélimar. [54]

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DCLXXXVII. Au Président Antoine Favre. Le Saint s'en remet à son ami pour informer le Sénat qu'il accepte l'invitation de prêcher le Carême de 1612

 

Annecy, 4 mai 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Voyla, dans cette lettre que j'addresse a Messieurs du Senat, la promesse que je leur fay du saint service qu'ilz ont desiré de moy. Monsieur de Monthouz m'a prié de la luy envoyer, affin quil la rende, puisqu'il a eu charge de me donner la demande. Mays vous en feres a vostre gré, car a cett'intention je vous confie le tout, vous estant des-ja tout confié moymesme, comme Dieu et les hommes sçavent.

            J'escris simplement qu'ouy, et n'ay pas eu le courage, ou pour mieux dire la temerité, d'entreprendre de contrepointer les belles pointes de la lettre que j'ay receue en leur nom. Sil vous plait d'enrichir mon offrande de complimens, vous le pourres faire en asseurance, car vous ne devanceres point mon affection par tous les ornemens avec lesquelz vous l'exprimeres. [55]

            Je pars demain pour Gex, avec le congé de monsieur le Marquis, et suis sans fin ni reserve,

Vostre tres humble frere et serviteur,

F., E. de Geneve.

            4 may 1611.

            A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

            Conseiller d'Estat de S. A., premier President de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

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DCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. La religion catholique à Gex ; espérance de l'y voir refleurir. — L'apostolat du Saint ; un résultat qu'il n'estime pas médiocre

 

Gex, vers 10 mai 1611.

 

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            Dieu, qui en cela m'assiste, veuille retirer et ma personne et mes actions a sa gloire et a son honneur, selon nostre souhait. …

            Sa Bonté me fait savourer des douceurs, certes, extraordinaires et suaves et qui ressentent au lieu d'ou elles viennent. O que nostre Sauveur est bon et comme il traitte tendrement avec mon pauvre chetif courage ! Mays je suis bien resolu de luy estre fort fidele, et specialement au service de nostre cœur que, plus sensiblement que jamais, je voy et sens estre unique. O Dieu, ma chere Fille, qui pouvoit mesler si parfaitement deux [56] espritz qui ne fussent qu'un seul esprit, indivisible, inseparable, sinon Celuy qui est unité par essence ?

            Les affaires de la religion, qui s'accroissent icy tous les jours, me feront arrester plus longuement que je ne pensois, ma tres chere Fille ; mais certes tres aggreablement, puisque c'est pour la gloire de Dieu et le service des ames qu'il a rachetees, lesquelles, en divers lieux de ce balliage, demandent qu'on leur restablisse le saint exercice. Mon Dieu, ma tres chere Fille, que ce m'est une honnorable et douce peyne que celle-cy, qui me fait esperer que, sinon maintenant, au moins par ci apres, tout ce païs pourra estre purgé de tant d'infection que le malheur de l'heresie y avoit assemblé.

            Hier nous restablismes le saint exercice a Divonne, gros et beau village. Ces jours suivans, il y a apparence d'en faire de mesme en deux autres, et outre cela, nous prescherons icy et parlerons a quelques ames desvoyees ; et bien que peut estre ne les reduirons-nous pas, parce que, pour l'ordinaire, les considerations humaines empeschent celles de leur salut, si est-ce que nous ne pensons pas peu faire quand nous leur faysons confesser que nous avons rayson, comme plusieurs ont fait jusques a present. Priés particulierement ce Sauveur, ma tres unique Fille, pour la conversion de ceux pour lesquelz j'ay commencé de travailler, affin qu'ilz voyent la sainte verité, sans laquelle ilz ne sçauroyent que se perdre.

            Mille et mille fois le jour mon cœur se treuve chez vous, avec mille et mille souhaitz qu'il respand devant Dieu pour vostre consolation. Hé, Seigneur Jesus, vivés et regnés eternellement dans ce cœur que vous nous aves donné.

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [57]

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DCLXXXIX. A M. Jean de Chatillon (Inédite). Recommandation en faveur d'un solliciteur dans la gêne.

 

Gex, 15 mai 1611.

 

            Monsieur,

 

            Je vous prie d'avoir en recommandation ce porteur pour tout ce que justement il pourra desirer de vostre faveur. Sa pauvreté me porte a cette priere, comme vos merites me feront tous-jours tesmoigner que je suis,

            Monsieur,

Vostre humble confrere en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XV may 1611, a Gex.

            A Monsr

            Monsr de Chatillon,

Docteur en theologie, Plebain de Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, chez les Dames de Saint-Maur. [58]

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DCXC. Au grand-prieur et aux Religieux de Saint-Claude. La chrétienté de Divonne et les frais dn culte sont confiés au zèle des Religieux de Saint-Claude.

 

Gex, 17 mai 1611.

 

            Messieurs,

 

            J'ay pris ma bonne part du contentement que messieurs vos confreres ont eu au restablissement du saint exercice en l'eglise d'Ivonne, ou je ne doute point que vous ne facies de plus en plus paroistre le zele que vous aves au service de Nostre Seigneur, comme je vous supplie faire au soin du redressement et ameublement [59] de l'autel ; et de mesme en la diligence de prouvoir le curé de l'entretenement qui luy est requis, lequel, affin quil ne demandast que raysonnable, je luy ay taxé conformement a celuy que vous donnés au curé de Sessi.

            Au demeurant, je prie sa divine Majesté qu'elle vous comble de ses plus desirables faveurs, et ay un tres grand desir de pouvoir un jour, ains toute ma vie, tesmoigner combien je vous honnore, et suis,

            Messieurs,

Vostre bien humble confrere et serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Gex, 17 may 1611.

            A Messieurs,

Messieurs les Grand Prieur et Religieux de St Claude.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, Bibliothèque nationale,

Galerie Mazarine, vitrine XXXII, n° 324. [60]

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DCXCI. A la Mère de Chantal. Annonce du retour à Annecy

 

Gex, 19 mai 1611.

 

            Je manque a ma parole, ma tres chere Fille, mais je ne manque pas au desir d'estre ce soir a Neci. Ce sera demain, Dieu aydant, car les affaires le requierent ainsy. Or sus, en attendant, bon soir, ma tres unique Fille ; Nostre Seigneur vous comble de son amour.

            J'ay eu un peu de peyne pour la maladie de la petite tres chere seur, bien que j'en espere bonne issue. Je salue toutes nos filles. Mais vray, ma tres chere Fille, vous estes voyrement tout uniquement et veritablement moy mesme.

            Vive Jesus ! Amen.

            19 may, a Gex.

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DCXCII. A la même. Effusions de ferveur. — Fruit du mystère de la Pentecôte. — L'esprit de force et l'esprit de sagesse ; l'amour sacré et la souveraine Unité

 

Annecy, [22 mai 1611.]

 

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            Oste toy d'icy autour, o vent de bise, et viens, o vent de midy, et souffle dans mon jardin, et les parfums [61] en sortiront abondamment. O ma tres chere Fille, que je souhaitte ce gracieux vent qui vient du midy de l'amour divin, ce Saint Esprit qui nous donne la grace d'aspirer a luy et de respirer pour luy.

            Ah ! que je voudrois bien vous faire quelque don, ma chere Fille ; mays, outre que je suis si pauvre, il n'est pas convenable qu'au jour auquel le Saint Esprit fait ses presens, nous nous amusions a vouloir faire les nostres ; il ne faut entendre qu'a recevoir au jour de cette grande largesse. Mon Dieu, que j'en ay voyrement bien besoin de l'esprit de force ! car je suis, certes, foible et infirme, dequoy neanmoins je me glorifie, affin que la vertu de mon Seigneur habite en moy. J'ayme mieux estre infirme que fort devant Dieu, car les infirmes, il les prend entre ses bras et les fortz il les mene par la main. La Sapience eternelle soit a jamais dans nostre cœur, affin que nous savourions les tresors de l'infinie douceur de Jesus Christ crucifié.

            Dites a la grande fille, que, comme moy, elle se glorifie en sa foiblesse, qui est toute propre pour recevoir la force ; car, a qùi donner la force qu'aux foibles ?

            Bon soir, ma tres chere Fille. Ce feu sacré qui change tout en soy, veuille bien transmuer nostre cœur, affin qu'il ne soit plus qu'amour et qu'ainsy nous ne soyons plus aymans, mais amour ; non plus deux, mais un seul nous mesme, puisque l'amour unit toutes choses en la souveraine Unité. A Dieu, ma chere Fille ; perseverons au desir de cette unité, de laquelle Dieu nous ayant fait jouir des icy, autant, que nostre condition infirme le peut porter, il nous en fera plus parfaitement jouissans au Ciel.

FRANÇS, E. de Geneve. [62]

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DCXCIII. A la même. Les armes et la devise de la Visitation. — La Congrégation est « vrayement un ouvrage du cœur de Jesus et de Marie. » — Ses armes symbolisent la soigneuse mortification du cœur, propre à l'Institut

 

Annecy, 10 juin 1611.

 

            Bon jour, ma tres chere Fille. Un accommodement qu'il me faut faire ce matin entre deux de nos pasteurs de Gex, me prive de la consolation d'aller voir mes plus cheres brebis et de les repaistre moy mesme du Pain de vie. Voyla M. Rolland qui va suppleer a mon defaut. Toutefois, il n'est [pas] asses bon messager pour vous porter la pensee que Dieu m'a donné cette nuit : que nostre maison de la Visitation est, par sa grace, asses noble et asses considerable pour avoir ses armes, son blason, sa devise et son cri d'armes. J'ay donq pensé, ma chere Mere, si vous en estes d'accord, qu'il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé de deux flesches, enfermé dans une couronne d'espines, ce pauvre cœur servant d'enclaveure a une croix qui le surmontera, et sera gravé des sacrés noms de JESUS et MARIE.

            Ma Fille, je vous diray a nostre premiere veuë mille [63] petites pensees qui me sont venues sur ce sujet ; car vrayement, nostre petite Congregation est un ouvrage du cœur de Jesus et de Marie. Le Sauveur mourant nous a enfantés par l'ouverture de son sacré cœur ; il est donq bien juste que nostre cœur demeure, par une soigneuse mortification, tous-jours environné de la couronne d'espines qui demeura sur la teste de nostre Chef, tandis que l'amour le tint attaché sur le throsne de ses mortelles douleurs.

            Bon jour encor, ma Fille ; j'apperçois entrer nos plaideurs qui viennent interrompre la paix de mes pensees.

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DCXCIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Sollicitation de la grâce pour un coupable

 

Annecy, 12 juin 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Quelques vertueux gentilshommes et moy, ayans, Dieu merci, terminé les poursuites que le sieur de Blonnay faysoit a rayson de la perte de son filz contre le sieur [64] de Saint Paul, par un amiable et chrestien appaysement de toute inimitié et dispute, j'ay creu que je devois en donner asseurance a Vostre Altesse, affin quil luy playse de plus facilement incliner sa clemence et donner sa grace a celuy qui, ayant la paix avec sa partie par cet accomodement, et le pardon de Dieu par la contrition et confession, n'a plus a rechercher que la remission de la peyne, que Vostre Altesse seule luy peut ouctroyer et que la debonnaireté d'icelle luy fait esperer.

            Et moy, je continue a reclamer la divine Bonté pour le parfait bonheur de Vostre Altesse, delaquelle je suis,

            Monseigneur,

Tres humble, tres fidele et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XII juin 1611.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Bibliothèque communale de Nantes

(tome XVI, fol. 201, pièce 221). [65]

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DCXCV. Au même. Défense du Saint contre une calomnie. — Son inviolable fidélité au duc de Savoie. — Ce qu'il a fait à Gex. — Il a déjà rendu compte de tout ce qu'il a appris discrètement sur les projets des Français. — Une proposition du sieur de la Nous. — Les Suisses catholiques et le pays de Berne. — Vains efforts des brouillons et des calomniateurs pour représenter l'Evêque de Genève « avec des affections estrangeres »

 

Annecy, 12 juin 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Ayant esté adverti que l'on m'avoit chargé aupres de Vostre Altesse de fayre certains mauvais mesnages d'Estat avec les estrangers, j'en ay esté le plus estonné du monde, ne pouvant m'imaginer sur quell'apparence de fondement on peut bastir cette calomnie. Car encor que ces jours mon devoir m'ayt necessite d'aller a Gex et y arrester quelque tems, si est ce que non plus lâ qu'ailleurs je ne me suis meslé de fayre ou dire chose aucune que selon ma profession, preschant, disputant, reconciliant les eglises, consacrant les autelz, administrant les Sacremens.

            Et non seulement je n'ay point fait de mesnage contre le service de Vostre Altesse (ce qui ne m'est jamais arrivé ni ne m'arrivera jamais, ni en effect, ni en pensee), mais au contraire, autant que la discretion et le respect que je doy a ma qualité me le permettent, j'ay observé tout ce que j'estimois estre considerable pour le service de Vostre Altesse, affin de luy en donner advis, comme [66] j'eusse fait par escrit si, a mon retour, je n'eusse treuvé le commandement qu'elle me donnoit de les porter de bouche a monsieur le Marquis de Lanz, auquel je parlay en toute franchise et naifveté ; l'asseurant entr'autres choses, que les bruitz touchant le dessein des François sur Geneve n'estoyent que des vrayes chimeres, que quelques uns avoyent peut estre fabriquées pour rendre probables leurs prætendus services. Car, en vraye verité, les François n'avoyent eu aucun' intention de surprendre a force cette ville-la, ayans trop d'apprehension d'esmouvoir les humeurs des heretiques de France et de leur faire prendre les armes, comm'ilz feront, silz peuvent, toutes fois et quantes qu'on fera de telz coups contr'eux : tellement que ni monsieur le Grand de Bellegarde, ni monsieur de Lux n'oserent jamais y aller, quoy qu'ilz y fussent invités, de peur d'accroistre le soupçon que quelques uns en avoyent.

            Vray est que le sieur de la Noüe proposa la dedans, par maniere de conseil, qu'il seroit expedient de remettre les murailles au Roy de France, pour eviter les perilz qu'elles couroyent a tous momens. Mays, soit quil donnast cett'atteinte par le commandement de la Reyne, soit quil la fit de son propre mouvement (dequoy je n'ay rien sceu apprendre de certain), elle fut si mal receüe, que [67] ceux de la ville, en diverses occurrences, disoyent tout haut qu'ilz se donneroyent plustost au malin qu'a Vostre Altesse et plustost a Vostre Altesse qu'au Roy ; d'autant que, non seulement Vostre Altesse les recevroyt a meilleur marché que le Roy, mays quand elle voudroit alterer les conditions de leur donation, ilz auroyent plus de moyen de la rompre par l'assistence des voysins, que quand elle seroit faite en faveur du Roy. Et ne sçai si, pour ce regard, il vint point a propos qu'a mesme tems les Souisses qui revenoyent d'aupres de Vostre Altesse dirent en passant des merveilles en faveur des droitz qu'ell'a sur le pais de Vaux ; dequoy ceux de Geneve furent extremement esmeuz.

            Et sur ce propos, j'appris de divers discours des François, que si nostre Saint Pere se remuoyt un peu vivement envers les Soüisses catholiques et la Reyne, comm' il le doit faire en consideration de la religion, il n'y auroit point de difficulté de faire heureusement reuscir les prætentions de Vostre Altesse contre les Bernoys, desquelz la grandeur est de longuemain ennuyeuse aux Suysses catholiques, et puisque la Reyne doit plus desirer l'amoindrissement du parti huguenot, que soupçonner l'aggrandissement de Vostre Altesse.

            Je dis plusieurs autres particularités a monsieur le Marquis de Lanz, desquelles sans doute il aura eü bonne memoire pour les representer a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement de croire que j'ay gravé trop avant en mon cœur le devoir que je luy ay, pour jamais me relascher a faire chose qui puisse tant soit peu nuyre au service de ses affaires, et que j'ay une trop grande [68] aversion au tracas des choses d'Estat, pour jamais y vouloir penser d'un'attention deliberee. Ni moy, Monseigneur, ni pas un de mes proches n'avons, ni en effect, ni en prætention, aucune chose hors l'obeissance de Vostre Altesse. Je ne sçai donq comment la calomnie ose me representer avec des affections estrangeres, puisque mesme je vis, Dieu merci, de telle sorte que, comme je ne merite voyrement pas d'estre en la bonne grace de Vostre Altesse, n'ayant qui puisse dignement correspondre a cet honneur la, aussi merite-je de n'estre jamais en sa disgrace, ne faysant ni n'affectionnant rien qui me puisse porter a ce malheur, que je ne crains aussi nullement, moyennant l'ayde de Nostre Seigneur, qui, en faveur de la veritable fidelité que je conserve a Vostre Altesse, ne permettra jamais que les brouillons et calomniateurs m'ostent la gloire que j'ay d'estr'advoüé,             Monseigneur,

            Invariable, tres humble, tres fidele et tres obeissant serviteur et orateur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XII juin 1611.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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DCXCVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Le rétablissement du culte à Gex et part qu'y a prise le Chapitre de Genève. — Sollicitation du placet royal pour lui annexer un bénéfice. — Petites nouvelles. — Retour à la foi d'un gentilhomme. — Pourquoi la connaissance de la vérité n'est pas toujours suivie de la conversion.

 

Annecy, 15 juin 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Nostre Chapitre de Geneve a plus cooperé aux commencemens de l'establissement de l'exercice catholique [69] a Gex qu'aucuns ecclesiastiques ; car, outre que monsieur le Prevost, messieurs Grandis, Bochuti et Gottri, chanoynes dudit Chapitre, ont esté les premiers qui ont fait residence a leurs despens en ce pais-lâ durant un'annee, ce fut ce Chapitre qui fournit aux fraitz que je fis, estant encor Prevost, pour la sollicitation de la confirmation de l'establissement. En consideration de cela, un certain seigneur de Monluel, qui par longues annees avoit possedé un petit benefice simple audit Gex, de la valeur d'environ 20 ou 25 escus de revenu, ayant de son gré et par son election desiré que ce sien benefice fut uni a nostre dit Chapitre, je l'ay fait encor plus volontier, comme chose sainte et juste.

            Mays d'autant qu'a l'adventure, les cours laïques, en cas quil y eut quelque controverse ci apres, requerront que les proviseurs ayent le placet ou brevet du Roy, et que la valeur du benefice n'est pas si grande qu'on puisse envoyer expres pour en faire la supplication a Sa Majesté (a laquelle mesme, en tous evenemens, nous n'aurions aussi pas moyen d'avoir bon acces que par vostre entremise), partant nous vous supplions tres humblement tous, que si ce n'est point vostre incommodité, il vous playse [70] impetrer ledit placet. La petitesse de la piece, le travail passé de ceux de ce Chapitre, vostre credit, nous rendent un'esperance certaine que cela ne sera pas fort malaysé ; car, bien que nostre Chapitre reside maintenant, par emprunt, de deça, si est ce que naturellement il est de Geneve. Et Messieurs de Saint Claude, estrangers non seulement au regard du royaume, mays encor au regard du diocæse, ont bien obtenu plusieurs placetz pour divers benefices de ce pais-la de Gex, ou ilz n'ont rendu, que je sache, aucun service comparable a celuy que nos chanoynes ont fait.

            Voyla, Monseigneur, ma requeste envers vous, et voyci mes petites nouvelles. Je fus l'autre jour a Gex, aupres de monsieur le Grand et monsieur de Lux, ou j'eu la consolation de retirer un gentilhomme et cappitayne de la religion a la foy catholique, de reconcilier deux eglises parrochiales, et, en quatre sermons, d'esbransler plusieurs haeretiques, et leur fayre advoüer que la verité catholique estoit belle, quoy que diffìcile a comprendre. Mais comme ce n'est pas tous-jours l'erreur de l'entendement, ains le defaut de la volonté et l'impureté des affections qui tient les hommes hors de l'Eglise, aussi n'y rentrent-ilz pas tous-jours quand ilz connoissent la verité d'icelle.

            A cette consolation, messieurs le Grand et de Lux en adjoustoyent presque ordinairement une autre, qui estoit de me parler de vous et de vos merites comme l'honneur amoureux que je vous porte me pouvoit faire desirer. A mon retour, je treuvay que mon voyage n'avoit pas esté seulement fertile en consolation, selon sa petitesse, mais [71] aussi, de ce costé de deça et de dela les mons, de soupçons et calomnies, que la verité neanmoins effacera, comme je pense, par la suite de quelques jours.

            Il failloit dire ce mot de confiance avec vous, qui me donnés si abondamment le bonheur de vostre amitié, que tout le monde s'en res-jouit avec moy, et particulierement ces seigneurs dont je viens de dire les noms. Continués, je vous supplie, Monseigneur, et croyés que je suis invariablement,

Vostre...

 

Revu en partie sur l'Autographe conservé à Issy (Paris), Maison de Philosophie de la Compagnie de Saint-Sulpice.

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DCXCVII. A une religieuse. En quoi consista la rare mortification de saint Jean-Baptiste. — Facilité de l'imiter par la communion spirituelle, à défaut de la Communion réelle. — Homme céleste ou ange terrestre. — Tout nous crie : Amour, amour ! — Des dames qui « font merveilles»

 

Annecy, [vers le 24 juin 1611.]

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Or sus, ma chere Fille, si vous ne pouves bonnement communier souvent reellement, vous vous communieres tant que vous voudres spirituellement.

            Helas ! vous me demandes une bonne pensee sur saint Jean, et celle-cy m'est extremement douce en plusieurs occurrences. Il avoit conneu Nostre Seigneur des le ventre de sa mere ; tressaillant d'ayse de sa presence et de la voix de la Mere d'iceluy, il tesmoigna bien des lhors [72] le contentement qu'il auroit de le voir, de l'ouyr, de converser avec luy. Neanmoins il fut privé de tout cela, et en tout ce que l'Escriture tesmoigne, il ne luy parla jamais deux bonnes fois ; ains, sçachant que ce divin Sauveur preschoit et se communiquoit a tout le monde en Judee, il demeura solitaire dans un desert tout voysin, sans oser le venir voir reellement, quoy qu'il le vist tous-jours spirituellement. Fut-il jamais une mortification esgale, d'estre si proche de son unique et souverain Amour, et, pour l'amour de luy, demeurer sans le voir, sans l'ouyr, sans l'escouter ? Et bien, ma chere Fille, vous en feres de mesme, proche du Sacrement ou Jesus est ; car vous ne le gousteres qu'en esprit, comme saint Jean.

            Mon Dieu ! on ne sçauroit dire si ç'a esté un homme celeste ou un ange terrestre. Sa casaque d'armes, faite de poil de chameau, representoit son humilité qui le couvroit par tout ; sa ceinture de peau morte, mise sur son ventre et sur ses reins, signifioit la mortification avec laquelle il restrecissoit et serroit toutes ses concupiscences. Il mangeoit des sauterelles, pour monstrer que si bien il estoit en terre, il sautoit neanmoins perpetuellement en Dieu. Le miel sauvage luy servoit de saulce, parce que la suavité de l'amour de Dieu assaisonnoit toutes ses austerités ; mais cet amour estoit sauvage, parce qu'il ne l'avoit pas appris des maistres, ains des arbres et des pierres, comme dit saint Bernard.

            Mon Dieu, ma Fille, mangeons et du sauvage et du domestique ; amassons de ce saint amour a toutes occasions, et par l'exemple de nos Seurs et par la consideration des autres creatures ; car tout crie aux aureilles de nostre cœur : Amour, amour. O saint amour, venés donq et possedés nos cœurs tres uniquement.

            Vrayement, nos bonnes Dames de la Visitation font merveilles, et qui les void en est tout consolé. Vive Jesus !

            Je suis en luy, extremement vostre, ma chere Fille.

FRANÇS, E. de Geneve. [73]

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DCXCVIII. A la Mère de Chantal. Louanges de saint Jean-Baptiste : plus que vierge, plus que confesseur et prédicateur, plus que docteur et martyr, plus qu'évangéliste et apôtre, plus que prophète et patriarche, plus qu'ange et plus qu'homme. — Ses prérogatives admirables. — Quelqu'un de plus grand encore

 

Annecy, 24 juin [1611.]

 

            Helas, ma tres chere Fille, que n'ay-je quelque digne sentiment de joye pour cet homme angelique ou cet ange humain duquel nous celebrons la naissance ! Mon Dieu, que j'aurois de suavité de m'en entretenir moy mesme ! Mais j'e vous asseure que la grandeur de mon interieure pensee m'empesche de me donner cette satisfaction a moy mesme.

            Je le treuve plus que vierge, parce qu'il est vierge mesme des yeux, qu'il a plantés sur les objetz insensibles du desert et ne sçait point par les sens qu'il y ait deux sexes ; plus que confesseur, car il a confessé le Sauveur avant que le Sauveur se soit confessé luy mesme ; plus que predicateur, car il ne presche pas seulement de la langue, mais de la main et du doigt, qui est le comble de la perfection ; plus que docteur, car il presche sans avoir ouy la source de la doctrine ; plus que martyr, car les autres martyrs meurent pour Celuy qui est mort pour eux, mais luy meurt pour Celuy qui est encor en vie, et contreschange, selon sa petitesse, la mort de son Sauveur avant qu'il la luy ait donnee ; plus qu'evangeliste, car il presche l'Evangile avant qu'il ait esté fait ; plus qu'apostre, car il precede Celuy que les Apostres suivent ; plus que prophete, car il monstre Celuy que les Prophetes predisent ; plus que patriarche, car il voit Celuy qu'ilz ont [74] creu, et plus qu'ange et plus qu'homme, car les Anges ne sont qu'espritz sans cors, et les hommes ont trop de cors et trop peu d'esprit : celuy ci a un cors et n'est qu'esprit.

            J'ay un goust extreme a le regarder dans ce sombre, mais bienheureux desert qu'il parfume de toutes parts de devotion, et dans lequel il respand jour et nuit des soliloques et devis extatiques devant le grand objet de son cœur ; cœur qui, se voyant seul a seul, jouit de la presence de son Amour, treuve en la solitude la multitude des douceurs eternelles, la ou il succe le miel celeste qu'il ira par apres bien tost distribuer dans les ames des Israëlites aupres du Jourdain.

            Mon Dieu, ma chere Fille, que voyla un admirable Saint ! Il naist d'une sterile, il vit dans les desertz, il presche au cœur aride et pierreux, il meurt parmi les martyrs, et parmi toutes ces aspretés il a son cœur tout plein de grace et de benediction. Mays cecy est encor admirable, que Nostre Seigneur ayant dit qu'entre tous ceux qui estoyent nés de femme, nul n'estoit plus grand que Jean, il adjouste : Voire, mais celuy qui est le moindre au Royaume des cieux, c'est a dire en l'Eglise, est plus grand que luy. O ma chere Fille, il est vray, car le moindre Chrestien communiant est plus grand en dignité que saint Jean. Et que veut dire que nous sommes si petitz en sainteté ?

            Bon soir, ma chere Fille, et a toute la chere trouppe de nos Filles. Le bon saint Jean les veuille benir avec leur chere Mere.

FRANÇS, E. de Geneve. [75]

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DCXCIX. A la même (Fragment). Le mystère de la Visitation. — La très sainte Vierge en la maison de Zacharie ; effets miraculeux de sa présence. — Effusions d'humble amour pour le Verbe incarné

 

Annecy, 1er ou 2 juillet [1611.]

 

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            Je vous laisse a penser, ma Fille, quelle bonne odeur respandit en la maison de Zacharie cette belle fleur de lis, trois mois qu'elle y fut ; comme chacun en estoit embesoigné et comme avec peu, mais de tres excellentes paroles, elle versoit de ses sacrees levres le miel et le bausme pretieux ; car, que pouvoit-elle espancher que ce dequoy elle estoit pleine ? Or, elle estoit pleine de Jesus.

            Mon Dieu, ma Fille, je m'admire tant que je suis encor si plein de moy mesme apres avoir si souvent communié ! Hé, cher Jesus, soyes l'Enfant de nos entrailles, affin que nous ne respirions ni ressentions par tout que vous. Helas ! vous estes si souvent en moy, pourquoy suis-je si peu souvent en vous ? Vous entres en moy, pourquoy suis-je tant hors de vous ? Vous estes dans mes entrailles, pourquoy ne suis-je dans les vostres pour y fouiller et recueillir ce grand amour qui enivre les cœurs ?

            Ma Fille, je suis tout parmi cette chere Visitation, en laquelle nostre Sauveur, comme un vin tout nouveau, fait bouillonner de toutes parts cette affection amoureuse dedans le ventre de sa sacree Mere.

FRANÇS, E. de Gèneve.

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DCC. A M. Antoine des Hayes. Assurance réciproque d'invariable amitié. — Eloge du Prieur des Feuillants et pour quelles raisons particulières il s'est fait estimer du Saint. — Rupture d'un mariage princier. — Le deuil d'un ami. — Il n'est pas accordé à l'Evêque de Genève d'aller prêcher un Carême à Paris. — La marquise de Maignelay. — Derniers jours d'un poète

 

Annecy, 11 juillet 1611.

 

            Monsieur,

 

            Hier seulement que ce digne porteur, le P. Prieur des Feuillans, m'arriva, je receu la lettre que vous m'escrivites par luy mesme le VI avril. C'est tous-jours avec mille joyes que tels tesmoignages de vostre bienveüillance m'adviennent, et quoy que vos lettres soyent vielles en dates, elles me donnent neanmoins des contentemens nouveaux.

            Mays je voy en celle-ci, que vous aves longuement [77] esté sans en avoir des miennes J'avoue sincerement mes fautes, mais celle ci, elle n'est pas mienne, ains des porteurs ; car je sçai bien que tous-jours, quand je puis, je vous escris de mes nouvelles, non seulement par ce que vostre desir a tout pouvoir sur ma volonté, mais aussi par ce que ma volonté a perpetuellement ce desir de vous parler, comm'il m'est possible de parler de vous et de vous oüir ou voir parler a moy. Je ne refuse pourtant pas l'amiable offre que vous me faites de ne changer jamais ni varier en l'amitié que vous me portés, soit que je vous escrive ou que je ne vous escrive point. Non, Monsieur, je vous en supplie, ne varies jamais en cette affection que vous aves pour moy ; car croyes qu'aussi, soit que j'escrive, comme je feray Dieu aydant, ou que je n'escrive pas, je ne varieray jamais en la resolution que j'ay faite d'estre a jamais homme tres veritablement vostre et tout vostre, sans reserve ni exception. Je parle le langage de mon cœur et non pas celuy de ce tems. Or, selon mon sentiment, c'est tout dit quand je dis que je suis tout vostre, et peu dit si je dis moins que cela.

            Ce Pere, que j'honnorois des-ja bien fort pour les fruitz que j'avois veu de son esprit, m'a lié a son amour et respect d'un lien indissoluble quand j'ay conneu en luy un si grand assemblage d'erudition, d'entendement, de [78] vertu, de pieté, et, entre ses vertus, l'estime quil fait de la vostre et du bien de vostre conversation ; car c'est une des maximes plus entieres de mon ame, que j'honnoreray quicomque vous honnorera et cheriray quicomque vous cherira.

            Que de bruitz, que de vaynes esperances, que de vrayes afflictions avons nous eu par deça ! Mays, graces a Dieu, nous voyci maintenant avec grand'apparence de tranquillité. Nous avions longuement attendu quelle issue prendroit le traitté si longuement entretenu du mariage de Mlle d'Anet et de nostre Monsieur ; mays a ce qu'on nous dit, nous n'en devons plus rien attendre, puisque tout en est cassé. Et Dieu veuille que certaines nouvelles esperances qu'on nous propose soyent plus asseurees que celles que nous venons de perdre n'ont esté.

            Nostre monsieur de Charmoysi est a Chamberi, il y a quelques jours, ou je luy ay envoyé la nouvelle de la perte de son second filz, mon fileul. Je croy quil la ressentira, car ayant retiré son cœur de la cour, il l'avoit mis en sa femme, ses enfans et ses amis.

            Je me res-jouis que Monsieur de Monpelier soit a Paris le Caresme suivant, a joüir de la douceur de vostre presence, a laquelle croyes que j'aspire souvent, mays pour neant, puisque ayant, plusieurs foys fait demander congé a Son Altesse de pouvoir aller fair'un Caresme en vostre ville, je n'ay sceu jusques a present l'obtenir, ni mesm' autre response sinon quil y failloit penser. Mays nul ne me sçauroit empescher que d'esprit et de cœur je n'y sois journellement aupres de vous, a vous honnorer, cherir et embrasser de toutes mes forces. [79]

            Madame la Marquise de Meneley me fait trop de grace de se resouvenir de moy, et encor plus de desirer que j'aille là. Je suis son tres humble serviteur et porte singuliere reverence a son merite. Mays d'aller lâ, je n'en puis rien dire, sinon que ce sera quand je pourray ; mays de sçavoir quand je pourray, il n'est pas en mon pouvoir.

            Monsieur Nouvelet, qui va petit a petit achevant le petit reste de sa vie, a desiré que je vous asseurasse de son humble affection. Sur tout, je vous asseure de la mienne, et vous souhaitant toute prosperité, je suis,

            Monsieur,

Vostre tres humble et fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Monsieur, j'ay loüé Dieu quand on m'a fait sçavoir de Lion que vous esties gueri d'une grande maladie, avant que j'aye sceu que vous en ayes esté atteint. Dieu vous conserve, et je m'en res-jouis avec madame vostre femme, delaquelle je suis de mesme humble serviteur.

            XI julliet 1611.

            A Monsieur

            Monsieur des Haÿes, Maistre d'hostel du Roy, Gouverneur et Baillif de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Rouen. [80]

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DCCI. A Madame de Bertrand de la Perrouse (Inédite). Les insistances d'un jeune gentilhomme. — Prudence et charité du Saint dans une affaire délicate.

 

Annecy, 27 juillet 1611.

 

            On est bien empesché avec ces amoureux, ma chere Fille ! Voyci ce jeune gentilhomme qui me demande une lettr'a vous pour vous rendre plus recommandables ses prætensions, et moy je me resouviens bien de ce que vous m'escrivistes lautrefois, quil failloit conduire l'affaire tout bellement et le presser a loysir. C'est pourquoy je ne vous prie sinon de luy donner les advis convenables a sa conduite pour ce regard, et a moy ceux [de] ce quil pourra esperer, affin que la poursuite ou la retraitte se face a cette mesure-lâ.

            Mays cependant, ma tres chere Fille, je suis bien ayse de vous escrire ainsy de tems en tems, et vous resouvenir [81] de mon ame, qui ne cesse point de souhaitter mille perfections a la vostre, pour la gloire de Nostre Seigneur qui m'a rendu,

            Ma tres chere Seur, ma Fille,

Vostre humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVII julliet 1611, a Neci.

            Je ne sçai si monsieur vostre mari est lâ ; en ce cas, je le salue bien humblement, et suis son serviteur en tous cas.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la comtesse de Noailles, château de Buzet (Lot-et-Garonne).

DCCII. A la Mère de Chantal. Mgr Camus annoncé pour une exhortation à la Galerie

 

Annecy, [vers le 30 juillet 1611.]

 

            Nous avons donq pris cette matinee pour vous faire avoir l'exhortation de Monseigneur de Belley, qui tesmoigna hier de desirer de vous voir. Ce sera sur les neuf heures et demi, ma chere Fille et tres bonne Mere, a qui je donne mille fois le bon jour.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [82]

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DCCIII. Au Président Antoine Favre. Message confié à un ami

 

Annecy, 30 juillet 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je vous addresse ce paquet pour le peu d'asseurance que j'ay eu en ce porteur. Faites moy la grace de le faire porter a M. Gros, l'advocat, sil est encor a Chamberi. Que si de fortune il estoit parti pour Thurin, ou il me dit quil devoit aller, je vous supplie le luy faire aussi tenir ; car je suis certain quil n'ira ni ne demeurera sinon avec vostre congé, tant il fait profession d'estre vostre serviteur.

            Dieu soit a jamais vostre protecteur, et je suis, Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble serviteur et frere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXX julliet 1611, a Neci, ou je salue humblement madame ma seur.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [83]

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DCCIV. A Madame de la Fléchère. Ne rien rabattre de nos pratiques religieuses par respect humain. — Vouloir savoir d'où procèdent les sécheresses : curiosité superflue. — Nouvelles d'un Feuillant, d'un Cordelier, d'un Cistercien. — Une « bonne petite filleule » du Saint, « toute de succre »

 

Annecy, 5 août 1611.

 

            Je n'ay pas plus tost veu monsieur vostre cher mari, que j'ay sceu son despart de cette ville. Cela a esté cause, ma tres chere Fille, que je n'ay peu luy donner cette lettre, par laquelle je veux respondre, quoy que couramment a mon accoustumee, aux dernieres lettres que j'ay receu de vous.

            Sans doute, ma tres chere Fille, il ne faut pas une autre fois rien rabbattre des coustumes generales avec lesquelles nous professons nostre sainte religion, pour la presence de ces bigarrés huguenotz, et ne faut pas que nostre bonne foy ayt honte de comparoistre devant leur affeterie. Il faut en cela marcher simplement et confidemment. Mais aussi, le peché que vous fistes n'est pas si grand qu'il s'en faille affliger apres la repentance, car il ne fut pas commis en une matiere de commandement special, ni ne contient pas aucun desaveu de la verité, mais seulement un indiscret respect ; et, pour le dire clairement, il n'y eut en cela aucun peché mortel, ni, comme je pense, veniel, ains une simple froideur procedante de troublement et irresolution. Demeurés donq en paix de ce costé la.

            Quant au bon Pere dom Guillaume de Sainte Geneviefve, il y a environ deux mois que ses Superieurs l'ont envoyé pour resider a Tolose. [84]

            Le P. Galesius, a la verité dire, est excellent et fait merveilles pour establir des bonnes resolutions ; mais je crains fort qu'il ne soit des-ja attaché. Toutefois, on pourroit bien le faire traitter dextrement, et par mesme moyen luy faire entendre qu'on ne l'invite qu'au seul exercice de charité et en lieu ou il n'y a rien a gaigner que les ames. Que si cela ne peut reüscir, il nous faudra un peu considerer ou nous pourrons donner de la main.

            Le confesseur de Sainte Catherine, Pere Antenne, prescha il y a deux ans a La Roche, ou il donna une fort grande satisfaction ; et si, il confesse et, comme je croy, il n'est encor point arresté. Nous verrons donq un peu ce qui se pourra faire.

            Ma tres chere Fille, vous faites tous-jours trop de consideration et d'examen pour connoistre d'où les secheresses vous arrivent. Si elles arrivoyent de vos fautes, encor ne faudroit-il pas pour cela s'en inquieter, mais avec une tres simple et douce humilité les rejetter, et puis vous remettre entre les mains de Nostre Seigneur affin qu'il vous en fist porter la peyne, ou qu'il vous les pardonnast, selon [85] qu'il luy plairoit. Il ne faut pas estre si curieuse que de vouloir sçavoir d'ou procede la diversité des estatz de vostre vie ; il faut estre sousmise a tout ce que Dieu en ordonne et s'arrester la.

            Et bien, au demeurant, voyla donq le cher mari qui s'en va, ma chere Fille. Puisque sa condition et son humeur mesme le porte au desir de paroistre es occasions, il faut humblement recommander son despart et son retour a Nostre Seigneur, avec confiance en sa misericorde qu'il en disposera a sa plus grande gloire.

            Vives doucement, humblement et tranquillement, ma tres chere Fille, et soyes tous-jours toute a Nostre Seineur, duquel de tout mon cœur je vous souhaitte la tres sainte benediction, et a vos petitz, mais particulierement a ma chere bonne petite filleule, qu'on me dit estre toute de succre. La chere cousine est aux vendanges, et on me dit qu'elle se porte bien, comme fait madame de [Chantal], qui, a mon advis, s'avance fort en l'amour de Dieu, avec toutes ses Seurs.

Vostre humble compere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 5 aoust 1611. [86]

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DCCV. A la Mère de Chantal. Le catéchiste de Notre-Dame

 

Annecy, 11 août 1611.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            A ce que vous me dites, je vois qu'il sera mieux de remettre jusques a lundi ; vous series trop precipitees toutes, et eux aussi, comme je pense ; et je seray bien ayse de ne point rompre l'assignation aux bonnes Seurs de Sainte Claire, qui ont demain leur grande feste, ni au catechisme de Nostre Dame, ou il faut que je sois catechiste, estant invité il y a dix ou douze jours, a mon gré, la veille de Nostre Dame. [87]

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DCCVI. A une dame. Le grand et l'unique bonheur d'une femme chrétienne.

 

Annecy, 17 août 1611.

 

            Madame,

 

            Le souvenir de vos vertus m'est si aggreable qu'il n'a pas besoin d'estre nourri par la faveur de vos lettres ; elles vous acquierent neanmoins une nouvelle obligation sur moy, puisque je reçois par icelles et beaucoup d'honneur et beaucoup de contentement, de voir que non seulement vous aves reciproquement memoire de moy, mais que vous l'aves aggreablement. Aussi n'en sçauries-vous conserver pour personne qui ayt plus de sincere affection pour vous, a qui je souhaitte continuellement devant Nostre Seigneur mille benedictions, et celle-la sur toutes et pour toutes, que vous soyés toute parfaitement sienne. Soyés-le, Madame, de tout vostre cœur, car c'est le grand, ains l'unique bonheur qui vous puisse arriver ; et si, monsieur le Senateur n'en aura point de jalousie, puisque vous n'en seres pas moins sienne, et en recevra de l'utilité, puisque vous ne sçauries donner vostre cœur a Dieu que le sien n'y soit engagé.

            Je suis, Madame, mais je suis de tout le mien,

Vostre bien humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            17 aoust 1611. [88]

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DCCVII. A Madame de la Fléchère. Quel profit tirer des chutes. — Servir Dieu parmi les sécheresses nous est chose plus dure, selon notre goût, mais plus profitable selon le goût de Dieu. — Les « viandes seches » et les hydropiques. — Exercer la débonnaireté à tout propos et sans propos

 

Annecy, 17 août [1611.]

 

            Or sus, que voules vous que je vous die, ma tres chere Fille, sur le retour de vos miseres, sinon qu'au retour de l'ennemy, il faut reprendre et les armes et le courage pour combattre plus fort que jamais. Je ne voy rien de bien grand au billet. Mais, mon Dieu ! gardes-vous bien d'entrer en aucune sorte de desfiance, car cette celeste Bonté ne vous laisse pas tomber de ces cheutes pour vous abandonner, ains pour vous humilier et faire que vous vous tenies plus serree et ferme a la main de sa misericorde.

            Vous faites extremement a mon gré de continuer vos exercices emmi les secheresses et langueurs interieures qui vous sont revenues, car puisque nous ne voulons servir Dieu que pour l'amour de luy, et que le service que nous luy rendons parmi le travail des secheresses luy est plus aggreable que celuy que nous faysons parmi les douceurs, nous devons aussi, de nostre costé, l'aggreer davantage, au moins de nostre volonté superieure. Et bien que selon nostre goust et l'amour propre les suavités et tendretés nous soyent plus douces, les [89] secheresses neanmoins, selon le goust de Dieu et son amour, sont plus profitables, ainsy que les viandes seches sont meilleures aux hydropiques que les humides, bien qu'ilz ayment tous-jours plus les humides.

            Pour vostre temporel, puisque vous vous estes essayee d'y mettre de l'ordre et que vous n'aves peu, il faut donq maintenant user de patience et de resignation, embrassant volontier la croix qui vous est arrivee en partage, et selon que les occasions se presentent, vous prattiqueres l'advis que je vous avois donné pour ce regard.

            Demeurés en paix, ma chere Fille ; dites souvent a Nostre Seigneur que vous voules estre ce qu'il veut que vous soyes et souffrir ce qu'il veut que vous souffries. Combattes fidellement vos impatiences en exerçant non seulement a tous propos, mais encor sans propos, la sainte debonnaireté et douceur a l'endroit de ceux qui vous sont plus ennuyeux, et Dieu benira vostre dessein.

            Bon soir, ma tres chere Fille ; Dieu soit uniquement vostre amour. Je suis en luy, de tout mon cœur, tout vostre.

F.

            Ce 17 aoust.

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DCCVIII. A la Mère de Chantal. Souhaits à l'occasion de la Saint-Bernard. — Les vertus caractéristiques du grand Docteur, d'après saint François de Sales

 

Annecy, 19 août 1610 ou 1611.

 

            Je vous donne le bonjour, ma tres chere Seur, ma Fille, attendant a demain d'aller estre vostre aumosnier sur la feste du grand saint Bernard. Veuille sa sainte Maistresse nous communiquer quelque goutte de la [90] suavité dont elle l'alaitta. Je pense que ce tems vous sera fort propice, a cause de son rafraichissement.

            Mon Dieu, ma tres chere Fille, que de graces et benedictions je vous souhaite ! La pureté d'esprit est la vertu particuliere et la louange speciale de saint Bernard. Souhaites-la bien a mon ame, tres chere Seur. Nostre cœur soit a jamais uni a Celuy pour lequel il est creé. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Cassin de la Loge, à Angers.

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DCCIX. A la même. — Une vocation à contrôler. — Sujet d'oraison conseillé pour des novices à la veille de leur profession

 

Annecy, [vers le 19 août 1611.]

 

            Je vous remercie de vostre beau grand present, ma tres chere Mere, ma Fille, et encor plus de vostre billet. Soyés asseuree que je me gouverneray bien et que je tiendray ce que je vous ay promis.

            La fille de Saint Claude ne viendra qu'apres avoir [91] esté en N. On pourra la renvoyer consolee, sans pourtant s'engager de parole qu'a mesure qu'on le verra convenable. Si Mlle de Chapot ou les autres vont la voir, encouragés-la fort a se lier a Nostre Seigneur ; elle a besoin de courage, et pour le reste, c'est une bonne fille.

            Bon jour, ma tres chere Mere. La tres sainte Vierge nostre Maistresse veuille bien naistre et resider en nos cœurs. Nos filles qui veulent faire les vœux pourront bien faire un peu d'orayson preparatoire sur les vœux de Nostre Dame et de tant de filles et femmes assemblees qui les firent a Nostre Seigneur et qui les gardent avec tant de fidelité, qu'elles souffrent plus volontier pour le divin Maistre que de s'en despartir.

            Helas, que je souhaitte de sainteté a cette chere trouppe de filles, et sur tout a cette tres unique, tres aymee et tres honnoree Mere, ma Fille, vrayement mienne ! Dieu la benisse et marque son cœur au signe eternel de son pur amour. Amen.

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DCCX. A Madame de la Fléchère (Inédite). Jubilé de Thonon, — Lorsque, par charité, l'on dérange ses exercices de dévotion, Dieu ne cesse pas d'être servi.

 

Annecy, 1er septembre 1611.

 

            Je vous dis en deux motz, ma tres chere Fille, que lundi, Dieu aydant, je pars tout a pied pour aller au Jubilé de Thonon, ou si je vous voy, ma consolation [92] sera extremement plus grande. Pour le reste, c'est un'œuvre de charité que l'accompaignement que vous alles faire, et bien que ce soit avec un peu de detraquement des sains exercices de devotion, si est ce que ce n'est pas avec aucune perte du service de Dieu.

            Et puisque l'homme veut si soudainement partir, je vous donne mille benedictions, ma tres chere Fille, vous escrivant au parloir de la Visitation, ou Mme de Chantal vous salue tres cordialement comme moy, qui suis

Vostre plus humble compere et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            1er septembre 1611.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à MM. Lyautry, château de Touchebredier (Eure-et-Loir).

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DCCXI. A Monsieur Bénigne Milletot. Une réponse claire sur trois points. — Pourquoi l'amitié de saint François de Sales pour ses amis était plus forte que la mort. — Le critère des vraies amitiés. — Une main « exquise et rare » et une matière « de mauvais lustre. » — Pour quels motifs l'Evêque de Genève déteste les contentions et disputes entre catholiques. — Il n'a pas trouvé à son goût certains écrits de Bellarmin. — La pauvre mère poule et les poussins qui s'entrebecquettent. — Adroite et charitable critique

 

Annecy, 1-5 septembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            Vos lettres pleines d'amour et de confiance en mon endroit exigent de moy, avec une douce violence, une response claire sur trois pointz.

            Quant au premier, la bonne madame de [Chantal] vous [93] dira tout ensemble son advis et le mien, de ce qui est requis pour l'entier establissement de vostre fille en cette Congregation. J'ay bien aussi prié cette mesme bonne dame de vous porter de ma part l'asseurance de ce qu'avec une faveur trop excessive vous m'aves par deux fois demandé ; mais il faut pourtant que je l'escrive icy de ma main, comme je le sens de tout mon cœur.

            C'est la vraye verité, Monsieur, qu'encor que mes amis meurent, mon amitié ne meurt point, ains, s'il s'y fait quelque changement, c'est pour une nouvelle naissance qui la voit plus vive et vigoureuse entre leurs cendres, comme un certain phœnix mystique ; car, bien que les personnes que j'ayme soyent mortelles, ce que j'ayme principalement en elles est immortel, et j'ay tous-jours estimé cet axiome fondamental pour la connoissance des vrayes amitiés, qu'Aristote, saint Hierosme et saint Augustin ont tant solemnisé : Amicitia quæ desinere potuit, nunquam vera fuit.

            O Dieu, le bon monsieur le President [Frémyot] est tous-jours vivant en mon cœur, et il y tient le rang que tant de faveurs receuës de luy et tant de dignes qualités reconneuës en luy, luy avoyent acquis. Mais, Monsieur, la reciproque communication qu'avec tant de confiance je ne faisois presque que commencer avec luy, est cessee et se treuve convertie en l'exercice des mutuelles prieres que nous faysons l'un pour l'autre : luy, comme sçachant combien j'en ay besoin, moy, comme doutant qu'il n'en ait besoin. Et donq, puisqu'il vous plaist, puisque vous le voules, je vous dis de toute mon affection : prenés la place, Monsieur, en cette communication, et mon cœur vous y regardera, vous y cherira, vous y envoyera ses pensees avec un amour qui ne violera point les loix de respect et un respect qui ne se separera jamais du devoir de l'amour. [94]

            Mais commençons donq par icy a parler comme il faut entre les amis parfaitz, et venons au troisiesme point, a ce que je vous dois respondre. Je vois en vostre livre deux choses : les traitz et la main de l'artisan d'un costé, et la matiere et sujet de l'autre. En verité, je treuve vostre main bonne, louable, ains exquise et rare, mais la matiere me desplaist ; s'il faut dire le mot que j'ay dans le cœur, je dis : la matiere me desplaist extremement. Pleust a Dieu, dis je, que mon Polycletus, qui m'est si cher, n'eust point mis sa maistresse main sur un airain de si mauvais lustre !

            Je hais par inclination naturelle, par la condition de ma nourriture, par l'apprehension tiree de mes ordinaires considerations et, comme je pense, par l'inspiration celeste, toutes les contentions et disputes qui se font entre les Catholiques, desquelles la fin est inutile, et encor plus celles desquelles les effectz ne peuvent estre que dissensions et differens, mais sur tout en ce tems plein d'espritz disposés aux controverses, aux mesdisances, aux censures et a la ruyne de la charité.

            Non, je n'ay pas mesme treuvé a mon goust certains escritz d'un saint et tres excellent Prelat, esquelz il a touché du pouvoir indirect du Pape sur les Princes ; [95] non que j'aye jugé si cela est ou s'il n'est point, mais parce qu'en cet aage ou nous avons tant d'ennemis dehors, je croy que nous ne devons rien esmouvoir au dedans du cors de l'Eglise. La pauvre mere poule qui, comme ses petitz poussins, nous tient dessous ses aisles, a bien asses de peyne de nous defendre du milan, sans que nous nous entrebecquetions les uns les autres et que nous luy donnions des entorses. En fin, quand les Rois et les Princes auront une mauvaise impression de leur Pere spirituel, comme s'il les vouloit surprendre et leur arracher leur authorité que Dieu, souverain Pere, Prince et Roy de tous, leur a donnee en partage, qu'en adviendra-il qu'une tres dangereuse aversion des cœurs ? Et quand ilz croiront qu'il trahit son devoir, ne seront ilz pas grandement tentés d'oublier le leur ?

            Je n'ay pas voulu remarquer tout plein de choses qui me semblent devoir estre extremement addoucies, et me suis contenté de vous dire ainsy en gros et grossierement mon petit sentiment, ains, pour parler naïfvement, mon grand sentiment pour ce regard. Mais dites [96] moy maintenant, Monsieur, si je m'excuse envers vous de vous parler ainsy franchement, repliqueres vous point que c'est aussi trop franchement ? Voyla pourtant comme je traitte avec ceux qui veulent que je contracte une entiere amitié avec eux. Ah ! je sçai, je croy, je jure par tout que vous aymés l'Eglise, que vous estes constamment son enfant asseuré ; mays le zele de l'authorité que vous aves si longuement et heureusement possedee vous a poussé un peu trop avant. Vive Dieu ! Monsieur, je vous cheris avec tout cela de tout mon cœur :

Non sentire bonos eadem de rebus iisdem,

Incolumi licuit semper amicitia.

Que s'il vous semble que d'abord je devois user de plus de moderation, je vous supplieray de croire que je n'en sçai point en l'amitié, ni presque en rien qui en depende. Et quand donq peut elle user de ses droitz qu'en la ferveur de ses commencemens ?

            Au demeurant, Dieu sçait combien vostre chere fille m'est pretieuse, comme une propre seur, si je l'avois en cette vocation. Aussi, comme j'ay tous-jours fait avec feu monsieur, je desire que par tout vous m'advoüiés,

Vostre filz et serviteur fidelle,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCXII. A la Mère de Chantal. Sollicitude pour la Mère de Chantal, alors absente de Savoie. — Les affaires : leur multiplicité ne doit pas troubler, ni leur difficulté émouvoir. — Nouvelles de Mlle de Blonay. — Sermon sur la Nativité de la très sainte Vierge. — Affection des deux Fondateurs pour la Sœur Favre

 

Thonon, to septembre 1611.

 

            Me voyci a Thonon despuis trois jours, ma tres chere Fille, ou je vins fort heureusement et sans ressentiment d'aucune lassitude. O Dieu ! ma tres chere Fille, je ne sçai quel chemin j'ay fait, ou celuy de Thonon, ou celuy de Bourgoigne, mays je sçai bien que je suis plus en Bourgoigne qu'icy. Ouy, ma Fille, puisqu'il plaist ainsy a la divine Bonté, je suis inseparable de vostre ame et, pour parler avec le Saint Esprit, nous n'avons meshuy plus qu'un cœur et qu'une ame ; car ce qui est dit de tous les Chrestiens de la naissante Eglise, se treuve, graces a Dieu, maintenant entre nous. Or, demeurons donq bien ainsy en Nostre Seigneur, ma tres aymee.

            Je suis tous-jours attendant des nouvelles du succes de vostre voyage, que je me prometz avoir esté bon, mais non pas sans crainte pourtant, a cause de la foiblesse de vostre santé et l'excessive chaleur qui a regné quelques heures de ces jours passés ; mais je veux croire qu'en ces heures-la vous aures sejourné, et aures employé les matinees et les soirs qu'il a tous-jours fait un peu de vent. Je prie Dieu qu'il vous conserve cherement et saintement comme ma propre ame.

            Hé, je vous supplie, ma tres chere Fille, tenés-vous [98] bien a Jesus Christ et a Nostre Dame et a vostre bon Ange en toutes vos affaires, affin que la multiplicité d'icelles ne vous trouble point et que leur difficulté ne vous estonne point. Faites l'un apres l'autre au mieux que vous pourres, et employés pour cela fidelement vostre esprit, mais doucement et suavement. Si Dieu vous en donne l'issue, nous l'en benirons ; s'il ne luy plaist pas, nous l'en benirons aussi. Et il vous suffira que, tout a la bonne foy, vous vous soyés essayee de reüscir, puisque Nostre Seigneur et la rayson ne requierent pas de nous les effectz et evenemens, mais nostre fidelle et franche application, employte et diligence ; car ceci depend de nous, mays non pas les succes. Dieu benira vostre bonne intention en ce voyage et en l'entreprise que vous aves faite de mettre en ordre les affaires de cette mayson-la pour vostre filz, et vous recompensera ou par une bonne issue, ou par une sainte humiliation et resignation. Mon cœur fera cependant mille millions de bons desirs pour le vostre comme pour soy mesme, et ne cesseray point d'implorer les prieres de la tres sainte Vierge en ce lieu qui est tout consacré a son honneur.

            Je renvoye ce jourd'huy nostre M. Michel aupres de nos filles, affin qu'elles ne demeurent pas tout a fait privees de quelqu'un en qui elles ayent confiance, j'escris a nostre Seur de Brechard une lettre pour toutes, affin de leur donner courage. Ma petite seur se porte bien, car la vostre petite, ma cousine, me l'escrit par une fille de chambre qu'elle a envoyee icy. Ce sont toutes nos nouvelles, ma chere Fille. De jour a autre, je vous tiendray advertie de ce que je feray.

            Monsieur de Blonay depeschera sa fille pour vostre retour. Je la vis le jour de Nostre Dame ; elle a tous-jours sa bonne mine et les marques de vertueuse fille. Ce jour-la, je preschay devant un grand peuple et force [99] estrangers ; et la glorieuse Reyne du Ciel m'assista pour dire quelque chose de bon a sa gloire. Je me depescheray au plus tost en faveur de nos filles.

            A Dieu, ma tres chere Fille, a Dieu soyons-nous a jamais. Que son amour soit eternellement l'unité de nostre cœur !

            Je saluë d'une affection extreme ma tres chere grande fille, a laquelle je recommande tous-jours la santé de nostre douce Mere, et luy porte bien envie, sans luy desirer la privation de ce qu'elle possede. Elle vacquera cependant a rendre son cœur un peu fort et genereux contre la tendreté et delicatesse qui le tenoit a tous propos sujet au degoust. Vous sçaves, ma Fille, que nostre cœur ayme d'amour celuy de cette grande fille. Salués-la donq amoureusement de ma part, comme je la prie de saluer de la mienne madamoyselle de N. et toutes ces dames de la, specialement madame la Prieure et monsieur N., car j'avois oublié ces petites particularités. Je saluë aussi monsieur de N. et madamoyselle N., mais tout a part, monsieur de N., pour le bonheur duquel je prie tous les jours, et monsieur de N., et en fin monsieur [de Thorens] mon cher frere, auquel je recommande le service de sa mere, sa santé et sa consolation.

            M. de Boisy a esté un peu estonné de la chaleur, mais il se remet, Dieu mercy.

            A Thonon, le 10 septembre 1611.

            Vive Jesus et Marie ! Dieu vous benisse, ma tres chere Fille. Je suis en luy, ce que luy seul sçait. [100]

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DCCXIII. A la même. Comment traiter des affaires de la terre. — L'amour transforme tout. — Santé et sainteté de François de Sales. — Le moyen de parvenir. — Communauté de désirs et d'aspirations entre la Mère de Chantal et son Directeur. — La sainte Croix ; elle béatifie ceux qui l'aiment et la portent. — L'autel des crucifiés

 

Thonon, 14 septembre 1611.

 

            O Dieu, ma tres chere Fille, si est-ce que je vous escris soigneusement a toutes les occasions. Or sus, beni soit Dieu qui vous a fait arriver au lieu ou les affaires qu'il vous avoit laissees sur les bras vous ont appellee. Ma tres chere Fille, appliqués le travail et tracas que vous y souffrires, a la gloire de la divine Majesté, pour l'amour de laquelle vous les subisses ; traittés des affaires de la terre avec les yeux fichés au Ciel. Je seray tous-jours present a vostre chere ame comme vous mesme, et respandray soigneusement la benediction des Sacrifices divins sur vostre peyne, affin qu'elle vous soit douce et utile au saint amour, pour lequel mieux prattiquer vous estes allee terminer les occasions de vos distractions. Ma chere Fille, tout ce qui se fait pour l'amour est amour ; le travail, ouy mesme la mort n'est qu'amour, quand c'est pour l'amour que nous les recevons.

            Or sus, parlons de nos affaires. J'ay achevé ce bout de visite asses heureusement, et avec esperance de quelque fruit pour les ames. Je me porte extremement bien, a mon advis, et observe soigneusement vos ordonnances pour ma santé. Mays, pour ma sainteté, qui est ce que vous affectionnés le plus, je ne fay gueres de choses, sinon mille continuelz desirs et quelques prieres particulieres, affin qu'il plaise a Nostre Seigneur les rendre utiles [101] et fructueuses pour tout nostre cœur, et, presque ordinairement, je me treuve plein d'une douce confiance que sa divine Bonté nous exaucera. Et puisqu'en verité nous desirons, en verité nous parviendrons ; car ce grand Amy de nostre cœur ne le remplit, ce me semble, de desirs que pour le combler d'amour, comme il ne charge les arbres de fleurs que pour les recharger de fruitz. Ah ! Sauveur de nostre ame, quand serons-nous autant ardans a vous aymer que nous le sommes a le desirer ?

            Il me tarde, ma tres chere Fille, que ce cœur que Dieu nous a donné, soit uniquement et inseparablement donné et lié a son Dieu par ce saint amour unissant qui est plus fort que la mort et que tout. Mon Dieu ! ma tres chere Fille, remplissons nostre cœur de courage et faysons des-ormais des merveilles pour l'avancement de nostre cœur en cet amour celeste. Et remarquons que Nostre Seigneur ne vous donne jamais de violentes inspirations de la pureté et perfection de vostre cœur, qu'il ne me donne la mesme volonté, pour nous faire connoistre qu'il ne faut qu'une inspiration d'une mesme chose a un mesme cœur, et que, par l'unité de l'inspiration, nous sçachions que cette souveraine Providence veut que nous soyons une mesme ame, pour la poursuite d'une mesme œuvre et pour la pureté de nostre perfection.

            Or sus, ma tres chere Fille, ma Mere, il faut finir. C'est aujourd'huy le jour de la sainte Croix. O Dieu, qu'elle est belle et qu'elle est aymable ! On donne des batailles pour en avoir le bois et on l'exalte sur le mont de Calvaire. Ma tres chere Fille, helas ! que bienheureux sont ceux qui l'ayment et qui la portent ! Elle sera plantee au Ciel quand Nostre Seigneur viendra juger les vivans et les mortz, pour nous apprendre que le Ciel est l'autel des crucifiés. Aymons donq bien ces croix que nous rencontrons en nostre chemin.

            Dieu vous benisse en l'amour de la sainte Croix. [102]

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DCCXIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Eboulement à Sixt. — Détresse des habitants qui en est la suite. — Le Saint recommande ses diocésains à la charité du duc de Savoie

 

Thonon, 16 septembre 1611.

 

            Monseigneur,

 

            Ayant veu a Six l'espouventable et irreparable accablement survenu il y a quelques annees, par la cheute d'une piece de montagne, je n'ay sceu refuser aux habitans du lieu, qui recourent a la clemence de Vostre Altesse pour, a proportion, estre deschargés des tailles, mon veritable tesmoignage en faveur de leur trop juste praetention. C'est pourquoy j'asseure que ce malheur leur a osté une tres notable partie de leurs biens et, de miserables qu'ilz estoyent, les a rendus la misere mesme, sur laquelle, comme sur un dign'objet, la charité de Vostre Altesse exercera, comm'ilz esperent, son aumosne.

            Je supplie Nostre Seigneur quil benisse de ses grandes perfections et benedictions la couronne de Vostre Altesse, de laquelle je suis invariablement,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Thonon, le XVI septembre 1611.

            A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Londres, au Musée Britannique. [103]

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DCCXV. A M. Michel Brisson (Inédite). Regrets de ne pouvoir accepter de prêcher un Carême à Saint-Merry. — Témoignages d'estime au destinataire qui avait transmis l'invitation

 

 

Thonon, 17 septembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            J'avois certes grand desir de pouvoir servir ce Caresme prochain a l'instruction de la parroisse de Saint Mederic, puis que messieurs ses curé et marguilliers me font lhonneur de m'y souhaiter ; mais j'ay tant de besoigne taillee pour cett'annee, quii me seroit impossible d'en fendre la presse pour partir d'icy a trois moys, comm'il faudroit faire. Je vous supplie donq, Monsieur, tres humblement, de m'en excuser vers eux pour cett'annee ; et si, pour la suivante, les difficultés que vous sçaves se pouvoyent vaincre, je serois bien ayse de leur tesmoigner combien j'estime lhonneur de la semonce quilz me font faire par la personne du monde que j'honnore, respecte et cheris de toute l'estendue de mes forces, et a laquelle je suis sans reserve et sans fin,         Monsieur,

Humble, fidele et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce XVII septembre 1611.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Chabrol, à Riom. [104]

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DCCXVI. A la Soeur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Notre-Seigneur saura bon gré à qui porte et supporte les âmes qui se trouvent faibles

 

Bons, fin septembre ou commencement d'octobre 1611.

 

            Ma chere Niece, ma Fille,

 

            Ce n'est que pour simplement vous saluer et asseurer que je me presseray le plus que je pourray pour bien tost vous revoir, et espere que ce sera avec nostre mutuelle consolation et de toutes nos Seurs mes cheres filles. Ce pendant, perseverés courageusement a porter et supporter celles qui se treuveront foibles ; et croyés moy, ma chere Fille, ma Niece, que Nostre Seigneur, a qui vous estes toute, vous en sçaura un grand gré. Je le supplie qu'il vous comble de force, de douceur et de benediction, et toute cette chere trouppe de filles qui me sont pretieuses comme la prunelle de mes yeux.

            A Dieu donq, ma tres chere Fille, ma Niece, continues d'aymer en Nostre Seigneur, celuy qui est en luy tres cordialement tout vostre.

F.

            A Bons.

            A Madame

Madame de Brechard.

            A la Visitation. [105]

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DCCXVII. A la Soeur Roget, Religieuse de la Visitation (Inédite). Ce qu'il faut faire après « quelques petitz mauvais pas. » — Avoir le cœur franc envers les Supérieurs. — La « petite bienaymee Françon. »

 

[Septembre-octobre] 1611.

 

            Vous m'aves fait un grand playsir de m'escrire, ma chere Filleule, ma Fille. Mais vrayement, il faut estre bien brave a surmonter tous ces petitz chagrins et la melancholie qui les produit. Or, je sçay bien que vous estes fort fidelle pour ce regard, et que si vous faites quelques petitz mauvais pas, soudain vous vous releves humblement, doucement et sans vous estonner ; car il faut faire ainsy, ma chere Fille, pour devenir parfaitement sainte, qui est vostre pretention. C'est aussi bien fait [106] d'avoir de la confiance en nostre Seur de Brechard, et c'est la grace de Dieu qui nous rend ainsy le cœur franc envers ceux a qui, pour son amour, nous obeissons.

            A Dieu, ma chere Fille, que j'ayme extremement en ce mesme Seigneur, pour lequel je suis tout vostre et a vostre mere, et a ma Seur Chastel, ma Seur Milletot, ma Seur Fichet, ma Seur Tiollier ; car, quant a ma petite bienaymee Françon, je la salue a part comme ma petite fille toute mienne.

            Dieu soit beni, ma chere Filleule, ma Fille.

A ma chere Seur Roget, ma fille.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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DCCXVIII. A la Mère de Chantal. Souhaits de bon et saint voyage. — Affectueux messages pour les compagnons, les parents et les amis de la Mère de Chantal

 

Bons, 1er octobre 1611.

            Le pied a l'estrier, je vous escris ces quatre motz, ma tres chere Fille mienne, seulement pour vous tenir asseuree de nostre santé. Et Dieu me donne les heureuses nouvelles que je souhaite aussi de vostre part, car jusques a present nous en jeunons encores. Or, j'espere en cette souveraine Providence, qu'elle vous conservera saintement et cherement pour nostre mutuelle consolation et reciproque avancement en son amour cæleste, pour lequel [107] je fay sans fin des aggreables et desirables projetz, que je supplie le Saint Esprit nous faire suavement prattiquer.

            A Dieu, ma tres chere Mere, ma Fille mienne, a Dieu soyons nous a jamais, et a jamais vive Jesus ! Amen.

            Je salue du cœur que vous connoisses, nostre grande fille et luy recommande nostre chere et bonne Mere, comm'aussi monsieur de Thorens, que je cheris en qualité de mon frere et de vostre filz, qui veut dire excessivement. Je suis a Bons et parmi les chams ; soudain que ce devoir me le permettra, je seray a Neci, c'est a dire dans trois semaines.

            Je salue humblement monsieur de Chantal et monsieur de Vauxcroissant, et vous penseres bien que si je sçavois que vous fussies ou a Dijon ou aupres de Monsieur l'Archevesque, je vous supplierois de faire mes honneurs convenablement.

            Le doux Jesus, auquel et par lequel je suis autant vostre que vous mesme, vous veuille benir et conserver a jamais, ma tres chere Fille mienne.

            A Bons, le 1er d'octobre.

 

            A Madame

Madame de Chantal, m.

            A Montelon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Autun. [108]

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DCCXIX. Au Baron Amédée de Villette. A propos de la mort d'une parente : regrets, condoléances, consolations, promesse de prières.

 

Saint-Julien, 12 octobre 1611.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            Quel desplaysir viens-je de recevoir en la triste nouvelle du trespas de madame ma tante, qui m'aymoit si tendrement et cherement, et a laquelle j'avois si justement voué tant d'affection ! J'irois moy mesme vous tesmoigner ce ressentiment, si je croyois, par ce moyen, de pouvoir alleger le vostre, ou que cet engagement auquel je suis parmi les assignations de ma visite le me permist ; mais au moins, voyla mon frere qui va recevoir vos commandemens pour luy et pour moy, et vous asseurer que, comme j'ay honnoré de tout mon cœur la vie de cette chere defuncte, aussi cheriray-je a jamais son honnorable memoire autant qu'aucun de ses parens et serviteurs qu'elle ayt laissés en ce monde.

            Au demeurant, Monsieur mon Oncle, cette si fascheuse separation est d'autant moins dure qu'elle durera peu, et que non seulement nous esperons, mays nous aspirons a cet heureux repos auquel cette belle ame est, ou sera bien tost logee. Prenons, je vous supplie, en gré cette petite attente qu'il nous faut faire ici bas, et au lieu de multiplier nos souspirs et nos larmes sur elle, faysons-les pour elle devant Nostre Seigneur, affin qu'il luy [109] plaise haster sa reception entre les bras de sa divine Bonté, si des-ja il ne luy a fait cette grace.

            Certes, pour moy, j'ay beaucoup de consolation en la connoissance que j'avois de l'interieur de cette bonne tante, laquelle plusieurs fois, avec extreme confiance, me l'avoit communiqué en la sacree confession ; car j'en tire une asseurance que cette divine Providence, qui luy avoit donné un cœur si pieux et chrestien, l'aura comblee de benedictions en ce despart qu'elle a fait d'entre nous. Benissons et louons Dieu, Monsieur mon tres cher Oncle, adorons la disposition de ses ordonnances, reconnoissons la condition et instabilité de cette vie et attendons en paix la future.

            Je m'en vay a l'eglise, ou, par le saint Sacrifice, je commenceray les recommandations de cette chere et pretieuse ame, et celle que je dois a jamais continuer pour vous et tout ce qu'elle aymoit le plus. Je suis sans fin et sans reserve,

            Monsieur mon Oncle,

Vostre tres humble et tres fidele neveu et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            A Saint Julien, le 12 octobre 1611.

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DCCXX. Au Président Antoine Favre (Inédite). La cure de Saint-Sigismond en 1611 : l'ami du destinataire en mériterait une meilleure

 

Annecy, 29 octobre 1611.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            A mesme que monsieur Jacquier m'a rendu vostre [110] lettre, monsieur Brunet m'est venu dire adieu ; [si] que j'ay retardé ce moment pour vous resaluer humblement et vous dire que, quant a la cure de Saint Sigismond, elle ne vaut sinon douze vingt florins, en un lieu tres aspre et hors de chemin. J'en desirerois une meilleure et plus a propos pour M. Charbonnet, que je dois affectionner pour tant de raysons. Neanmoins, s'il desire venir au concours de celle cy, ce sera le 4e de ce mois suyvant qu'elle est assignee ; marri que peut estre je ne pourray pas m'y treuver, si M. de Villette persevere de me sommer d'aller avec ses autres parens au commencement des obseques de feu Mme de Villette environ ce tems-la.

            J'attendray le retour du sieur Jacquier, pour les chappelles, et vous saluant mille et mille fois de tout mon cœur, je suis sans fin,

            Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            XXIX octobre 1611.

 

            A Monsieur Favre,

Baron de Peroges, Conseiller d'Estat de S. A.,

            Premier President de Savoye.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation de Montélimar. [111]

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DCCXXI. A la Sœur de Bréchard, Religieuse de la Visitation. Un Père vigilant qui a peur d'être blâmé pour ne l'être pas assez. — Pourquoi ne faut-il pat emporter toutes les couronnes. — C'est encore de la charité que de laisser faire aux autres quelque chose. — De qui doit-on attendre l'issue des maladies

 

Annecy, 29-31 octobre 1611.

 

            Ma tres chere Fille, ma Niece,

 

            L'on m'a adverti que vous vous accables de peyne, que vous ne vous devestes point plusieurs nuitz de suite, que vous ne manges comme point, que vous faites les services plus penibles de l'infirmerie et puis retournes promptement soustenir le chant du chœur. O ma Fille, ma Fille, je ne veux point que vous soyes si brave ; car voyes vous, que me diroit nostre Mere si en son absence il arrivoit quelque mal a cette tres aymee Jeanne Charlotte ? Certes, a son arrivee, je courrois fortune d'estre blasmé comme un pere peu vigilant sur sa tres chere fille.

            Croyés le pauvre Pere : prenés du repos et du repas suffisamment ; laissés amoureusement du travail aux autres et ne desirés pas d'emporter toutes les couronnes ; le cher prochain sera tout ayse d'en avoir quelques unes. L'ardeur du saint amour qui vous pousse a vouloir tout faire, vous doit aussi retenir et laisser faire aux autres quelque chose pour leur consolation.

            Dieu nous sera bon, ma Niece, ma Fille : j'espere qu'il nous menace pour ne nous point frapper, et que la chere [112] Peronne de nostre Mere luy ira au devant a son arrivee, avec sa tres chere lieutenante, ma fille tres aymee, que je desire qui travaille avec un esprit ardent mais doux, fervent mais moderé, attendant le bon succes des maladies et affaires non de sa peyne, non de son soin, mays de l'amoureuse bonté de son Espoux. Qu'il la veuille benir eternellement, avec toute la trouppe de ma tres chere Mere absente et qui nous est si presente au cœur, en la presence de Celuy qui est l'unique tout du cœur de la Mere et des filles.

            Priés-le aussi qu'ainsy soit du Pere, affin que tout soit saintement esgal en nostre pauvre chere petite Visitation. Amen.

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DCCXXII. A M. Bénigne Milletot. La plus mauvaise façon de mal dire. — Il est presque impossible « de corriger l'immoderation moderement. » — Ce qui arrive souvent aux chasseurs. — A César ce qui est à César, mais aussi à Dieu ce qui est à Dieu

 

[Octobre] 1611.

 

            Monsieur,

 

            Vous m'aves grandement obligé recevant en bonne part ma franchise, bien qu'a vray dire vous ne pouvies bonnement luy refuser ce gracieux accueil, puisqu'elle alloit vers vous avec le sauf conduit de vostre semonce et sous la faveur d'une vraye amitié ; aussi n'avois-je garde de luy donner le vol autrement.

            Je ne veux nullement repliquer sur la declaration qu'il vous plaist de me faire de vostre intention en l'edition [113] du petit livre, car je serois marri si j'avois jamais eu un seul petit soupçon au contraire ; mays je diray seulement ce mot qui part de la condition de mon esprit. Si quelqu'un avoit immoderement parlé ou escrit de l'authorité, il auroit grand tort, car il n'y a point de plus mauvaise façon de mal dire que de trop dire. Si on dit moins qu'il ne faut dire, il est aysé d'adjouster ; mais apres avoir trop dit, il est malaysé de retrancher, et on ne peut jamais faire le retranchement si tost, qu'on puisse empescher la nuisance de l'exces. Or, voyci le haut point de la vertu : de corriger l'immoderation moderement. Il est presque impossible d'atteindre a ce signe de perfection. Je dis presque, a cause de celuy qui dit : Cum his qui oderunt pacem eram pacificus ; autrement, je pense que je ne l'eusse pas dit, car les chasseurs poussent par tout dans les buissons, et retournent souvent plus gastés que la beste qu'ilz ont cuidé gaster. La pluspart de ces propos mal mesurés qu'on dit ou qu'on escrit, sont plus heureusement repoussés par le mespris que par l'opposition. Mais, n'en parlons donq plus. A Cesar ce qui est a Cesar, mays aussi, a Dieu ce qui est a Dieu.

            Je vous escris sans loysir. Vous me supporteres, s'il vous plaist, selon vostre bonté et ayant esgard a mon affection, qui est toute inclinee a vous honnorer et cherir tres specialement. Et sur cela, je prie Nostre Seigneur qu'il vous remplisse de la grace, paix et suavité de son Saint Esprit et donne sa sacree benediction a toute vostre famille, laissant au surplus pour ce porteur a vous dire comme nostre fille se porte bien.

            Je suis, Monsieur,

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCXXIII. A un inconnu (Fragment inédit). Des bailliages qui n'avaient pas été visités « il y a plus de cent ans. » — Bourgeois et bourgeoises de Genève aux vendanges et de quoi ils étaient étonnés, ayant ouï le Saint

 

Annecy, novembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            Des la reception de vostre derniere lettre, qu'on me rendit sur le commencement de septembre, j'ay presque tous-jours esté aux chams pour faire la visite des baillages qui sont autour de Geneve, qui n'avoyent esté visités il y a plus de cent ans, pour avoir esté restablis seulement des douze ou quinze ans en ça au giron de la sainte Eglise. Plusieurs bourgeois et bourgeoises de Geneve qui estoyent venus aux vendanges, nous ont veu en cet exercice, et ont tesmoigné pour la pluspart d'en avoir pris bonne edification, et quelques uns qui m'ont voulu ouïr, ont esté estonnés dequoy leurs ministres leur descrivoyent nostre creance tout autrement que nous ne la preschons pas ; chose…

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [115]

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DCCXXIV. A Dom Eustache de Saint-Paul Asseline, Feuillant. Amitié du Saint pour l'Ordre des Feuillants. — La disposition des matières dans une Somme de théologie ; moyen de rendre celle-ci « plus friande et plus aggreable. » — Les questions inutiles. — Souhaits et témoignages d'affection.

 

Annecy, 15 novembre 1611.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            C'est la verité que j'ayme d'amour vostre Congregation, mais d'amour infructueux jusques a present. Dieu [116] le rende autant effectif qu'il est affectif ; et non seulement a [Abondance,] mais en deux ou trois insignes Monasteres de ce diocese, nous verrons refleurir la sainte pieté que le glorieux ami de Dieu et de Nostre Dame, saint Bernard, y avoit plantee.

            Je voy bien en vostre lettre que vous languissés, puisque vous me dites : Ecce quem amas infirmatur ; mais je n'en ay pourtant point de compassion qu'avec une extreme suavité, d'autant que infirmitas hæc non est ad mortem, sed ut manifestentur opera Dei ; ecce enim qui amat infirmatur, puisque amore languet. Et partant, je suis bien content de faire l'office d'une fille de Hierusalem ; et renuntiabo Dilecto tuo : Ecce qui amat et quem amas infirmatur. Et vous, mon cher Pere, en contreschange, implorés pour moy et sur moy le secours duquel, entre les vens et les orages, j'ay tant besoin sur ces eaux : Aquæ multæ, populi multi. Salvum me fac, Deus, quoniam conculcava me homo, et libera me de aquis multis.

            J'ay veu avec un extreme playsir le projet de vostre Somme de Theologie, qui est, a mon gré, bien et [117] judicieusement faite. Si vous me favorises de m'envoyer un cahier, je le liray amoureusement, et vous diray franchement et naïfvement mon advis, a quel prix que ce soit. Et pour vous en donner quelque asseurance des maintenant, je vous dis que mon opinion seroit que vous retranchassies tant, qu'il vous seroit possible toutes les paroles methodiques, lesquelles, bien qu'il faille employer en enseignant, sont neanmoins superflues et, si je ne me trompe, importunes en escrivant.

            Qu'est-il besoin, par exemple : « In hac difficultate tres nobis occurrunt quæstiones : prima nempe quæstio erit, quid sit prædestinatio ; secunda, quorum sit prædestinatio ; tertia, » etc. ? Car, puisque vous estes extremement methodique, on verra bien que vous faites ces choses l'une apres l'autre, sans que vous en advertissies auparavant.

            De mesme : « In hac quaestione sunt tres sententiæ : prima sententia est, » etc. Car, ne suffit-il pas de commencer a capite le recit des sentences, avec un nombre precedent, en cette sorte : « 1. Scotus, Mayronis et sequaces, etc. ; 2. Ocham, Aureolus et Nominales ; 3. Sancti vero Thomas, Bonaventura ; » et ainsy des autres.

            Puis, au lieu de dire : « Respondendum est tribus conclusionibus, quarum prima sit, » ne suffit-il pas : « Jam ergo dico, primo, etc. 2. Dico, etc. 3. Dico, » ?

            Comme aussi de faire des prefaces pour continuer les [118] matieres : « Postquam egimus de Deo uno, congruum est ut nunc de Deo trino, sive de Trinitate, » etc. Cela est bon pour des gens qui vont sans methode, ou qui ont besoin de faire connoistre leur methode parce qu'elle est extraordinaire ou embarrassee. Or, cela empeschera extremement vostre Somme de grossir ; ce ne sera que suc et moüelle, et selon mon sens, elle en sera plus friande et plus aggreable.

            J'adjouste qu'il y a une quantité de questions inutiles a tout, horsmis a façonner le discours. Certes, il n'est pas grand besoin de sçavoir, « utrum Angeli sint in loco per essentiam, aut per operationem ; utrum moveantur ab extremo ad extremum sine medio, » et semblables. Et bien que je voudrois qu'on n'oubliast rien, si est-ce qu'en telles questions il me semble qu'il suffiroit de bien exprimer vostre opinion et en jetter le vray fondement ; puis a la fin, dire simplement, ou au commencement, que « talis et talis aliter senserunt, » affin de laisser plus de place pour s'estendre un peu davantage es questions de consequence, esquelles il faut regarder de bien instruire vostre lecteur.

            Item : je sçay que quand il vous plaist, vous aves un stile affectif ; car je me resouviens fort bien de vostre Benjamin de Sorbonne. J'appreuverois qu'es endroitz ou commodement il se peut, vous fissies les argumens pour vos opinions en ce stile ; comme en la question : « Utrum Mot carnem sumpsisset, Adamo non peccante ? » Et en l'une et en l'autre opinion, on peut [119] reduire les opinions en stile affectif. En celle : « Utrum praedestinatio sit ex praevisis meritis, » soit que l'on tienne l'opinion des saintz Peres qui ont precedé saint Ambroyse, soit qu'on tienne celle de saint Augustin ou celle de saint Thomas ou celle des autres, on peut former les argumens en stile affectif, sans amplifier, ains en abbregeant ; et au lieu de dire : « Secundum argumentum sit, » simplement mettre un chiffre, 2.

            Au demeurant, c'est un grand ornement de mettre plusieurs bonnes authorités, quand elles sont preignantes et courtes ; si moins, peu avec renvoy.

            Or sus, mon cher Pere, que vous semble de mon cœur ? va-il pas bien a la bonne foy envers le vostre ? Mais croyés-moy, encores ne suis-je pas si simple, qu'avec un autre j'en usasse comme cela. Je me resouviens de vostre douceur naturelle, morale et surnaturelle ; j'ay mon imagination pleine de vostre charité, laquelle omnia suffert, et que libenter suffertis insipientes, cum sitis ipsi sapientes ; in insipientia, donq, mea dixi.

            Dieu vous fasse prosperer en son saint amour. Je suis en luy, a toute extremité,

            Mon cher Pere,

Vostre frere et serviteur plus humble et affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessy, ce 15 novembre...

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DCCXXV. A la Mère de Chantal. De quels principes doit s'inspirer la Mère de Chantal pour fixer la durée de son séjour en Bourgogne. — Comme le monde censure ce qui est fait pour Dieu. — Nouvelles de la Visitation

 

Annecy, 15 novembre 1611.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous diray franchement que, quant a l'obligation de vostre conscience, je ne varie nullement et persevere a ce que je vous en ay dit il y a long tems, qui est en un mot, que si la necessité de la personne de ce bon seigneur est telle que vous soyés requise en presence pour la secourir, vous deves arrester. Si ce n'est que la necessité du meilleur estat des biens, vous n'y estes pas voirement obligee ; mais pourtant, si cette necessité estoit extreme et grande et qu'elle ne peust estre remediee que par vous, c'est a dire que vous ne puissies suppleer par autruy aux affaires, vous pourries librement arrester le tems requis a cela, que je remetz a vostre discretion et prudence, ne pouvant dissimuler avec vous qu'en cette occasion je ne voye quelque sorte de tentation. Car sans doute, si vous vous fussies remariee a quelque chevalier du fond de Gascoigne ou de Bretaigne, vous eussies tout abandonné et on n'en eust rien dit. Maintenant que vous n'aves pas fait a beaucoup pres un si grand abandonnement et que vous aves reservé asses de liberté pour avoir [121] un soin moderé de vostre mayson et de vos enfans, parce que ce peu de retraitte que vous aves fait est pour Dieu, il se treuve des gens qui taschent de le faire estimer mauvais et contre le devoir.

            Ce que je ne dis pas pour ce bon chevalier qui vous souhaitte aupres de soy, car vrayement il a rayson de desirer le bien de vostre conversation, qui ne peut que luy estre fort aggreable ; mays pour ceux qui en parlent par maniere de conscience et de scrupule, qui, a mon advis, ne sont pas bien fondés en cela, bien qu'en la lettre de monsieur N. je les voye fort doctes et de grand esprit. Mais je reviens a vous dire que vostre discretion vous doit regler, selon ce que je vous en ay dit autrefois et que maintenant je repete.

            Au demeurant, pendant vostre sejour, ces bonnes filles font au mieux qu'elles peuvent, affin qu'a vostre retour vous ne treuviés point de decadence en cette heureuse vie en laquelle Dieu les a mises sous vostre conduitte.

            Je vous souhaitte mille et mille benedictions celestes pour l'avancement de vostre cœur au tres saint amour du Crucifix, auquel il est voùé et consacré eternellement. Je suis, comme vous sçaves, de toute mon ame, ma tres chere Fille, tout parfaitement vostre en Celuy qui, pour nous rendre siens, s'est fait tout nostre, Jesus Christ, qui vit et regne es siecles des siecles. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve. [122]

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DCCXXVI. A M. Philippe de Quoex. Mlle de Blonay sera la bienvenue à Annecy ; qu'elle y vienne sans attendre le retour de la Mère de Chantal

 

Annecy, 28 novembre 1611.

 

            Monsieur Partat est substitué pour aller a Aix. Je vous prie de faire tenir les presentes a M. de Blonay, et luy escrire que s'il luy plaist que sa fille vienne sans attendre le retour de madame de Chantal, elle sera la bienvenue. Ce que je dis, parce que madame de Chantal, peut estre, ne viendra pas avant Noël, puisqu'elle est resolue d'achever et demesler toutes ses affaires avant que de revenir, affin de n'avoir plus sujet de distraction.

            Je vous prie de faire la commission que je vous laissay, et de dire a M. de Chastillon qu'il face, pour les reconnoissances, selon qu'il m'escrivoit. J'envoye a madame d'Allemand un livre, selon que je luy avois promis.

            Je prie Dieu qu'il vous benisse, et me recommande a vos prieres.

Vostre plus humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            28 novembre 1611. [123]

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DCCXXVII. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève avertit le gouverneur de son départ pour Gex

 

Annecy, 28 novembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            Les ecclesiastiques et Catholiques de Gex me conjurant d'aller a leur ayde pour un affaire qui importe a la gloire de Dieu, je m'y en vay tout maintenant. Mays, avant que de partir, je vous en donne advis, remettant, apres mon retour, de fayre part a Vostre Excellence de ce qui se sera passé.

            Ce pendant, je supplie Nostre Seigneur quil la conserve, et suis,

            Monsieur,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS E. de Geneve.

            XXVIII novembre 1611, a Neci.

            A Son Excellence.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'abbaye de Saint-Maurice en Valais. [124]

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DCCXXVIII. A la Mère de Chantal. Ferveur nouvelle de charité et de zèle pour Notre-Seigneur. — La beauté de la foi transporte François de Sales d'amour et de gratitude ; il en voit plus clairement la grandeur, en pays hérétique

 

Gex, 7 décembre 1611.

 

            Tres chere Fille,

 

            Il sera force que vous souffries ma briefveté, car me voyci encor a Gex emmi tant d'affaires, que je ne sçay de quel costé me tourner, sur tout maintenant au despart. Or sus, qu'est-il besoin de parler ainsy a une ame qui me connoist comme elle mesme ?

            Je me porte fort bien, grace a nostre Sauveur, qui me donne certain courage nouveau de l'aymer, servir et honnorer plus que jamais de tout mon cœur, de toute mon ame et de tout moy mesme ; mays je dis de tout moy mesme, ma tres chere Fille, m'estant advis que jusques a present je n'ay point eu l'ardeur ni le soin convenable au devoir que j'ay a cette immense Bonté.

            Helas ! je vois icy ces pauvres brebis errantes, je traitte avec elles et considere leur aveuglement palpable et manifeste. O Dieu, la beauté de nostre sainte foy en paroist si belle que j'en meurs d'amour, et m'est advis que je dois serrer le don pretieux que Dieu m'en a fait, dedans un cœur tout parfumé de devotion. Ma tres chere Fille, remerciés cette clarté souveraine qui respand si misericordieusement ses rayons dans ce cœur, qu'a mesme que je suis parmi ceux qui n'en ont point, je vois plus clairement et illustrement sa grandeur et sa [125] desirable suavité. Faites donq actions de graces pour ce cœur, comme pour le vostre mesme.

            Dieu vous benisse de sa grande benediction ; c'est le continuel et invariable souhait de ce cœur qui est vostre en Jesus Christ.

            A Gex, le 7 decembre 1611, veille de ma consecration.

 

            A Madame

[Madame] la Baronne de Chantal.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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DCCXXIX. A M. Jean de Chatillon. Lettre d'affaires

 

Annecy, 13 décembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            Faites hardiment comme vous m'escrivistes l'autre jour, touchant les reconnoissances. Et pour le mari de la Torta, vous vous addresseres a monsieur le senateur de la Valbonne, qui va lâ, affin qu'il luy parle authoritative ; et, en passant icy, je luy recommanderay l'affaire. Au demeurant, si ledit seigneur et senateur desire ouïr en tesmoignage aucuns ecclesiastiques, je vous prie de dire ausdits ecclesiastiques de ma part, qu'ilz ayent a tesmoigner, deposer et dire la verité, vous donnant, pour ce regard, tout pouvoir de le leur ordonner. [126]

            J'escris sans loysir ; mais avec l'affection de laquelle je suis,

Vostre humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII decembre 1611, a Neci.

 

            A Monsieur

Monsieur de Chastillon.

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DCCXXX. Au Marquis de Lans. L'Evêque de Genève expose au gouverneur le sujet et les résultats de son voyage à Gex. — Les commissaires, l'un « grand catholique, » et l'autre « grand heretique, » — Exécution de l'édit de Nantes à Gex. — Espérances fondées pour le prochain rétablissement du culte

 

Annecy, 13 décembre 1611.

 

            Monsieur,

 

            Comme je donnay advis a Vostre Excellence de mon acheminement a Gex, je le luy donne aussi de mon retour que j'ay fait si tost qu'il m'a esté possible. Le sujet de mon voyage fut que les huguenotz ayant dressé des plaintes en leur assemblee de Saumeur sur l'inexecution de l'Edit de Nantes, le Roy de France, en son [127] Conseil, a deputé des commissaires en toutes les provinces pour rendre par tout ledit Edit executé. Et pour la Bourgoigne, sous laquelle on comprend les païs eschangés, on commit le sieur de Mazuyer, vicomte d'Ambrieur, maistre des requestes, grand catholique et grand homme d'affaires, et le sieur de Vilarnos, beau-filz du sieur du Plessis Mornay, qui a la survivance de son beaupere au gouvernement de Saumeur, grand heretique, et au reste, gentilhomme de bonne sorte et bien qualifié.

            L'un et l'autre estans arrivés a Gex, il fut proposé [128] de venir aux effectz de leur commission, et par consequent, de me remettre toutes les eglises et tous les biens ecclesiastiques possedés par les huguenotz, affin d'estre par moy pourveu en chasque lieu de pasteurs et services convenables. Mays parce que je n'estois pas la, la proposition se fit en mon nom par un tres bon et digne Pere Capucin, originaire de Beugey, mays natif de Chamberi, qui neanmoins n'ayant point de procuration, promit de me faire ratifier.

            Sur cela, estant adverti et conjuré par les Catholiques de me rendre en praesence pour un coup de si grande importance, j'y allay nuit et jour, et me treuvay asses tost pour une assemblee generale de tout ce païs-la, ou je refis a vive voix mes requisitions et m'essayay de respondre aux allegations des ministres, qui n'ont rien oublié de leur costé pour empescher le fruit de cette commission demandee imprudemment par leurs confreres, qui ne prirent pas garde que, si ailleurs l'execution de l'Edit leur estoit favorable, a Gex elle leur estoit extremement contraire. Et en fin, apres trois ou quatre assemblees ainsy generales et publiques, la multitude des oppositions et allegations de nos adversayres fut causé que le tout a esté renvoyé au Conseil privé, pour estre par iceluy ordonné selon qu'il verra a faire ; sauf pour le regard de l'eglise des Carmes de Gex, toute ruinee, et [129] une chapelle jointe a icelle, fondee par un bastard de la mayson de nos Princes, comme encor de l'eglise d'Alemoigne, qui, sur le champ, m'ont esté remises. J'espere neanmoins que dans bien peu de moys on me remettra tout le reste, ayant tant de rayson comme j'ay de mon costé ; si bien que ce voyage n'aura pas esté infructueux.

            Rien autre ne s'est passé, digne d'estre representé a Vostre Excellence, laquelle je supplie de m'honnorer tous-jours de sa bienveüillance, et de croire que de tout mon cœur je suis,

            Monsieur,

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII decembre 1611, a Neci.

 

            A Son Excellence.

            A Chamberi. [130]

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DCCXXXI. A Madame d'Aiguebelette (Inédite). Le meilleur témoignage de fidélité, — Souffrance et action, — La mortification par élection et par acceptation. — Quel est le vrai temps de la moisson des affections. — Alerte provoquée par la Sœur de Chastel. — L'assistance des malades dans la maison de la Galerie. — On « desseigne » à Dijon un monastère de la Visitation

 

Annecy, 15 décembre 1611.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Me voyci lautrefoys [de retour.] Je ne fus presque pas arrivé de la visite [en ce pays] de deça, quil me falut partir pour aller [par delà] le Rosne pour chose qui importoit au service de Dieu. Helas ! que nous serons heureux si nous nous dedions bien entierement a ce saint service, soit en allant ou en demeurant, soit en faysant le bien ou en souffrant le mal ; mays sur tout en souffrant, car le tesmoignage de nostre fidelité est bien plus grand en la souffrance qu'en l'action : dont les Martirs sont praeferés aux Confesseurs, et la Passion de nostre Sauveur a esté la grand'œuvre de nostre salut.

            Ma tres chere Fille, vous ne pouvés guere plus dormir couchee ; il faut que vous reposies assisse, a cause du defaut d'aleyne. Mays voyla pas un bon exercice de mortification que Dieu vous donne, et lequel tant de Sains ont prattiqué par election ? Or il n'en vaudra pas moins, ains davantage, quand il sera prattiqué par acceptation. Acceptons-le donques avec tres profond'action de [131] graces, de la main de ce Pere debonaire qui nous l'a imposé ; et si nous avons de la difficulté a respirer, il nous faut tant plus aspirer et souspirer en Dieu par des desirs continuelz de faire progres en son saint amour. Mon Dieu, tres chere Fille, que mon cœur souhaite de bien au vostre entre les afflictions de vostre cors ! Le tems des afflictions douleureuses [est] le vray tems de la moysson des vrayes affections [spirituelles.]

            Nostre pauvre Seur de Chatel nous fit tellement peur [hier] au soir, que, par l'advis du medecin, nous luy donnasmes le Saint Huyle, qu'elle receut avec une foy et devotion [très grandes. Néanmoins] cette nuit passee elle s'est si bien [reposée]… [que si ce n']est pas miracle, c'est au moins une speciale grace que [Dieu a] faitte aux prieres de ses cheres compaignes qui toutes estoyent des-ja en larmes ; si bien qu'a mon jugement, il ni a plus rien a craindre pour ce coup. Croyes que c'est une bonne fille et que Dieu la reserve pour s'en servir a bon escient. Sil vous plait, ma chere Fille, vous feres donner cette nouvelle a nostre petite seur Claudine, affin qu'ell'en loue Dieu et qu'elle ne se mette point en peyne, car cette malade est servie et assistee amoureusement, fervemment et fidelement, selon l'ordre de la compaignie ou ell'est.

            Mme de Chantal doit arriver pour Noüel, sinon que quelqu'affaire d'importance luy soit survenu ; car je luy ay escrit qu'elle n'espargnast pas le tems pour bien conclure tout ce qui est requis, affin qu'apres son retour elle demeure en plus grand repos. Et si, il faut que je vous die qu'elle m'escrit par sa derniere lettre que l'on desseigne a Dijon, ou ell'est, une mayson de la Visitation pareille a celle d'icy ; et faudra peut estre, dans quelque tems, y envoyer un couple ou troys des filles que nous [132] aurons, pour y donner commencement. Mays il n'est pas requis que ceci se sache encor ; c'est pourquoy je le dis a vous.

            La chere cousine est toute aupres de Mme de Lambert qui est malade, si que je ne l'ay point veu il y a trois semaines ; mais elle se porte bien.

            Bonsoir, ma tres chere Fille ; continues a bien aymer Dieu, et moy pour l'amour de Dieu, puisque par ce mesm'amour je suis tres entierement tout vostre.

            Vive Jesus !

            XV [decembre], a Neci.

 

            A Madame

Madame d'Aiguebelette.

            A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Limoges.

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DCCXXXII. A la Soeur de Chastel, Religieuse de la Visitation. Encourageantes paroles à une convalescente. — Consolation que le Saint souhaite à la Mère de Chantal pour son retour à Annecy.

 

Annecy, 15 décembre 1611.

 

            Courage, au nom de Nostre Seigneur, ma pauvre tres chere fille Peronne Marie ! Remettons nous du tout en [133] vigueur pour servir de nouveau nostre divin Maistre en sainteté et justice tous les jours de nostre vie. Tenes vous doucement en repos en Dieu, pour reprendre vos forces de sa main, affin que quand nostre chere Mere reviendra, elle nous treuve tous braves. Qu'auroit-elle dit, cette bonne Mere, si en son absence nous eussions laissé mourir sa chere Peronne ? Sans doute, son coeur en eust esté maternellement affligé. Beni soit Dieu qui nous a visités en sa douceur, et qui nous a consolés ! Amen. [134]

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DCCXXXIII. A Madame de Menthon, Abbesse de Sainte-Catherine. Souhaits de bonne fête à une Abbesse, sa cousine. — Prédications et auditeurs du Saint.

 

Annecy, 26 décembre 1611.

 

            Certes, il n'y a pas moyen de tarder plus, parmi ces bonnes festes, d'aller saluer la tres chere Mere et Cousine et sçavoir comment elle se porte en ce grand froid. Bonjour selon tous mes devoirs.

            O Dieu, que j'ay pensé en vous devant la creche de Bethleem, et que j'ay prié pour nostre cœur le divin Enfant ! Il me semble que ses bontés s'aggrandissent pour nous de moment en moment. Croyes que j'eu bien d'auditeurs hier ; c'estoit chose prodigieuse, et je croy qu'il aura beny mon discours. Aujourd'huy, avec l'assistence de ses graces, j'espere de discourir de la conformité de nos volontés avec la sienne eternelle.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à la Visitation d'Annecy. [135]

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DCCXXXIV. A Madame de la Fléchère. Comment témoigner la vraie fidélité à Notre-Seigneur. — Condition de la vie humaine. — Ce qui arrive entre les enfants des hommes

 

Annecy, 28 décembre [1611.]

 

            Je ne doute point, ma tres chere Fille, que vous ne soyes grandement exercee de diverses rencontres desplaysantes, sçachant une partie des sujetz qui vous en peuvent donner ; mays en quoy, et quand, et comment pouvons nous tesmoigner la vraye fidelité que nous devons a Nostre Seigneur, qu'entre les tribulations, es contradictions et au tems des repugnances ? Cette vie est telle qu'il nous faut plus manger d'absynthe que de miel ; mais Celuy pour lequel nous avons resolu de nourrir la sainte patience au travers de toutes oppositions, nous donnera la consolation de son Saint Esprit en saison. Gardés bien, dit l'Apostre, de perdre la confiance, par laquelle estans revigorés, vous souffrires et supporteres vaillamment le combat des afflictions, pour grand qu'il soit.

            J'ay esté certes marri quand j'ay sceu cette petite alteration survenue entre les deux chers cousins, pour ce morceau de pain laissé par la pauvre Mme de N. : ainsy arrive-il entre les enfans des hommes. [136]

            Or sus, je suis pressé. Dieu nous donne la grace de bien et saintement commencer et passer cette nouvelle annee prochaine ; que puissions nous, en icelle, sanctifier le saint nom de JESUS et faire proffiter le sacré soin de nostre salut.

            Je suis immortellement tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le jour des Innocens.

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DCCXXXV. A la Mère de Chantal (Inédite). Condescendance du Saint pour une Religieuse malade. — Promesse d'une visite à la Galerie pour le lendemain

 

Annecy, [1610-1611.]

 

            Voyla mon grand verre que j'envoye a nostre pauvre malade, affin qu'ell'y boive plus a souhait. Si je pouvois contribuer quelqu'autre chose a la recreation de son goust, je le ferois de tout mon cœur.

            Mays vous, ma tres chere mt. Fille, dites moy, je vous prie, sera-il mieux que je vous aille revoir demain matin pour assister au disner de cette grande fille, et encor de la Jaquemaz, sil y escheoit, ou que j'y aille [137] seulement apres Vespres pour la voir souper ? Mon opinion est que ce soit apres Vespres, par ce que j'auray plus de tems, comme j'espere, d'estre avec moy (je veux dire avec vous) et avec elle ; et lhors j'adjousteray aux tablettes le mot qui manque, car j'ay grand'envie d'estr'un jour homme de parole.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Justine Magnin,

à Saint-Michel de Maurienne (Savoie).

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DCCXXXVI. A la même (Inédite). Une journée très occupée. — C'est Notre-Seigneur qui unit les cœurs indissolublement

 

Annecy, [1610-1611.]

 

            Saches, ma tres chere mienne Fille (mais vous le saves bien), que ça esté outre mon gré que j'ay passé cette journee sans vous voir. Toute la matinee s'en est allee en tracas, mais tracas necessaire. Soudain apres disné, qui estoit le tems que j'avois reservé pour nostre cœur, mon bon cousin monsieur de Charmoysi m'est venu treuver jusques a troys heures, qui estoit le terme que j'avois promis d'aller parler en particulier avec les bonnes Dames de Sainte Claire, d'ou je viens maintenant.

            C'est, de vray, un sevrement aux enfans de demeurer les jours entiers comme cela. O, Dieu nostre Sauveur nous soit a jamais toute chose ! C'est en luy et par luy que nostr'unique cœur est indivisible ; qu'a jamais puisse-il tout vivre a son saint amour.

            Bonsoir, ma mienne tres chere Fille ; mais bon soir [138] millions de foys. Conservés vous doucement et prenes le repos requis a nostre cors. Demain ce sera sans nulle faute, sil n'arrive de l'impossibilité.

            Mon Dieu, ma tres chere mienne Fille, en fin, qui sommes nous, sinon ce que Nostre Seigneur a voulu que nous fussions ?

            Vive Jesus ! Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Coignet,

château du Petit-Montreynaux, à La Tour-en-Jarret (Loire).

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DCCXXXVII. A la même. Les occupations du Saint privent la maison de la Galerie de ses entretiens. — Une visite de la baronne de Thorens. — Charité délicate

 

Annecy, [1610-1611.]

 

            Tirannisé de visites et entretiens importuns, me voyci a la fin du jour sans vous avoir veu, ma tres chere Fille. J'excepte pourtant la visite de la petite seur, qui vient de me laisser maintenant, et laquelle m'a laissé avec bon goust, par ce que nous avons parlé de bonnes choses. Mais ne laisses pas, ma chere Fille toute mienne, de me faire sçavoir comme vous vous portes cett'apres disner et apres souper, en peu de lignes, de peur de vous travailler. O, Dieu me donnera demain quelqu'heure pour vous voir. Croyes que ce ne sera pas si tost que je le souhaite.

            Vive Jesus ! Amen.

 

Revu sur l'Autographe qui, en 1900, était conservé à Milan,

dans l'oratoire de l'Addolorata. [139]

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DCCXXXVIII. A une dame. Où se révèle l'amour pur de Notre-Seigneur et l'amoureuse fidélité à son service. — Laissons Dieu façonner notre cœur tout à son gré. — Cinq élévations propres à sanctifier les souffrances. — Pourquoi et comment faut-il recourir aux remèdes. — Profit spirituel de la maladie.

 

[1610-1611.]

 

            Ma chere Fille,

 

            Laissons pour un peu la meditation (ce n'est que pour mieux sauter que nous reculons), et prattiquons bien cette sainte resignation et cet amour pur de Nostre Seigneur qui ne se prattique jamais si entierement qu'emmi les tourmens ; car d'aymer Dieu dedans le sucre, les petitz enfans en feroyent bien autant, mais de l'aymer dedans l'absinthe, c'est la le coup de nostre amoureuse fidelité. De dire VIVE JESUS sur la montaigne de Thabor, saint Pierre, tout grossier, en a bien le courage ; mais de dire VIVE JESUS sur le mont de Calvaire, cela n'appartient qu'a la Mere et a l'amoureux fidelle qui luy fut laissé pour enfant.

            Or sus, ma Fille, voyés-vous, je vous recommande a Dieu pour obtenir pour vous cette sacree patience, et n'est pas en mon pouvoir de luy proposer rien pour vous, sinon que tout a son gré, il façonne vostre cœur pour s'y loger et y regner eternellement ; qu'il le façonne, dis-je, ou avec le marteau, ou avec le ciseau, ou avec le pinceau : c'est a luy d'en faire a son playsir, non pas, ma chere Fille ? faut-il pas faire ainsy ?

            Je sçai que vos douleurs se sont augmentees despuis [140] peu, et a mesme mesure le desplaysir que j'en ay ; bien qu'avec vous, je louë et benis Nostre Seigneur de son bon playsir qu'il exerce en vous, vous faysant participer a sa sainte Croix et vous couronnant de sa couronne d'espines.

            Mais, ce me dites vous, vous ne pouves gueres arrester vostre pensee sur les travaux que Nostre Seigneur a souffertz pour vous, tandis que les douleurs vous pressent. Et bien, ma chere Fille, il n'est pas aussi requis que vous le fassies, ains que tout simplement vous esleviés, le plus frequemment que vous pourrés, vostre cœur a ce Sauveur et que vous fassies ces actions : premierement, d'accepter le travail de sa main, comme si vous le voyies luy mesme vous l'imposant et fourrant en vostre teste ; secondement, vous offrant d'en souffrir encores davantage ; troisiesmement, l'adjurant par le merite de ses tourmens, d'accepter ces petites incommodités en l'union des peynes qu'il souffrit sur la croix ; quatriesmement, protestant que vous voules non seulement souffrir, mais aymer et caresser ces maux comme envoyés d'une si bonne et douce main ; cinquiesmement, invoquant les Martyrs et tant de serviteurs et servantes de Dieu qui jouissent du Ciel pour avoir esté fort affligés en ce monde.

            Il n'y a nul danger a desirer du remede, ains il le faut soigneusement procurer ; car Dieu, qui vous a donné le mal, est aussi l'autheur des remedes. Il faut donq les appliquer, avec telle resignation neanmoins, que si sa divine Majesté veut que le mal surmonte, vous y acquiescerés ; s'il veut que le remede vainque, vous l'en benirés.

            Il n'y a point de danger, en faysant les exercices spirituelz, d'estre assise. Nullement, ma Fille ; mais je dis pour beaucoup moins d'incommodités que celles que vous souffrés.

            Mon Dieu, ma Fille, que vous estes heureuse si vous continues a vous tenir sous la main de Dieu, humblement, doucement et souplement ! Ah ! j'espere que ce mal de teste profitera beaucoup a vostre cœur ; vostre cœur, dis-je, que le mien cherit d'un amour tout particulier. [141] C'est maintenant, ma Fille, que, plus que jamais et a tres bonnes enseignes, vous pouves tesmoigner a nostre doux Sauveur que c'est de toute vostre affection que vous aves dit et dires : VIVE JESUS !

            Vive Jesus ! ma Fille, et qu'il regne parmi vos douleurs, puis que nous ne pouvons regner ni vivre que par celle de sa mort. Je suis en luy, tout entierement vostre.

FRANÇS E. de Geneve. [142]

 

Année 1612

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DCCXXXIX. A la Mère de Chantal. Le baume sacré du nom de Jésus ; quels sont les cœurs qu'il pénètre de son parfum. — Pieuses aspirations. — Souhaits pour la Mère de Chantal. — Le mystère de la Circoncision. — Prière au « divin Poupon. » — La circoncision spirituelle

 

Annecy, 1er janvier 1612.

 

            O Jesus, remplissés nostre cœur du bausme sacré de vostre nom divin, affin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens et se respande en toutes nos actions. Mays pour rendre ce cœur capable de recevoir une si douce liqueur, circoncisés-le et retranchés d'iceluy tout ce qui peut estre desaggreable a vos saintz yeux. O nom glorieux, que la bouche du Pere celeste a nommé eternellement, soyés a jamais la superscription de nostre ame, affin que, comme vous estes Sauveur, elle soit eternellement sauvee. O Vierge sainte, qui, la premiere de toute la nature humaine, aves prononcé ce nom de salut, inspirés-nous la façon de le prononcer ainsy qu'il est convenable, affin que tout respire en nous le salut que vostre ventre nous a porté.

            Ma tres chere Fille, il failloit escrire la premiere lettre de cette annee a Nostre Seigneur et a Nostre Dame ; et voyci la seconde par laquelle, o ma Fille, je vous donne le bon an et dedie nostre cœur a la divine Bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette annee, [143] qu'elle nous serve de fondement pour l'annee eternelle ! Du moins ce matin, sur le resveil, j'ay crié a nos oreilles : VIVE JESUS ! et eusse bien voulu espandre cet huyle sacré sur toute la face de la terre.

            Quand un bausme est bien fermé dans une phiole, nul ne sçait discerner quelle liqueur c'est, sinon celuy qui l'y a mise ; mais quand on a ouvert la phiole et qu'on en a respandu quelques gouttes, chacun dit : C'est du bausme. Ma chere Fille, nostre cher petit Jesus estoit tout plein du bausme de salut, mays on ne le connoissoit pas, jusques a tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair ; et lhors on a conneu qu'il est tout bausme et huyle respandu, et que c'est le bausme de salut. C'est pourquoy saint Joseph et Nostre Dame, puis tout le voysinage commence a crier : JESUS, qui veut dire Sauveur.

            Playse a ce divin Poupon de tremper nos cœurs dans son sang et les parfumer de son saint nom, affin que les roses des bons desirs que nous avons conceus soyent toutes pourprees de sa teinture et toutes odorantes de son unguent. Mon Dieu, ma Fille, que cette circoncision est a propos de nos petitz, mais grans renoncemens ! car c'est proprement une circoncision spirituelle.

Vostre tres affectionné pere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [144]

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DCCXL. A M. Bénigne Milletot. Souhaits de nouvel an.

 

Annecy, 1er janvier 1612.

 

            Monsieur,

 

            A ce commencement de nouvelle annee, je vous supplie de recevoir aggreablement le renouvellement des offres de mon bien humble service, qu'avec beaucoup d'affection, de sincerité et de reconnoissance je vous ay ci devant fait. Que si Nostre Seigneur exauce mes vœux, cet an vous sera l'an de prosperité, de contentement et de benediction sur vous, Monsieur, en vous et tout autour de vous, qui, par apres, en verres une grande suite de pareilz, lesquelz en fin aboutiront a l'annee eternelle, en laquelle vous jouires immortellement de l'Autheur de toute vraye prosperité et benediction.

            C'est le souhait, Monsieur, de

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E, de Geneve.

            Le premier jour de l'an 1612. [145]

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DCCXLI. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jésus. Un « livret » dont le Saint aurait désiré avoir une copie. — Sa dévotion pour le bienheureux Pierre Favre et ce qu'il pensait de l'histoire de sa vie.

 

Annecy, 10 janvier 1612.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Il est bien tems que je vous rende le livret de la sainte Vie de nostre bienheureux Pierre Faber. J'ay esté si consciencieux que je n'ay pas osé le faire transcrire, parce que, quand vous me l'envoyastes, vous m'en parlastes comme chose qui estoit reservee pour encor a vostre Compaignie. J'eusse pourtant bien desiré d'avoir une copie d'une histoire de si grande pieté et d'un Saint auquel, pour tant de raysons, je suis et dois estre affectionné ; car c'est la verité que je n'ay pas la memoyre ferme pour les particularités de ce que je lis, ains seulement en commun. Mais je veux croire qu'en fin la Compaignie se resoudra de ne faire pas moins d'honneur a ce [146] premier compaignon de son Fondateur qu'elle en a fait aux autres. Que si bien sa vie, pour avoir esté courte et en un tems auquel on ne remarquoit si exactement toutes choses, ne peut pas tant fournir de matiere a l'histoire comme celle de quelques autres, neanmoins ce qu'elle donnera ne sera que miel et sucre de devotion.

            Le bon monsieur Faber, nostre medecin de cette ville, a despuis peu treuvé au Reposoir une lettre de ce bienheureux Pere, escritte de sa main, que j'ay esté consolé de voir et bayser. Mais en fin, je vous remercie de la charitable communication qu'il vous a pleu me faire, et vous supplie me continuer tous-jours celle de vos prieres, puisque de tout mon cœur je suis,

            Mon Reverend Pere,

Vostre humble et tres affectionné confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 10 janvier 1612. [147]

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DCCXLII. A M. Antoine des Hayes. Bons effets que les amis du Saint attribuaient à ses lettres. — M. de Granier. — Le duc de Nemours ne désire pas céder son hôtel

 

Annecy, janvier 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je loüe Dieu de cette nouvelle santé, le retour de laquelle vous m'annoncés par vostre lettre du 6 decembre, avant que j'aye eu aucune sorte d'advertissement de vostre maladie. Veuille cette bonté du Seigneur, qui vous a esté propice et a moy en vostre guerison, nous favoriser longuement de sa duree et d'une constante consolation en cette sainte et douce amitié qu'elle a establie entre nous. Que si je sçavois que mes lettres eussent quelques secrettes vertus pour vous donner un bon portement, ainsy que vostre affection vous le fait estimer, croyés, Monsieur, que j'en escrirois jour et nuit, et ne vous escrirois point d'autre encre que celuy de mon sang, pour marquer des caracteres si aymables et pretieux [desquels] les effectz me seroyent si chers et desirables.

            Ce grand Dieu, devant lequel je suis journellement offrant la divine Hostie de propitiation, sçait bien qu'en ce tems-la je luy nomme tous-jours vostre nom, avec l'humble recommandation. Si cela, comme je n'en doute point, a la force d'attirer les benedictions divines de son sein paternel, je veux esperer qu'il vous en comblera.

            M. de Granyer est allé, comme je pense, en Languedoc, sans passer icy ou nous l'attendions, plus pour [148] apprendre les particularités des graces et traitz de vostre faveur, que pour autres raysons, bien que je sçai qu'elles sont grandes.

            Ce que j'avois preveu de la volonté de Monseigneur de Nemours touchant son hostel, s'est treuvé plus que veritable ; car, outre ce que j'avois consideré, il y a de plus qu'il n'est nullement hors d'occasion d'aller peut estre plus tost que je ne pense a Paris : vous pouvés bien penser pourquoy, mays je dis cecy entre nous deux. Son Altesse luy a promis de rechef d'effectuer le mariage ou devant caresme prenant, ou, apres Pasques ; le tems d'apres Pasques peut estre bien long.

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DCCXLIII. A la Mère de Chantal. Les deux et le soleil comparés à la chair du Sauveur. — Contemplation angélique et Communion eucharistique. — Une sentence du grand saint Antoine. — Pourquoi Dieu nous abaisse et se cache

 

Annecy, 17 janvier 1612.

 

            Voyla M. Michel qui va un peu plus tost que l'ordinaire, affin que vous puissies prendre vostre tablette au moins une heure avant disner.

            Mais, ma tres chere Fille, toutes deux, ces prises que [149] vous feres, sont tablettes cordiales ; sur tout la premiere, composee de la plus excellente poudre qui fut jamais au monde. Ouy, ma chere Fille, car nostre Sauveur a pris nostre vraye chair, qui est en somme poudre ; mais en luy, elle est si excellente, si pure, si sainte, que les cieux et le soleil ne sont que poussiere au prix de cette poudre sacree. Or, la tablette de la sainte Communion est cela mesme qui a esté mis en tablette, affin que nous la puissions mieux prendre ; bien que ce soit la tres divine et tres grande table que les Cherubins et Seraphins adorent et de laquelle ilz mangent par contemplation reelle, comme nous la mangeons par reelle Communion. O Dieu, quel bonheur que nostre amour, en attendant cette manifeste union que nous aurons avec Nostre Seigneur au Ciel, s'unisse par ce mystere si admirablement a luy !

            Ma tres chere Fille, tenés vostre esprit en paix ; ne regardés d'ou sa petite maladie luy vient, ni ne vous mettés nullement en peyne de le guerir, mays divertissés le tant qu'il vous sera possible de retourner sur soy mesme. Le grand saint Anthoine, duquel les intercessions ont une extraordinaire influence [sur] cette journee, vous fera, par la bonté de Dieu, lever demain toute brave. C'est une grande joye au cœur que vous aves icy, de s'imaginer ce grand Saint entre ses hermites, tirer du fond de son esprit des sentences graves et sacrees, et les prononcer avec une veneration incomparable comme des oracles du Ciel ; mais entr'autres, il me semble qu'il die a nostre ame ce qu'il disoit parmi ses disciples, pris de l'Evangile : Ne soyés en souci de vostre ame, ou pour vostre ame. Non, ma chere Fille, demeurés en paix, car Dieu, a qui elle est, la soulagera.

            Cependant, ma bienaymee Fille, je ne laysse pas, dans le fond de mon esprit, de prendre des saintes esperances qu'apres que par ces petitz abandonnemens, Dieu nous aura espreuvé et exercé en la mortification interieure, il ne nous vivifie par ses consolations sacrees. Il ne nous abbaisse, ce doux Amour de nostre cœur, que pour nous eslever : il se musse et cache, et regarde par le treillis quelle contenance nous tenons. Hé ! Seigneur [150] Sauveur, j'entrevois, ce me semble, la clairté de vostre œil debonnaire qui nous promet le retour de vos rayons pour faire renaistre un beau printems en nostre terre. Ah ! ma Fille, nous en avons bien passé de plus aspres : pourquoy n'aurons-nous pas le cœur de surmonter encores cette difficulté ?

            Croyés, ma Fille, que je prie Nostre Seigneur pour vous avec tout nostre cœur ; car mon ame est collee a la vostre et je vous cheris comme mon ame, ainsy qu'il est dit de Jonathas et de David. Dieu soit a jamais propice a ce cœur, tout voüé, tout dedié, tout consacré au celeste amour.

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DCCXLIV. A Madame Françoise Bourgeois Prieure du Puits-D'Orbe. L'appui des créatures et la protection de la providence divine. — Quand il nous arrive quelque chose contre notre gré, que faire ? — Jugements et manquements qui ne sont pas mortels. — Message

 

Annecy, 20 janvier 1612.

 

            Il ne m'arrivera jamais, ma tres chere Seur, ma Fille, d'oublier vostre cœur, que le mien aymera perpetuellement en Nostre Seigneur. Je vois par vostre lettre, que [151] vous ne vous appuyés pas asses en la sainte providence divine. Ma chere Fille, si elle retiroit vostre bonne seur, ce que nous devons esperer n'arriver pas si tost, vous ne laisseries pas pour cela d'estre sous la protection de ce tres bon Pere eternel qui vous couvriroit de ses aisles. Nous serions miserables, ma Fille, si nous n'establissions nostre appuy en Dieu que par l'entremise des creatures que nous affectionnons. Mays avec cela, ma chere Seur, il ne se faut pas former des craintes inutiles ; il suffira bien de recevoir les maux qui de tems en tems nous arrivent, sans les prevenir par l'imagination.

            Pour la charge que vous aves, c'est une tentation de n'y avoir pas l'amour requis pour le tems auquel vous y seres. Au contraire, je voudrois, et Dieu voudroit, que vous l'exerçassies gayement et amoureusement, et par ce moyen il auroit soin du desir que vous aves d'estre deschargee et le feroit reüscir en son tems ; car notés une fois pour toutes, qu'il ne faut jamais s'aheurter avec une de nos volontés, ains quand il nous arrive quelque chose contre nostre gré, il le faut accepter de bon cœur, quoy que de bon cœur on desirast que cela ne fust point ; et quand Nostre Seigneur voit que nous sommes ainsy souples, il condescend a nos intentions.

            J'escriray a vostre seur qu'elle vous face faire les services comme les autres, car cela est bon.

            Quand les pensees nous arrivent du mal d'autruy et que nous ne les rejettons pas promptement, ains nous y amusons quelque peu, pourveu que nous ne facions pas un jugement entier, disant en nous mesmes : Il est vrayement ainsy, ce n'est pas peché mortel ; quand bien nous dirions absolument : Il est ainsy, pourveu que ce ne fust pas en chose d'importance ; car, quand ce dequoy [152] nous jugeons nostre prochain n'est pas chose griefve, ou que nous ne jugeons pas absolument, ce n'est que peché veniel. De mesme pour avoir omis quelque verset de l'Office ou quelque ceremonie, il n'y a que peché veniel. Et quand la memoire de telle faute nous arrive apres la confession, il n'est pas requis de retourner vers le confesseur pour aller a la Communion ; ains est bon de n'y retourner pas, mays le reserver a dire pour l'autre confession suivante, affin de le dire si on s'en souvient.

            Tandis que vostre seur n'a pas voulu recevoir vostre pension, il n'y a eu nulle faute pour vous ; mais ce sera chose bonne qu'elle la manie.

            Ma tres chere Seur, il ne faut point perdre courage ; encor que vous ne prattiquiés pas si fidellement les resolutions que vous faites, vous deves fortifier vostre cœur pour en venir a l'execution. Continués donq, tres chere Seur, ma Fille, et ne cessés point d'invoquer Dieu et d'esperer en luy, et il vous fera abonder en ses benedictions. Ainsy l'en supplie-je, par le merite de sa Passion et les intercessions de sa Mere et de sainte Françoise.

            Nostre doux Sauveur soit donq avec vous, ma chere Seur, ma Fille, et je suis tout en luy,

Vostre bien humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            La bonne Mere de Chantal, qui est malade sans danger, comme j'espere, vous saluë de tout son cœur. Je la recommande a vos prieres, et moy aussi, ma chere Seur, ma Fille. A Dieu.

            Le 20 janvier 1612.

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DCCXLV. A M. Pierre de Bérulle. M. de Marillac porteur d'une lettre de M. de Bérulle. — Sympathies du Saint pour la Congrégation de l'Oratoire. — L'hôtel du duc de Nemours n'est pas libre. — Offre de services et remerciements pour l'envoi de deux livrets

 

Annecy, 20 janvier 1612.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu toutes les lettres que vous me marques par celle quil vous pleut m'addresser par les mains de monsieur de Marillac, et m'estonne comm'il est arrivé que vous n'ayes pas eu mes responses que j'ay quelquefois dupliquees, de peur de manquer au devoir que je vous ay et pour l'extreme contentement que je prens en la prattique de vostre sainte amitié. En toutes, je m'essayois de vous tesmoigner l'ardent desir que j'aurois de rendre quelque sorte de service pour l'erection, institution et avancement de vostre Congregation, laquelle j'estime devoir estre un (sic) des plus fructueuses et apostoliques œuvres qui ayt esté faite en France, il y a long tems. Mays, Monsieur, je voy bien que je n'auray pas ce bonheur d'y contribuer chose quelcomque, sinon mes bons souhaitz et mes vœux ; car, quant a l'hostel de Nemours, il n'en faut nullement parler, puisque Monseigneur de [154] Nemours fait profession expresse, et de ne vouloir jamais se retirer du tout de France, et d'avoir cette commodité de mayson, plus praetieuse que tout'autre chose.

            Monsieur de Marrillac passa loin d'icy une journee et m'envoya homm'expres qui m'apporta vostre lettre, sur laquelle j'en escrivis un'autre a un de mes amis qui a grand part au maniment des affaires de ce Prince, affin quil servit monsieur de Marillac en cett'occasion. Mays l'homme qui la porta n'arriva pas asses tost pour treuver ledit seigneur de Marillac qui passoit en diligence ; car cet amy a qui j'avois escrit, m'a veu despuis et m'a dit quil avoit parlé avec luy, sans que pourtant il tesmoignast d'avoir aucun'affaire de luy.

            Voyla comment je vous ay en tout et par tout esté inutile, mays certes je n'ay esté ni seray jamais sinon tres affectionné, mesm'en ce dessein qui est tant a la gloire de Nostre Seigneur et avancement de la pieté. Si donques il se presentoit jamais occasion de vous rendre service, ne laisses pas, je vous supplie, de m'employer en qualité, Monsieur, de

Vostre tres asseuré et humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XX janvier 1612, a Neci.

            Monsieur, j'ay voirement receu les deux livretz qui me furent renduz par monsieur de Sauzea, et pleut a Dieu que vostre commodité fut de m'en envoyer encor deux autres, car je les employerois utilement.

 

            A Monsieur

            Monsieur de Berulle.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel de la. rue Denfert-Rochereau. [155]

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DCCXLVI. A Mademoiselle Acarie. La sainte bienveillance d'une Bienheureuse pour l'Evêque de Genève. — Pourquoi aurait-il désiré faire le voyage de Paris ? — Sentiment de François de Sales sur l'Oratoire naissant ; regrets de n'avoir pu prêter son concours à M. de Bérulle. — Souhaits pour la nouvelle Congrégation

 

Annecy, 21 janvier 1612.

 

            Madamoyselle,

 

            Croyes, je vous supplie, que je ressens tous-jours une tres particuliere consolation quand vous me faites le bien de m'envoyer de vos nouvelles et de m'asseurer de vostre sainte bienveuillance. Si vous m'aves souhaité par dela, j'ay bien correspondu de mon costé, estimant que un voyage seroit grandement utile, non aux autres, mays a moy qui, par la conference que j'aurois avec tant de gens de bien, rafraichirois les resolutions et l'esprit qui m'est necessaire en ma vocation.

            J'eusse desiré plus quil ne se peut dire, d'estre utile au service de la sainte Congregation qui esclost maintenant sous la direction de monsieur de Berulle, laquelle j'ay opinion devoir estre l'une des plus fructueuses qui ayt jamais esté a Paris ; mais je ne puis en point de façon, Nostre Seigneur ne m'en treuvant pas digne, et l'affaire pour laquelle ledit seigneur Berulle m'escrivit, impossible, a laquelle neanmoins j'eusse volontier contribué tout mon pouvoir, sil y eut eu apparence de la voir reuscir.

            Dieu, qui par sa misericorde est autheur de cette benite assemblee, la logera, la protegera et dilatera pour le salut et perfection de plusieurs. Ainsy l'en supplie-je, et quil vous face de plus en plus abonder en son saint amour, [156] auquel je vous supplie de me recommander continuellement, comme une personne qui est a [jamais],

            Madamoyselle,

            ………………………………………………………………………………………………

            XXI janvier 1612, a Neci, ou je suis aussi plus humble serviteur de monsieur vostre mari et de monsieur vostre filz.

 

            A Madamoyselle

Madamoyselle Acarie. — A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, au Carmel de la rue Denfert-Rochereau. [157]

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DCCXLVII. A la Mère de Chantal. Entre les deux Fondateurs, il n'y avait « ni second, ni premier. » — Modèle d'exhortation destinée à des prétendantes avant leur vêture. — Ce qu'on enseigne aux Novices. — Sœur Jeanne-Charlotte de Bréchard leur maîtresse ; obéissance qu'on lui doit. — Une illusion que les Novices ne sauraient avoir.

 

Annecy, 24 janvier 1612.

 

            Je vous seconderay le plus doucement quil me sera possible, ma tres chere Fille, en vostre juste intention, bien qu'entre nous il ny a ni second ni premier, ains un (sic) simple unité. Ce matin, m'estant esveillé un peu a bonn'heure, j'ay pensé que peut estre il seroit a propos demain, qu'avant que de venir a la sainte Messe, vous fissies appeller toutes nos filles vers vous, et puis que vous fissies venir les deux qui doivent estre receües, et qu'en presence des autres, vous leur dissies trois ou quatre paroles en ce sens :

            « Vous nous aves demandé d'estre receues entre nous pour y servir Dieu en unité de mesm'esprit et de mesme volonté ; et, esperans en la Bonté divine que vous vous rendres bien affectionnees a ce dessein, nous sommes pour vous recevoir ce matin au nombre de nos Seurs novices, pour, selon l'avancement que vous feres en la vertu, vous recevoir par apres aux oblations, dans le tems que nous aviserons. Mays, avant que de passer plus outre, [158] penses bien derechef en vous mesme a l'importance de ce que vous entreprenes ; car il seroit bien mieux de n'entrer pas parmi nous, qu'apres y estr'entrees donner quelqu'occasion de n'estre point receues aux oblations. Que si vous aves bonne volonté, vous deves esperer que Dieu vous favorisera.

            « Or, entrant ceans, saches que nous ne vous y recevons que pour vous enseigner, tant que nous pourrons, par exemple et advertissemens, a crucifier vostre cors par la mortification de vos sens et appetitz de vos passions, humeurs, inclinations et propres volontés, en sorte que tout cela soit desormais sujet a la loy de Dieu et aux Regles de cette Congregation. Et a cet effect, nous avons commis la peyne et le soin particulier de vous exercer et instruire a ma Seur de Brechard ci presente, a laquelle partant vous seres obeissantes, et l'escouteres avec respect et tel honneur, qu'on connoisse que ce n'est pas pour la creature que vous vous sous-mettes a la creature, mays pour l'amour du Createur que vous reconnoisses en la creature. Et quand nous commettrions un'autre pour estre vostre Maistresse, quelle qu'elle fut, vous devries luy obeir avec toute humilité pour la mesme rayson, sans regarder en la face de celle qui vous gouvernera, mais en la face de Dieu qui l'a ainsy ordonné.

            « Vous entreres donques en cett'escole de nostre Congregation, pour apprendre a bien porter la croix de Nostre Seigneur, par abnegation, renoncement de vous mesme, resignation de vos volontés, mortification de vos sens. Et moy je vous cheriray cordialement comme vostre seur, mere et servante ; toutes nos Seurs vous tiendront pour leurs seurs tres aymees, et ce pendant vous aures ma Seur de Brechar (sic) pour Maistresse, a laquelle vous obeires, et suivres ses advertissemens avec l'humilité, sincerité et simplicité que Nostre Seigneur requiert en toutes celles qui se rangent en cette Congregation. Vous vous tromperies bien si vous pensies estre venues pour avoir plus grand repos qu'au monde, car au contraire, nous ne [159] sommes icy assemblees que pour travailler diligemment a desraciner nos mauvaises inclinations, corriger nos defautz, acquerir les vertus ; mays bienheureux est le travail qui nous donnera le repos eternel. »

 

            Or, je ne dis pas, ma chere Fille, que vous disies ni ces paroles, ni tout ceci, mays ce que vous verres a propos, plus pour l'edification et reveil des autres, que pour celle (sic) ci. Je treuverois encor bon qu'apres que vous aures tiré quelque promesse d'elles, qu'elles se comporteront bien, vous adjoustassies :

            « Benites seront celles qui vous donneront bon exemple et qui vous consoleront en vostre entreprise. Amen. »

            Voyla ce que j'ay pensé, si vous estimes a propos. Bon soir, ma tres chere Mere, ma Fille vrayment mienne. Vive Jesus et Marie ! Amen. Je me porte fort bien.

 

Revu sur l'Autographe consèrve à la Visitation d'Aurillac.

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DCCXLVIII. A la même. Le très grand saint Paul. — Un désir du Saint. — Pourquoi Dieu soustrait ses douceurs. — Prière à Jésus. — A quelle classe de personnes la douce charité profite davantage

 

Annecy, 25 janvier 1612.

 

            Le tres grand et miraculeux saint Paul nous a resveillés de grand matin, ma tres chere Fille, si fort il s'est escrié aux oreilles de mon cœur et du vostre : Seigneur, que voules vous que je fasse ? Ma tres [160] chere Mere et toute chere Fille, quand sera-ce que, tous mortz devant Dieu, nous revivrons a cette nouvelle vie en laquelle nous ne voudrons plus rien faire, ains laisserons vouloir a Dieu tout ce qu'il nous faudra faire, et laisserons agir sa volonté vivante sur la nostre toute morte ?

            Or sus, ma chere Fille, tenés vous bien a Dieu ; consacrés luy vos travaux, attendés en patience le retour de vostre beau soleil. Ah ! Dieu ne nous a pas forclos de la jouissance de sa douceur, il l'a seulement soustraite pour un peu, affin que nous vivions a luy et pour luy, et non pour ses suavités ; affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un secours compatissant et un support suave et amoureux ; affin que, d'un cœur tant escorché, mort et matté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste.

            O Seigneur Jesus, par vostre tristesse incomparable, par la desolation nompareille qui occupa vostre cœur divin au mont Olivet et sur la croix, et par la desolation de vostre chere Mere, qu'elle eut tandis qu'elle fut privee de vostre presence, soyés la joye, ou au moins la force de cette fille, quand vostre Croix et Passion est tres uniquement conjointe a son ame.

            Je vous envoye cet eslan de nostre cœur, ma tres chere Fille, que le grand saint Paul benisse. Je pense qu'il vous faut caresser la seur de nostre Seur N., car en fin la douce charité est la vertu qui respand le bon odeur edificatif, et les personnes moins eslevees la reçoivent avec plus de prouffit. [161]

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DCCXLIX. A la même (Billet inédit). Une résolution finale à prendre pour l'emplacement de l'oratoire de la Visitation

 

Annecy, [janvier-février] 1612.

 

            Le Pere Jaques vous ira revoir demain, ma tres chere Mere, justement a sept heures de matin, pour prendre resolution finale. Il gouste aucunement qu'on face l'oratoire en la grande tour, ainsy quil vous dira plus amplement ; et moy, je ne vous diray plus sinon bon soir, pour ce coup.

            Bonsoir donq, ma tres chere et tres bonne vraye Mere. Dieu vous conserve et rende toute sainte.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Louvier, curé des Pontets (Doubs). [162]

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DCCL. A la même. Un remède souverain : les prières de la Mère de Chantal et la relique de sainte Apolline. — Preuve sensible de la communion des Saints

 

Annecy, 9 février 1612.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Voyla vostre sacré remede que je puis dire m'avoir esté souverain, puisque Dieu a agi avec moy selon vostre foy, vostre esperance et vostre charité, et je dois confesser a la gloire de Jesus Christ et de sa sainte Espouse, que je ne croyois pas de pouvoir dire Messe aujourd'huy a cause de la grande enflure de ma jouë et du dedans de ma bouche ; mais, m'estant appuyé sur mon prie Dieu et ayant posé la relique sur ma jouë, j'ay dit : « Mon Dieu, qu'il me soit fait comme mes filles le desirent, si c'est vostre sainte volonté ; » et tout aussi tost, mon mal a cessé. Nostre Seigneur m'a donné pendant ce tems-la plusieurs bonnes pensees sur le ruminement que la sainte Espouse dit qu'elle faysoit entre ses dens. Au sortir de la, chacun m'a dit que ma jouë estoit desenflee, et je le sentois fort bien moy mesme.

            O vive Dieu ! ma Fille, il est admirable en ses saintes espouses et en tous ses Saintz. Il a voulu que ce mal me soit venu aujourd'huy, pour nous faire honnorer son espouse Apollonie et pour nous donner une preuve sensible de la communion des Saintz.

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte, conservé à la Visitation d'Annecy.

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DCCLI. A la Présidente Brulart. Ce qui rend profitable la nourriture corporelle et spirituelle. — Sentiments d'humilité proposés à une âme privée de la Communion fréquente. — Sentir qu'on est tout à Dieu et « en train de l'orayson » ne dispense pas de s'exercer aux vertus et de mortifier ses passions.

 

Annecy, 11 février 1612.

 

            Vous aves maintenant, ma tres chere Fille, ma response a la lettre que [Mme de Chantal] m'apporta ; et voyei celle que je fay a la vostre du quatorziesme janvier.

            Vous aves bien fait d'obeir a vostre confesseur, soit qu'il vous ayt retranché la consolation de communier souvent pour vous espreuver, soit qu'il l'ayt fait parce que vous n'avies pas asses de soin de vous corriger de vostre impatience. Et moy, je croy qu'il l'a fait pour l'un et l'autre, et que vous devés perseverer en cette penitence tant qu'il vous l'ordonnera, puisque vous aves tout sujet de croire qu'il ne fait rien qu'avec une juste consideration. Et si vous obeisses humblement, une Communion vous sera plus utile en effect que deux et troys faites autrement ; car il n'y a rien qui nous rende la viande si prouffitable, que de la prendre avec appetit et apres l'exercice. Or, la retardation vous donnera l'appetit plus grand, et l'exercice que vous feres a mortifier vostre impatience revigorera vostre estomach spirituel.

            Humiliés-vous cependant doucement, et faites souvent [164] l'acte de l'amour de vostre propre abjection. Demeurés pour un peu en la posture de la Chananee : Ouy, Seigneur, je ne suis pas digne de manger le pain des enfans ; je suis vrayement une chienne qui rechigne et mords le prochain sans propos, par mes paroles d'impatience ; mais si les chiens ne mangent le pain entier, au moins [ont-ilz] les miettes de la table de leurs maistres. Ainsy, o mon doux Maistre, je vous demande, sinon vostre digne Cors, au moins les benedictions qu'il respand sur ceux qui en approchent par amour. C'est le sentiment que vous pourrés faire, ma tres chere Fille, es jours que vous soulies communier et que vous ne communieres pas.

            Le sentiment que vous aves d'estre toute a Dieu n'est point trompeur ; mais il requiert que vous vous amusiés un peu plus a l'exercice des vertus et que vous ayés un soin special d'acquerir celles esquelles vous vous treuves plus defaillante. Relisés le Combat spirituel et faites une speciale attention aux documens qui y sont : il vous sera fort a propos. Les sentimens de l'orayson sont bons, mais il ne faut pas pourtant s'y complaire tellement, qu'on ne s'employe diligemment aux vertus et mortification des passions.

            Je prie tous-jours pour la bonne issue des cheres filles. De vray, puisque vous estes en train de l'orayson et que la bonne Carmeline vous assiste, il suffit. Je me recommande a ses prieres et aux vostres, et suis sans fin ni reserve, tres parfaitement vostre.

            Vive Jesus ! Amen.

            Ce 11 fevrier 1612. [165]

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DCCLII. A la Reine Mère, Marie de Médicis (Minute). L'ambassadeur de l'Evêque de Genève et du petit peuple catholique de Gex auprès de la reine mère.

 

Annecy, 12 février 1612.

 

            Madame,

 

            Ce porteur est le predicateur ordinaire de Gex, Religieux fort zelé, devot, discret, extremement sortable au lieu et a la cause qu'il sert. Ce petit peuple catholique et moy le presentons en toute humilité a Vostre Majesté comme un cahier animé, contenant les moyens plus convenables pour la reduction de ceux de la religion pretendue et pour l'accroissement de la foy catholique au bailliage de Gex ; affin que, si tel est le bon playsir [166] de Vostre Majesté, dont je la supplie tres humblement, elle en sçache par luy toutes les particularités plus clairement.

            Et tandis, j'invoqueray Nostre Seigneur a ce qu'il soit la couronne et la gloire de Vostre Majesté au Ciel et en la terre, selon le continuel desir,

            Madame, de

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidelle orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 12 fevrier 1612.

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DCCLIII. A M. Jean de Chatillon. Une pauvre demoiselle recommandée à la Sainte-Maison de Thonon

 

Annecy, 14 février 1612.

 

            Monsieur,

 

            Cette pauvre damoyselle desireroit que la Sainte Mayson fit l'une de ses aumosnes pour la retraite d'un de ses enfans, selon que quelques uns des Peres de la Mission luy ont donné esperance qu'elle le pourroit impetrer. Sa qualité et extreme necessité la me rend recommandable, c'est pourquoy, autant que je puis, je [167] la vous recommande aussi, et priant Dieu quil vous benisse, je suis,

            Monsieur,

Vostre humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII febvrier 1612, a Neci.

 

            A Monsieur,

Monsieur de Chatillon,

            Plebain de l'eglise de Tonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Grand-Séminaire d'Annecy.

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DCCLIV. A M. Philippe de Quoex. Zèle de la Mère de Chantal et du Saint pour la conversion d'un médecin. Brebis errantes et troupeau fidèle. — Préoccupations et résignation du Fondateur de la Visitation.

 

Annecy, [vers le 24 février] 1612.

 

            Monsieur mon tres cher Confrere et mon parfait Amy,

 

            C'est par le retour de ce pauvre medecin, qui n'a sceu guerir nostre Mere et que je n'ay sceu guerir, que [168] je vous fay ce mot. Ah ! faut il qu'un filz empesche de vivre l'ame du pere de son cors ? Nostre bonne malade donneroit de bon cœur la vie pour la santé spirituelle de son medecin, et moy, pauvre, chetif pasteur, que ne donnerois-je pas pour le salut de cette deplorable brebis ! Vive Dieu, devant lequel je vis et je parle : je voudrois donner ma peau pour le vestir, mon sang pour oindre ses playes et ma vie temporelle pour l'oster de l'eternelle mort.

            Pourquoy vous dis-je cecy, mon cher Amy, sinon pour vous encourager a bien prendre garde que les loups voysins ne se jettent parmi vos brebis, ou, pour dire plus paternellement selon les sentimens de mon ame, sur ces pauvres Genevois. Prenés garde que quelques unes de mes brebis galeuses et errantes n'infectent et ne fassent errer le cher et bienaymé troupeau ; travaillés doucement a l'entour de cette bergerie et dites leur souvent : Charitas fraternitatis maneat in vobis ; et sur tout, priés Celuy qui a dit : Ego sum Pastor bonus, affin qu'il anime nostre soin, nostre amour et nos paroles.

            Je recommande a vos prieres ce pauvre medecin malade ; dites trois Messes a cette intention, affin qu'il puisse guerir nostre Mere et que nous le puissions guerir. Elle est bien malade, cette bonne Mere, et mon esprit, un peu en peyne sur sa maladie. Je dis un peu, et c'est beaucoup. [169] Je sçai neanmoins que si le souverain Architecte de cette nouvelle Congregation veut arracher du fondement la pierre fondamentale qu'il y a jetté, pour la mettre dans la sainte Hierusalem, il sçait ce qu'il veut faire du reste de l'edifice. Dans cette veuë, je demeure en paix, et

Vostre humble serviteur et confrere,

F., E. de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy.

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DCCLV. Au Père Jacques-Philibert de Bonivard de la Compagnie de Jésus (Fragment). Grave maladie de la Mère de Chantal. — Une oraison prolongée et répétée sur la troisième demande du Pater. — La résignation et la confiance d'un Fondateur

 

Annecy, [vers le 26 février] 1612.

 

            Mon cher Pere,

 

            Je vous demande une neuvaine pour la santé de nostre madame de Chantal. Il y a dix ou douze jours que sa griefve maladie me fait faire mon orayson sur la troisiesme petition du Pater : Fiat voluntas tua. Je suis tout sousmis a cette volonté divine. S'il luy plaist de prendre cette Mere, je la luy offre ; s'il luy plaist de nous la laisser, son saint nom soit beni ! S'il luy plaist que nostre ouvrage se fasse, il nous en laissera la matiere, sinon, il la serrera dans son cabinet eternel. [170]

            Il faut que je vous advoue, mon cher Pere, selon les loix de nostre inviolable, paternelle, fraternelle et filiale dilection, que la conduitte de Dieu sur tous ses desseins me tient en admiration, mays avec certaine esperance intime qu'il mene sur le bord de la mort pour vivifier ; je dis plus, qu'il tue pour resusciter. Je fais finir toutes mes pensees par : Fiat voluntas [tua].

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Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy.

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DCCLVI. A Madame de Saint-Cergues. Les amitiés qui ont Dieu pour auteur, et la distance des lieux. — Une occupation agréable et précieuse pour l'Evêque de Genève.

 

Annecy, [26] février 1612.

 

            Mais quand sera-ce donq que j'auray ce contentement de vous revoir, ma tres chere Seur ? car je me voy presqu'a la veille de mon despart pour Chamberi ; et [171] apres Pasques, on ne quitte pas volontier les chaires. Or sus, je voy bien que nous ne serons jamais guere ensemble, si ce n'est en esprit ; aussi est-ce l'Esprit de Dieu qui est l'autheur de la sainte amitié dont vous m'affectionnés, qui, par la distance des lieux, ne peut estre empesché qu'il ne face sa sacree operation dans nos cœurs.

            Que vous veut cependant dire ce petit mot de nos nouvelles ? La Reyne de France m'escrit qu'elle nous rendra toutes nos eglises et tous nos benefices de Gex occupés par les ministres ; dont je prevoy que cet esté je seray grandement occupé a servir a cette besoigne, mays occupation aggreable et pretieuse. Et qui sçait, si nous nous humilions devant Dieu, que sa sainte misericorde ne nous ouvre point un jour la porte de nostre Geneve, affin que nous y rapportions la lumiere que tant de tenebres en avoyent bannie ? Certes, j'espere en la souveraine bonté de Nostre Seigneur, qu'en fin il nous donnera cette grace ; mais prions et veillons pour cela.

            Ma tres chere Seur, perseverés a me cherir cordialement, puisque je suis sans fin et sans reserve,

Vostre plus humble, fidelle frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Je salue bien humblement M. de Saint Cergues.

            Le.. febvrier 1612. [172]

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DCCLVII. A Sa Saintete Paul V (Minute). A quoi servent les canonisations ; le Saint les jugeait presque nécessaires pour le temps où il vivait. — Il demande au Pape de canoniser le bienheureux Amédée ; motifs qu'il fait valoir en faveur de sa supplique

 

Annecy, 7 mars 1612.

 

            Beatissime Pater,

 

            Semper quidem operæ pretium fuit homines qui peculiari ac illustriori vitæ sanctimonia Deum coluerunt, in Sanctorum numerum, publica Ecclesiæ authoritate, solemnique ritu referre : sic enim Deus in Sanctis uberius laudatur, Sanctorum gloriam libentius enarrant populi et laudem eorum splendidius annunciat [173] Ecclesia. Cumque majore fiducia Sanctorum merita recolimus, majore quoque fructu eorum intercessionibus adjuvamur, ac denique eorum exempla vehementius nos provocant, de quorum sanctitate mentes nostræ nullatenus dubitant.

            At vero, Beatissime Pater, hoc quod « semper et ubique dignum et justum est, » hisce nostris temporibus, non solum « salutare » tantum, sed fere necessarium videri debet, cum scilicet quia abundavit iniquitas, refrigescit charitas multorum, imo propemodum omnium ; unde quoniam defecit sanctus a terra, ex iis qui redempti sunt de terra, revocandi sunt in memoriam et in medium Ecclesiæ reducendi illi qui hactenus majore sanctitatis splendore claruerunt, ut sint (quemadmodum unus eorum dixit) in speculum et exemplum, [174] ac quoddam veluti condimentum vitæ hominum super terram, sicque apud nos etiam post mortem vivant, et multos ex iis qui viventes mortui sunt, ad veram provocent et revocent vitam.

            Cum igitur scirem, Beatissime Pater, permultos ex istis omnium ordinum viros, a Beatitudine Vestra expetiisse ut Beatum Amedeum, Sabaudiæ Ducem tertium, Sanctorum cathalogo adscribere dignaretur, nolui sane, neque vero debui committere quin humillimis precibus idipsum ab apostolica Beatitudinis Vestræ providentia postularem. [175]

            Quod dum facio, idem omnia idem mecum agere videntur. Postulat id, non precibus, sed suo jure, Dei omnipotentis majestas, quæ in hoc Beato Principe clarius mirabilis apparebit. Postulat Hierusalem illa cælestis, mater nostra, quæ suum civem a nobis debitis honoribus celebrari lætabitur. Postulat hæc nostra Hierusalem inferior, cui Beatitudo Vestra præest, quæ tanti filii nomen scriptum in Cælis, gaudebit sanctificari in terris. Postulat rerum præclare a Sanctitate Vestra gestarum series, ut quia nuper ex principibus ecclesiasticis Divum Carolum Sanctis annumeravit, hunc quoque ex secularibus adjungat, ut utriusque sortis homines habeant quod imitentur. Postulat Serenissimorum Sabaudiæ Ducum familia, quæ non solum fidei constantia, sed præclaris etiam fortitudinis operibus, magnum olim et [176] deinceps Ecclesiæ attulit solatium. Postulat hæc universa Sabaudia provincia, maxime vero hæc diocesis Gebennensis, quæ tanti Principis nobilitata natalibus, magnani in ejus precibus spem merito collocabit. Postulant denique ipsius Beati Amedei merita et miracula, quae pondere et numero maxima sunt et illustrissima.

            Age ergo, Beatissime Pater, et hanc quoque lucernam igne divino accensam ne diutius sub modio relinquas, sed pone eam super candelabrum, ut luceat omnibus qui in domo sunt. Nomen ejus sanctifica, qui nomen Dei tanta charitate sanctificavit, ac miraculorum multitudine collustravit ; annuntia toti Ecclesiæ quæ est in terris, quia Dominus mirificavit Sanctum suum in Cælis, ut exaudiat nos cum clamaverimus ad eum. [177]

            Hæc sunt vota ejus qui Beatitudini Vestræ diu ac fœliciter Christianis omnibus præesse ac prodesse, omnibus animi viribus exoptat. Beatitudinis Vestræ,

Humillimus et obsequentissimus servus et filius,

FRANCISCUS, Episcopus Gebennensis.

            Annessii Gebennensium, VII die Martii 1612.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis Chigi-Malvezzi, à Sienne (Toscane).

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            Il a toujours été à propos que ceux qui ont servi Dieu par une sainteté de vie particulière et plus éclatante, fussent mis au nombre des Saints par l'autorité publique de l'Eglise et selon le rit consacré. Ainsi Dieu est plus exalté dans ses Saints, les peuples mettent plus d'empressement à celébrer leurs louanges et l'Eglise plus de magnificence à publier leur gloire. De même, quand nous honorons leurs [173] mérites avec plus de confiance, nous recevons de leurs intercessions plus de fruit. Enfin, nous trouvons une exhortation bien plus vivement efficace dans les exemples, lorsque la sainteté des personnes ne peut plus être mise en doute.

            Or, Très Saint Père, ce qui a toujours été, « et en tous lieux, juste et louable, » doit paraître non seulement utile, mais presque nécessaire en notre temps où la charité, à cause du débordement de l'iniquité, s'est refroidie chez plusieurs et à peu près chez toutes les âmes. Aussi, puisqu'il n'y a plus de saint en ce monde, il faut, d'entre les justes qui ont été rachetés de la terre, évoquer le souvenir et ramener au milieu de nous la pensée de ceux dont la vie a jeté le plus d'éclat par le rayonnement de la sainteté. Qu'ils servent, comme l'a dit l'un d'eux, de miroir et d'exemple à la vie des hommes ; qu'ils en soient [174] de quelque manière le condiment, afin qu'ils vivent parmi nous, même après-leur mort, et qu'ils appellent et ressuscitent à la vraie vie beaucoup de chrétiens d'entre ceux qui, quoique vivants, sont morts.

            Je sais donc, Très Saint Père, qu'un grand nombre de personnages de tout rang ont demandé instamment à Votre Sainteté qu'Elle daignât inscrire au catalogue des Saints, le bienheureux Amédée, troisième duc de Savoie. Or, ni ma volonté, ni mon devoir ne pouvaient me faire omettre d'adresser en toute humilité la même supplique à la providence apostolique de Votre Sainteté. [175]

            En désirant cette grâce, il me semble que tout conspire pour la solliciter avec moi. Cette demande instante, la majesté du Dieu tout-puissant vous la fait, non par une prière, mais de plein droit, car elle apparaîtra plus manifestement admirable dans ce bienheureux Prince. La Jérusalem céleste, notre mère, attend aussi cette faveur, à cause de la joie qu'elle aura de voir l'un de ses habitants honoré par nos justes hommages. C'est encore l'ardent souhait de notre Jérusalem d'ici-bas, que préside Votre Sainteté, car elle se réjouira que le nom d'un tel fils, écrit dans le Ciel, soit glorifié sur la terre. Cette grâce est exigée pour faire suite aux beaux actes de Votre Sainteté ; car si naguère, d'entre les princes de l'Eglise, Elle a canonisé le bienheureux Charles, Elle doit lui joindre un prince séculier, afin que, dans l'un et l'autre rang, il y ait un modèle à imiter. Cette requête vous est adressée par la famille des sérénissimes ducs de Savoie, dont la constance dans la foi et les glorieux exploits de [176] vaillance ont jadis et jusqu'à ce jour apporté à l'Eglise une grande consolation. Voici la province entière de Savoie qui vous fait la même supplication, mais surtout ce diocèse de Genève qui, se sentant ennobli par la naissance d'un si grand prince, aura à juste titre, une grande confiance en son intercession. Enfin, c'est ce que demandent les mérites et les miracles du bienheureux Amédée lui-même, très grands et très illustres en qualité et en nombre.

            Faites-nous donc cette grâce, Très Saint Père, et ne laissez pas plus longtemps sous le boisseau cette lampe allumée par le feu divin, mais placez-la sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Sanctifiez le nom de celui qui a sanctifié le nom de Dieu avec tant de charité et l'a fait glorifier par tant de miracles ; annoncez à toute l'Eglise qui est sur la terre que le Seigneur a exalté son Saint dans les Cieux, pour nous exaucer quand nous crierons vers lui. [177]

            Ce sont les vœux de celui qui désire de toutes ses forces que Votre Sainteté soit longtemps et heureusement, et pour leur bien, à la tête de tous les chrétiens.

            De Votre Sainteté,

Le très humble et très obéissant serviteur et fils,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, le 7 mars 1612.

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DCCLVIII. A la Soeur Favre, Religieuse de la Visitation. Questions et conseils. — Comment « la grande Fille » du Saint devait gouverner son cœur et l'encourager souvent. — Le souverain bonheur de l'âme.

 

Chambéry, 10 mars 1612.

 

            Nous parlons icy de vous si souvent et avec tant de playsir, ma chere Fille, que vous ne deves pas avoir soin [178] de nous en rafraichir la memoyre. Mays ce n'est pas cela que je vous veux dire, car j'ay d'autres choses a vous demander.

            Dites moy donq vous mesme, ma chere Fille, le pauvre cœur bienaymé comme se porte-il ? Est-il pas tous-jours vaillant et vigilant pour s'empescher des surprises de la tristesse ? Je le vous recommande au nom de Nostre Seigneur, ne le tormentés point, je dis mesme quand bien il auroit fait quelque petit detour ; mays reprenés le doucement et le ramenes en son chemin. Car il est bon ; certes, ce chetif petit cœur de ma grande fille ; et pourveu [179] qu'elle le traitte bien, qu'elle demeure un peu soigneusement en attention sur luy, que souvent elle le r'encourage par des petites oraysons jaculatoires, par des petites conferences de ses bons souhaitz avec nostre Mere et avec moy, par des petites bonnes cogitations faites sur ce sujet en diverses occasions, vous verres, ma chere Fille, que ce cœur deviendra un vray cœur selon le cœur de Dieu. Seigneur Jesus, c'est pour cela que deux foys le jour je vous fay priere particuliere.

            Vives joyeuse, ma tres chere Fille ; Dieu vous ayme et vous fera la grace que vous l'aymeres : c'est le souverain bonheur de l'ame pour cette vie et pour l'eternelle.

            La belle seur est une perle ; le frere est bienheureux de l'avoir treuvee et prise avant qu'ell'eut conneu nostre petite Congregation, car autrement ell'eut esté vostre seur, mais non pas vostre belle seur. Dieu la conduira pourtant en ce chemin auquel il l'a mise, a quelque bon point de vraye perfection, puisqu'ell'en a tant de desir.

            Le X mars 1612.

 

            A Madame

Madame Favre.

            A la Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Marseille. [180]

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DCCLIX. A Madame de Peyzieu (Inédite). Une mère du Saint, par alliance spirituelle. — Compliments et paroles d'affection.

 

Chambéry, 17 mars 1612.

 

            Madame ma tres chere et tres honnoree Mere,

 

            L'honneur que vos deux lettres m'ont donné ne peut estre dignement remercié par celle ci. Elle vous tesmoignera seulement que j'ay un extreme sentiment du bonheur que vous m'aves departi, m'advoüant pour vostre filz, me voyant tous les jours arriver des nouveaux ruysseaux de faveur qui descoulent de cette vive fontaine. Car voyes-vous, Madame ma Mere, ne dois-je pas estre fort glorieux de me treuver maintenant receu en la bienveüillance de monsieur et de madame de Cerviere, [181] vos chers enfans, comme presque cet autre frere qui, impatient d'estre privé de la douceur de vostre presence, s'en reva si vitement aupres de vous, a laquelle il donnera, Dieu merci, des bonnes nouvelles de la santé de cette bonne seur, que je veux servir et honnorer de tout mon cœur en l'absence des autres meilleurs freres.

            En un mot, Madame ma Mere, je n'oublie jamais a l'autel les recommandations que vous me commandastes d'y fere, car je suis fidellement et sans reserve,

Vostre tres obeissant filz et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Mon Dieu, que j'ay de contentement de voir en cette chere seur qui est icy, non seulement l'air de vostre visage, mais, ce qui est le plus beau, les traitz de vostre esprit et de vos affections. J'en loüe Nostre Seigneur, Madame ma Mere.

            A Chamberi, le 17 mars.

 

             A Madame

            Madame de Pezieu.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise de Mailly, au château de la Roche-Mailly (Sarthe). [182]

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DCCLX. A Monseigneur Anastase Germonio Archevêque de Tarentaise. La controverse sur le pouvoir temporel des Papes et l'autorité des Conciles. — De quel côté penchent les parlementaires et les hommes d'Etat. — Esprit et tendance du siècle. — Un remède plus efficace que les discussions des théologiens. — Ce que doivent faire les prédicateurs. — L'entente des Prélats, de la Sorbonne et des Religieux, bientôt mortelle à l'hérésie. — Moyens de ménager cette union.

 

Chambéry, vers le 20 mars 1612.

 

            Per avvisi particolari ricevuti di Parigi et Digione et [183] per libretti stampati in detti luoghi, si vede chiaramente che quella disputa dell'authorità del Santissimo Papa sopra li Regi si va tuttavia dilatando, com'ancora quell'altra della comparatione de li Concilii con i Summi Pontefici. Et è chiaro che la maggior parte de Parlamenti et huomini di Stato, etiandio Catholici, inclina dalla banda che è manco favorevole, o per dir meglio, che è più contraria all'authorità papale, stimando che sia più convenevole et giovevole all'authorità regale. Et se le cose vanno inanzi, ciè pericolo che non si facia una notabile perdita et lamentabile divisione in quel regno ; et massime perchè il Ré, fra tre o quattr'anni dovendo pigliar l'administratione di quel regno, sarà facil cosa alla fattione di quelli che sonno contrarii all'authorità della Santa Sede, di piegharlo da quella banda nella quale egli vederà qualch'apparentia di aggrandire le sue ragioni, essendo gl'huomini tanto inclinati alla superiorità indepedente (sic), come si vede massime in questi [184] tempi, et ancho nella etâ giovenile, che per natura è temeraria et audace, se bene è da credere che quel Ré sia di buonissima et christianissima inclinatione. Essendo poi questa impresa di scuotere ogni giogo un mal contagiosissimo, passarebbe pian piano di regno in regno et di corona in corona, come si vede che altri simili mali son passati : onde pare che il pericolo sia grande.

            Il rimedio non par che sia di voler, col mezzo di valenti theologi, disputar la questione, perchè quanto più sarà fervente la disputa, tanto più s'accenderanno gl'animi et si farà grande la divisione. Oltra che le ragioni de gl'adversarii sono grate alle orechie de grandi, non per esser vere, ma per esser giovevole all'intento loro ; nè mancaranno theologi che per diversi rispetti abbracino la parte della divisione.

            Atalchè, il rimedio più efficace sarebbe che mentre governa la Regina et il Consiglio, si trattasse amarevolmente con lei dalla parte di Sua Santità, lamentandosi che non essendo giamai travenuto una sol differentia tra Sua Beatitudine et il Ré, anzi Sua Beatitudine [185] havendo in ogni occorrentia mostrato un animo veramente paterno, affettionatissimo et desiderosissimo del bene et stabilimento della grandezza di quella corona, pur adesso spontino certi cervelli pungenti, inquieti et nemici della santa unione che tra Sua Santità et Sua Maestà si truova, che venghano impudentemente a ridurre in dubbio se Sua Santità sia affettionata a quella corona, movendo quelle inutili et intempestive dispute, per mezzo delle quali generano nelli animi infermi et deboli un (sic) diffidenza del sincero affetto di Sua Beatitudine verso il Re et il regno. Et che pertanto sia contenta Sua Maestà di impor silentio a tali temerarie et seditiose dispute, sì come Sua Santità, dal canto suo, imporrà anco silentio, dove fia bisogno, a così fatte importune et infruttuose questioni, le quali, oltre che sonno inutili fra Catholici, sono pernitiose fra gl'hæretici, et servono di distrattione et diversione alla conversione delli hæretici, liquali fan triompho di queste divisioni.

            In somma, è espediente per adesso che si anneghino et affoghino quelle dispute nel silentio, sì dall'una banda come dall'altra ; et se bene è da laudare il zelo de quelli [186] prædicatori che si sonno opposti all'insolentia dell'adversarii, tuttavia, già che si vede che la continuatione di litigar, disputare et altercare non spinge (sic), anzi accende il fuogho, sarà molto più giovevole il silentio che la disputa. Et in vece di venire alle hipothesi, sarebbe stato meglio di ben incolcare le thesi nelle quali tacitamente si comprendono le hypothesi ; et in questa guerra, è certo che la pia dexterità, prudentia et dolcezza è molto più utile che l'infocata dottrina et ardore di spirito :

« Spreta exolescunt ; si irascare, agnita videntur. »

Et spesse volte, pur che si stabiliscano bene le thesi, la meglior risposta che si possa fare alla importunitâ de questi spiriti turbulenti, è non stimarli degni di risposta. Et così sarebbe bisogno che adesso in Francia tutti li prædicatori, suavemente et non turbulentemente, incolcassero l'unità ecclesiastica et la divotione delli Catholici verso il supremo Pastore, senza venire a disputare de quella authoritâ in particolare che ha sopra i Prencipi. [187]

            Et a quelli che dell'authorità pontificia parlano male, non bisogneria rispondere direttamente, ma indirettamente, lamentandosi che questo facciano senza necessità et con maligna intentione, per mettre (sic) in odio la Santa Sede, laquale tuttavia è dolcissima et affettionatissima madre di quel regno. Et in vece di rispondere alle loro propositioni, sarebbe meglio d'impugnare le loro intentioni, acciò di renderli odiosi come perturbatori della quiete ; et fra tali discorsi, interporre suavemente quelli düoi capi, dell'unitâ ecclesiastica etchristiana, et dell'amore, o ver divotione verso la Santa Sede, nodo di quella unione et communione ecclesiastica.

            Sarebbe anco bene che col mezzo de Prelati affettionati et prudenti si procurasse unione et buona intelligentia fra la Sorbona et li Padri Giesuiti, acciò che giungendo quelli duoi bovi in un sol giogo, si lavorasse nel sacro campo più efficacemente. Et questo si potrebbe ancora fare se con destrezza et discretione se ne trattasse con la Regina, mostrando che con quel mezzo l'haeresia sarebbe molto indebolita, come è vero ; perchè se in Francia li [188] Prælati, la Sorbona et li Religiosi fossero ben uniti, l'hæresia non starebbe in piedi diec'anni. Et questa unione non sarebbe difficile da procurarsi, dando bene notitia alla Regina dell'importantia di essa, et havendo huomini che con dexterità aiutassero Monseignor Nontio et che potessero domesticare l'uni con l'altri. A questo potrebbe servire di raccommandare la cosa a li Provinciali et Generali dell'Ordini, et mandar Brevi suavissimi all'Università, et in particolare alla Sorbona, et anco a Praelati ; et in tutti mostrare l'affetto paterno di Nostro Signore nella conservatione di quel regno, et quanto Sua Santità desideri che tutti ammaestrino li populi nella vera et sincera obedientia et sommissione delli sudditi a quella corona.

            Ma prima che di far questa diligentia, sarebbe necessario di haverne trattato con la Regina et il Consiglio. Et a ciò servirebbe grandemente che Sua Santità ne trattasse in Roma col l'Ambasciatore e con i Cardinali [189] francesi, mostrando un gran desiderio che quelle tali dispute scandalose siano lasciate.

« Sero medicina paratur, Cum mala per longas invaluere moras. »

            Et questo ho scritto per sodisfattone di V. S. Illma et Rma, alla quale bascio le mani, preghando il Signor Iddio che al suo vero zelo nel servitio della Chiesa dia la debita mercede in terra et in Cielo.

 

            All'Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

            Monsigr l'Arcivescovo di Tarentasa.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, à la bibliothèque Barberini. [190]

 

 

 

            Par des avis particuliers reçus de Paris et de Dijon et par des [183] opuscules imprimés dans ces deux villes, on voit clairement que la discussion touchant l'autorité du Très Saint Père sur les rois s'étend de plus en plus ; de même en est-il de celle qui a pour objet de comparer les Conciles avec les Souverains Pontifes. Il est clair que la majeure partie des Parlements et des hommes d'Etat, même catholiques, penchent du côté le moins favorable, ou, pour mieux dire, le plus contraire à l'autorité papale, cette opinion leur paraissant mieux s'accorder avec l'autorité royale et la servir plus utilement. Si cet état de choses persévère, il est à craindre qu'il n'en résulte pour ce royaume un dommage considérable et une déplorable division ; d'autant plus que le roi devant prendre dans trois ou quatre ans l'administration de l'Etat, il sera facile au parti hostile à l'autorité du Saint-Siège de tourner ce prince du côté où celui-ci verra quelque apparence d'étendre ses droits, tant est grande l'inclination des hommes à dominer sans aucune dépendance. C'est ce [184] qu'on remarque surtout à notre époque ; à plus forte raison chez la jeunesse, qui de sa nature est téméraire et hardie. On peut croire cependant, que le roi a des dispositions excellentes et très chrétiennes. Cette tendance à secouer tout joug est encore un mal des plus contagieux ; aussi s'insinuerait-il petit à petit de royaume en royaume, d'une couronne à une autre couronne, comme il est arrivé pour d'autres maux semblables. Le danger semble donc bien grand.

            Faire discuter la question par d'habiles théologiens, ne paraît pas être le bon remède, car plus les débats seront brûlants, plus aussi les esprits s'échaufferont et la discorde ne fera qu'augmenter. Il faut ajouter que les raisons des adversaires flattent l'oreille des grands, non pour leur justesse, mais parce qu'elles favorisent leurs vues ; il ne manquera pas non plus de théologiens qui, pour diverses considérations, embrasseront le parti de la division.

            Le remède le plus efficace serait donc que pendant la régence, l'on traitât à l'amiable avec la reine et le Conseil, de la part de Sa Sainteté. Se plaindre d'abord de ce que, tandis qu'aucun différend ne s'est élevé entre Sa Béatitude et le roi, tandis que le Pape a [185] témoigné en toute occasion un cœur vraiment paternel, très affectionné et très sympathique au bien et à l'affermissement de la prospérité de cet Etat, on voit maintenant surgir certains esprits piquants, inquiets et ennemis de la sainte union qui existe entre Sa Sainteté et Sa Majesté ; ils viennent impudemment mettre en doute l'affection du Saint-Père pour cette couronne, soulèvent ces disputes oisives et inopportunes, et engendrent par ce moyen dans les esprits malades et faibles, une sorte de défiance pour l'attachement sincère de Sa Béatitude à l'égard du roi et du royaume. Que Sa Majesté veuille donc imposer silence à ces téméraires et séditieuses contestations. De son côté, le Saint-Père imposera, s'il en est besoin, silence à ces disputes aussi importunes qu'infructueuses. Inutiles pour les catholiques, ces divisions sont encore funestes aux hérétiques ; elles détournent et retardent leur conversion, et de plus, leur fournissent la matière d'un triomphe.

            En un mot, il serait nécessaire, pour le moment, d'arrêter et d'étouffer ces discussions dans le silence, d'un côté comme de [186] l'autre. Sans doute, il faut louer le zèle des prédicateurs qui se sont opposés à l'insolence des adversaires ; mais puisqu'on voit que par la continuation des plaidoyers, des controverses, des altercations, le feu s'allume au lieu de s'éteindre, le silence sera bien plus avantageux que la discussion elle-même. Il eût été préférable aussi de ne pas en venir aux hypothèses, mais d'inculquer fortement les thèses où les hypothèses sont renfermées implicitement. Dans cette guerre, une pieuse adresse, la prudence et la douceur sont certainement plus fructueuses que le feu de la doctrine et l'ardeur du zèle.

« Telle chose qu'on méprise tombe dans l'oubli ;

Si l'on s'en irrite, elle acquiert de l'importance. »

Pourvu que les thèses soient bien établies, la meilleure réponse qui se puisse faire aux importunités de ces esprits turbulents, est de ne pas les juger dignes de réponse. Aussi faudrait-il que maintenant en France, tous les prédicateurs prissent à tâche d'inculquer suavement, et non violemment, l'unité de l'Eglise et le dévouement des catholiques pour le Pasteur suprême, sans entrer dans la discussion de son autorité particulière sur les princes. [187]

            Quant à ceux qui parlent en mauvaise part de l'autorité pontificale, on ne devrait pas leur répondre directement, mais indirectement ; se plaindre de ce qu'ils font cela sans nécessité et avec la maligne intention de rendre odieux le Saint-Siège, lequel néanmoins n'a pour ce royaume que les sentiments d'une mère très douce et très aimante. Au lieu de répondre à leurs propositions, il vaudrait donc mieux attaquer leurs intentions, afin de les rendre odieux eux-mêmes, comme perturbateurs de la paix ; et parmi de tels discours, insinuer doucement ces deux points : l'unité ecclésiastique et chrétienne, et l'amour ou le dévouement pour le Saint-Siège, lien de cette union et communion ecclésiastique.

            Il serait bon aussi de ménager, par l'entremise de Prélats dévoués et prudents, l'union et la bonne intelligence entre la Sorbonne et les Pères Jésuites, afin que, réunissant deux bœufs sous un même joug, on pût travailler dans le champ sacré d'une manière plus efficace. Ce but, on pourrait l'atteindre si l'on en traitait adroitement et prudemment avec la reine, lui montrant que, par ce moyen, l'hérésie serait considérablement affaiblie. Ceci est très vrai, car si en France, les Prélats, la Sorbonne et les Religieux étaient bien unis, c'en serait [188] fait de l'hérésie en dix ans. Cette union n'est pas si difficile à ménager, pourvu qu'on en fasse bien saisir l'importance à la reine, qu'on ait des hommes capables d'aider adroitement Mgr le Nonce et de se familiariser les uns avec les autres. Ce qui pourrait aussi faciliter le succès, serait de recommander l'affaire aux Provinciaux et aux Généraux d'Ordres, d'adresser des Brefs pleins de bienveillance aux Universités, en particulier à la Sorbonne, et aussi aux Prélats, témoignant en tous avec quelle affection paternelle Sa Sainteté souhaite la conservation de ce royaume, et combien elle désire que tous dressent les peuples à la vraie et sincère obéissance et soumission que les sujets doivent à cette couronne.

            Mais avant d'en arriver là, on devrait d'abord en avoir traité avec la reine et le Conseil ; il serait aussi très utile que Sa Sainteté en conférât à Rome avec l'ambassadeur et les Cardinaux [189] français, témoignant un ardent désir de voir finir ces scandaleuses discussions.

« Le remède vient trop tard, lorsque, par de longues négligences, le mal a fait des progrès. »

            J'ai écrit tout ceci pour agréer à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, dont je baise les mains, priant Dieu notre Seigneur d'accorder à votre zèle sincère pour le service de l'Eglise, la récompense qui lui est due sur la terre et au Ciel.

 

            A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur, Mgr l'Archevêque de Tarentaise. [190]

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DCCLXI. A la Présidente Brulart. Une solution également difficile et inutile. — Etat des esprits en 1611 et en 1612. — Zèle que le Saint jugeait inopportun. — Dangers de certaines discussions agitées par des docteurs incompétents. — Souveraine autorité spirituelle du Pape ; droits qu'elle lui confère. — Devoirs corrélatifs des chrétiens envers le Pape et l'Eglise. — Triple alliance qui doit exister entre le Pape et les rois. — Les deux autorités ne se contrarient pas, mais « s'entreportent l'une l'autre. »

 

Chambéry, [mars 1612.]

 

 

            Je veux bien, ma tres chere Fille, respondre a la demande que vous me faites sur la fin de vostre lettre ; mais ayés aggreable que je vous parle comme le grand saint Gregoire fit a une vertueuse dame nommee, comme luy, Gregoire, et laquelle estoit dame de chambre de l'Imperatrice. Elle l'avoit prié d'obtenir de Dieu la connoissance de ce qu'elle devoit devenir, et il luy dit : « Quant a ce que vostre douceur me demande et qu'elle dit ne vouloir point cesser de m'importuner jusques a tant que je le luy aye octroyé, vous requeres de moy une chose esgalement difficile et inutile. »

            Je vous en dis de mesme, ma chere Fille. Quant a ce que vous me demandes, quelle authorité le Pape a sur le temporel des royaumes et principautés, vous desires de moy une resolution « esgalement difficile et inutile. » [191]

            Difficile, non pas certes en elle mesme, car au contraire, elle est fort aysee a rencontrer aux espritz qui la cherchent par le chemin de la charité ; mays difficile, parce qu'en cet aage qui redonde en cervelles chaudes, aiguës et contentieuses, il est malaysé de dire chose qui n'offence ceux qui, faysant les bons valetz, soit du Pape, soit des Princes, ne veulent que jamais on s'arreste hors des extremités, ne regardant pas qu'on ne sçauroit faire pis pour un pere que de luy oster l'amour de ses enfans, ni pour les enfans que de leur oster le respect qu'ilz doivent a leur pere.

            Mais je dis inutile, parce que le Pape ne demande rien aux Rois et aux Princes pour ce regard. Il les ayme tous tendrement, il souhaitte la fermeté et stabilité de leurs couronnes, il vit doucement et amiablement avec eux, il ne fait presque rien dans leurs Estatz, non pas mesme en ce qui regarde les choses purement ecclesiastiques, qu'avec leur aggreement et volonté. Qu'est-il donq besoin de s'empresser maintenant a l'examen de son authorité sur les choses temporelles, et par ce moyen ouvrir la porte a la dissension et discorde ?

            Certes, icy je suis dans l'Estat d'un Prince qui a tous-jours fait tres particuliere profession d'honnorer et reverer le Saint Siege apostolique ; et neanmoins, nous n'oyons nullement parler que le Pape se mesle, ni en gros ni en detail, de l'administration temporelle des choses du païs, ni qu'il interpose ou pretende aucune authorité temporelle sur le Prince, ni sur les officiers, ni sur les sujetz en façon quelconque : nous nous donnons plein et entier repos de ce costé la et n'avons aucun sujet d'inquietude. A quel propos nous imaginer des pretentions, pour nous porter a des contentions contre celuy que nous devons filialement cherir, honnorer et respecter comme nostre vray Pere et Pasteur spirituel ?

            Je vous le dis sincerement, ma tres chere Fille : j'ay une douleur extreme au cœur de sçavoir que cette dispute de l'authorité du Pape soit le jouet et sujet de la parlerie parmi tant de gens qui, peu capables de la resolution qu'on y doit prendre, en lieu de l'esclarcir la troublent, [192] et en lieu de la decider la deschirent, et, ce qui est le pis, en la troublant, troublent la paix de plusieurs ames, et en la deschirant, deschirent la tres sainte unanimité des Catholiques, les divertissans d'autant de penser a la conversion des heretiques.

            Or, je vous ay dit tout cecy pour conclure que, quant a vous, vous ne deves en façon quelconque laisser courir vostre esprit apres tous ces vains discours qui se font indifferemment sur cette authorité, ains laisser toute cette impertinente curiosité aux espritz qui s'en veulent repaistre, comme les cameleons du vent. Et pour vostre repos, voyci des petitz retranchemens dans lesquelz vous retirerés vostre esprit a l'abri et a couvert.

            Le Pape est le souverain Pasteur et Pere spirituel des Chrestiens, parce qu'il est le supreme Vicaire de Jesus Christ en terre ; partant, il a l'ordinaire souveraine authorité spirituelle sur tous les Chrestiens, Empereurs, Rois, Princes et autres, qui, en cette qualité, luy doivent non seulement amour, honneur, reverence et respect, mais aussi ayde, secours et assistance envers tous et contre tous ceux qui l'offencent, ou l'Eglise, en cette authorité spirituelle et en l'administration d'icelle. Si que, comme par droit naturel, divin et humain, chacun peut employer ses forces et celles de ses alliés pour sa juste defense, contre l'inique et injuste aggresseur et offenseur, aussi l'Eglise ou le Pape (car c'est tout un) peut employer ses forces et celles de l'Eglise et celles des Princes chrestiens, ses enfans spirituelz, pour la juste defense et conservation des droitz de l'Eglise contre tous ceux qui les voudroyent violer et destruire. Et d'autant que les Chrestiens, Princes et autres ne sont pas alliés au Pape et a l'Eglise d'une simple alliance, mays d'une alliance la plus puissante en obligation, la plus excellente en dignité qui puisse estre ; comme le Pape et les autres Prelatz de l'Eglise sont obligés de donner leur vie et subir la mort pour donner la nourriture et pasture spirituelle aux Rois et aux royaumes chrestiens, aussi les Rois et les royaumes sont tenus et redevables reciproquement de maintenir, au peril de leurs vies et Estatz, le Pape et l'Eglise, leur [193] Pasteur et Pere spirituel. Grande, mais reciproque obligation entre le Pape et les Rois ; obligation invariable, obligation qui s'estend jusques a la mort inclusivement, et obligation naturelle, divine et humaine, par laquelle le Pape et l'Eglise doivent leurs forces spirituelles aux Rois et aux royaumes, et les Rois, leurs forces temporelles au Pape et a l'Eglise. Le Pape et l'Eglise sont aux Rois pour les nourrir, conserver et defendre envers tous et contre tous spirituellement ; les Rois et les royaumes sont a l'Eglise et au Pape pour les nourrir, conserver et defendre envers tous et contre tous temporellement : car les peres sont aux enfans et les enfans aux peres.

            Les Rois et tous les Princes souverains ont pourtant une souveraineté temporelle en laquelle le Pape ni l'Eglise ne pretendent rien, ni ne leur en demandent aucune sorte de reconnoissance temporelle ; en sorte que, pour abbreger, le Pape est tres souverain Pasteur et Pere spirituel, le Roy est tres souverain prince et seigneur temporel. L'authorité de l'un n'est point contraire a l'autre, ains elles s'entreportent l'une l'autre ; car le Pape et l'Eglise excommunient et tiennent pour heretiques ceux qui nient l'authorité souveraine des Rois et Princes, et les Rois frappent de leur espee ceux qui nient l'authorité du Pape et de l'Eglise, ou s'ilz ne les frappent pas, c'est en attendant qu'ilz s'amendent et humilient.

            Demeurés la : soyés humble fille spirituelle de l'Eglise et du Pape, soyés humble sujette et servante du Roy. Priés pour l'un et pour l'autre, et croyés fermement qu'ainsy faysant, vous aures Dieu pour Pere et pour Roy.

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FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCLXII. A la Mère de Chantal. La plus heureuse salutation qui fut jamais. — Les souhaits de l'Ave Maria

 

Chambéry, 25 mars 1612.

 

            Quoy qu'extremement occupé, comment pourrois-je m'empescher de saluer ma tres chere Fille, au jour de la plus heureuse salutation qui fut jamais faite ? Hé ! je supplie cette glorieuse Vierge qui fut aujourd'huy saluee, qu'elle nous impetre quelque part a la tres sacree consolation qu'elle receut. Mais Dieu vous benie, vous remplisse de graces ; Dieu soit avec nous, ma tres chere Fille, car je n'ay pas davantage de loysir, grace a Nostre Seigneur, lequel nous fait la faveur de nous employer icy et la, a son tres saint service ; car c'est a cela que je suis occupé en diverses sortes, de maniere que le cœur de ma tres chere Fille, comme le mien, en sera bien ayse.

            Salut a toutes nos filles tres cherement, [et] a la chere petite seur, a qui j'escriray au premier rencontre de loysir.

            Ce matin, jour de l'Annonciation.

 

A Madame de Chantal.

            A la Visitation.

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DCCLXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Requête en faveur d'un prisonnier innocent

 

Chambéry, 26 mars 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse est supplies par le sieur Chapperon de luy vouloir donner la delivrance de la prison en laquelle il se treuve presentement. Et par ce qu'en divers voyages qu'il a fait par deça je n'ay jamais reconneu en luy qu'un esprit franc, candide et vrayement chrestien, et que d'ailleurs plusieurs bons Religieux et gens de bien de cette ville m'ont conjuré de le secourir de ma tres humble intercession aupres de Vostre Altesse Serenissime, je la supplie en toute reverence qu'il luy playse accorder laditte delivrance, tant en consideration de l'innocence du pauvre prisonnier, que les Peres Capucins attestent n'avoir aucunement cooperé a la sortie du P. Bonaventure, seul sujet apparent de son emprisonnement, qu'en faveur de ce saint tems de Caresme, auquel le divin Aigneau d'innocence a si honteusement delivré nos ames coulpables de la perdition. Vostre Altesse fera sans doute une justice charitable en cela, pour laquelle Dieu accroistra les recompenses qu'il luy a preparees.

            Je prie continuellement cette souveraine Bonté qu'il [196] luy playse combler de ses graces Vostre Altesse Serenissime, et suys inviolablement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI mars 1612, a Chamberi.

 

            A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCLXIV. A la Mère de Chantal. L'insensibilité spirituelle : en quoi consistait cette épreuve pour la Mère de Chantal. — Conseils appropriés. — Le haut point de la sainte résignation. — Les ténèbres au pied de la Croix

 

Chambéry, 28 mars 1612.

 

            Or sus, ma tres chere, tres unique, ma Fille, il est bien tems que je responde, si je puis, a vostre grande lettre. Helas ! ouy, ma tres chere, toute vrayement tres chere Fille ; mays si faut-il que ce soit en courant, car j'ay fort peu de loysir, et n'estoit que mon sermon, que je vay tantost faire, est des-ja tout formé dans ma teste, je ne vous escrirois autre chose que le billet ci-joint.

            Mais venons a l'exercice interieur duquel vous m'escrives. Ce n'est autre chose qu'une vraye insensibilité qui vous prive de la jouissance, non seulement des consolations et inspirations, mais aussi de la foy, esperance et charité. Vous les aves pourtant et en fort bon estat, mais vous n'en jouisses pas, ains estes comme un enfant qui a un tuteur qui le prive du maniement de tous ses biens, en sorte que, tout estant vrayement a luy, neanmoins il ne manie et ne semble posseder ni avoir rien [197] que sa vie, et, comme dit saint Paul, estant maistre de tout, il n'est point different du serviteur en cela ; car ainsy, ma tres chere Fille, Dieu ne veut pas que vous ayés le maniement de vostre foy, de vostre esperance et de vostre charité, ni que vous en jouissiés, sinon justement pour vivre et pour vous en servir es occasions de la pure necessité.

            Helas, ma tres chere Fille, que nous sommes heureux d'estre ainsy serrés et tenus de court par ce celeste Tuteur ! Et ce que nous devons faire, n'est sans doute autre chose que ce que nous faysons, qui est d'adorer l'aymable providence de Dieu, et puis nous jetter entre ses bras et dedans son giron. Non, Seigneur, je ne veux point davantage de jouissance de ma foy, ni de mon esperance, ni de ma charité, que de pouvoir dire en verité, quoy que sans goust et sans sentiment, que je mourrois plustost que de quitter ma foy, mon esperance et ma charité. Helas ! Seigneur, si tel est vostre bon playsir que je n'aye nul playsir de la prattique des vertus que vostre grace m'a conferees, j'acquiesce de toute ma volonté, quoy que contre les sentimens de ma volonté.

            C'est le haut point de la sainte resignation de se contenter des actes nuds, secs et insensibles, exercés par la seule volonté superieure ; comme ce seroit le superieur degré de l'abstinence de se contenter de ne manger jamais sinon avec desgoust, a contrecoeur, et non seulement sans goust ni saveur.

            Vous m'aves fort bien exprimé vostre souffrance, et n'aves rien a faire pour remede que ce que vous faites, protestant a Nostre Seigneur, en paroles mesme vocales, et quelquefois encor en chantant, que vous voules mesme vivre de la mort et manger comme si vous esties morte, sans goust, sans sentiment et connoissance. En fin, ce Sauveur veut que nous soyons si parfaitement siens, que rien ne nous reste, pour nous abandonner entierement a la mercy de sa providence, sans reserve.

            Or, demeurons donq ainsy, ma tres chere Fille, parmi ces tenebres de la Passion. Je dis bien parmi ces tenebres, car je vous laisse a penser : Nostre Dame et saint Jean [198] estans au pied de la Croix, emmi les admirables et espouvantables tenebres qui se firent, ilz n'oyoyent plus Nostre Seigneur, ilz ne le voyoyent plus et n'avoyent nul sentiment que d'amertume et de detresse, et bien qu'ilz eussent la foy, elle estoit aussi en tenebres, car il failloit qu'ilz participassent a la dereliction du Sauveur. Que nous sommes heureux d'estre esclaves de ce grand Dieu qui, pour nous, se rendit esclave !

            Mais voyla l'heure du sermon. A Dieu, ma tres chere Mere, ma Fille en ce Sauveur. Vive sa divine Bonté ! J'ay une ardeur incomparable pour l'avancement de nostre cœur, pour lequel je resigne tous mes autres contentemens entre les mains de sa souveraine et paternelle providence.

            Bon soir de rechef, ma tres chere Fille. Jesus, le doux Jesus, cœur unique de nostre cœur, nous benisse de son saint amour. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 28 mars 1612.

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DCCLXV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique du Saint au nom d'un gentilhomme qu'il avait assisté à ses derniers moments

 

Chambéry, 29 mars 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Ayant rendu quelque sorte d'assistence a feu monsieur de Lambert en l'extremité de sa vie pour la consolation de son ame, selon ma vocation, il m'a conjuré de [199] presenter cette supplication tres humble a Vostre Altesse. C'est, Monseigneur, qu'il vous playse luy continuer lhonneur de vostre bienveuillance encor apres son trespas, comm'a un serviteur fidele et ancien de Vostre Altesse, qui, en la vie et en la mort, n'avoit rien eü de plus entier en son ame que la tres humble obeissance qu'il devoit a vostre couronne ; et que, ne pouvant plus exercer cette sienn'affection en ce monde, il avoit fait choix du filz aysné du sieur de Chenex pour le nommer son heritier, affin qu'avec ce peu de biens qu'il luy laisse, il puisse estre eslevé et nourri en la vertu et en la puissante inclination du service de Vostre Altesse, a laquelle, outre son originaire devoir, le nom et les armes de Lambert, qu'il luy ordonne de porter, le rendront absolument hipothequé et consacré. En suite dequoy, il supplioyt aussi tres humblement Vostre Altesse de recevoir ce sien heritier sous la protection de sa bonté et de l'avoir en recommandation particuliere, affin que, croissant a l'ombre de cette faveur, il devienne plus capable de prattiquer un jour le service de Vostre Altesse auquel il a esté dedié.

            M'estant donques rendu depositaire de ces derniers souhaitz de ce bon defunct, je rens mon depost a Vostre Altesse, a laquelle il estoit addressé, la conjurant par sa propre bonté de departir ce bonheur a ce jeune gentilhomme, pour ne point rendre vain le contentement que celuy qui l'a fait son heritier prenoit en l'extremité de ses jours, en l'esperance qu'il avoit que Vostre Altesse ne l'esconduiroit point en cette tres humble supplication que je luy fay maintenant de sa part. Et tandis, continuant [200] les vœux que je doys et fay pour la prosperité de Vostre Altesse, je demeure,         Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANS, E. de Geneve.

            A Chamberi, le XXIX mars 1612.

 

Revu sur une copie conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCLXVI. A M. Antoine des Hayes. Le nid du Saint. — Messages et nouvelles.

 

Chambéry, 29 mars 1612.

 

            Monsieur,

 

            Ce porteur, qui est filz d'un tres bon pere et lequel est de mes meilleurs amis, n'a pas voulu retourner a Paris sans vous rapporter de mes lettres comm'il m'en avoit apporté des vostres, estimant que, comm'il desire, il vous en seroit plus aggreable. Je luy suis fort obligé de cette bonne pensee, fondee sur la creance qu'il a de la parfaitte bienveuillance dont vous me favorisés, qui est une persuasion laquelle, comm'elle m'est fort honnorable, elle m'est aussi fort douce et aymable. Il vous dira toutes nos nouvelles, qui, a mon advis, consiste (sic) en ce que nous n'en avons point. Pour moy, je tire chemin en ce Caresme, affin de me retirer dans mon nid soudain apres Pasques. [201]

            J'ay pensé avoir lhonneur de voir Monsieur le Cardinal de Mantoue a son retour ; mays on nous dit quil prend le chemin d'Allemaigne. On avoit aussi donné du bruit du passage de monsieur le Duc d'Espernon, mais il s'esvanoüit aussi. Quant aux mariages, vous sçaves qu'en tems de Caresme ce n'en est pas la sayson ; aussi n'en dit-on plus mot.

            Nous attendons le passage du sieur de Granier, qui nous dira ce quil aura pris d'argent sur vostre faveur, et soudain, Dieu aydant, je l'envoyeray, voulant meshuy donner commencement a la satisfaction de tant de devoirs pecuniaires que je vous ay ; car quant aux autres, je ne pourray ni ne voudray jamais en estre quitte, ayant un extreme playsir d'estre par obligation ce que je suis si absolument par inclination : c'est,

            Monsieur,

Vostre tres humble frere serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII mars 1612, a Chamberi.

            Je ne cesseray jamais de recommander a Nostre Seigneur la prosperité de toute vostre mayson, et suis tres humble serviteur de madame la mere de famille d'icelle, que je salue de toute mon affection.

            Monsieur le premier president Favre me tient icy en consolation, en parlant souvent de vous selon mon desir.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [202]

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DCCLXVII. A M. Claude de Quoex (Inédite). « La pauvre dame Jaqueline. » — Dureté de M. Gilette. — Le P. de Bonivard, S. ]., prédicateur du Carême à Annecy. — Contentement mutuel du Religieux et du bon peuple annécien. — Affluence des Chambériens aux sermons de saint François de Sales

 

Chambéry, 1er avril 1612.

 

            Monsieur,

 

            J'apporteray tout le soin quil me sera possible pour la pauvre dame Jaqueline, a laquelle j'ay extreme compassion, et ne sçaurois neanmoins rien avancer que le sieur Gilette ne soit de retour de Piemont ou il est. Il m'a des-ja tant ennuyé par la dureté avec laquelle il traitte cette pauvre femme, que s'il ne fait autre chose, je la veux prendre avec luy le plus asprement que je pourray, et ne doute point qu'il ne soit en mon pouvoir de le ruyner, si je m'y resous.

            Ce m'est un extreme contentement que nostre cher Annessi gouste si franchement le bonheur qu'il a d'ouïr ce grand homme de Dieu, le P. Bonnivard, duquel de toutes pars chascun me fait festes. Je sçavois bien qu'un si bon peuple ne pouvoit qu'avoir un playsir infini d'un predicateur qui a tant de bonnes parties. Il m'escrit reciproquement qu'il est tout plein de consolation de voir que la terre qu'il cultive reçoit si utilement la graine sacree de la divine parole, et treuve que la promesse que je luy en avois faite est surmontee par les effectz. [203]

            Pour moy, je vay devuidant le reste de Caresme, faysant au mieux que je puis, et ayant jusques a present occasion de me louer de l'affluence et de l'attention de mes auditeurs. Dieu soit a jamais loüé du fruit qui en naistra, si tant est qu'il luy playse benir l'intention que j'ay de son saint service en ce petit travail.

            Les deux freres que vous aymes vous honnorent et cherissent affectionnement, et parlent fort souvent de vous en ce sens et avec ce goust, mays celuy ci particulierement qui, vous saluant de tout son cœur, et madame ma chere bonne seur, est invariablement,

            Monsieur,

Vostre tres affectionné plus humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            1er avril 1612, a Chamberi.

            A Monsieur de Quoëx, collateral, etc.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [204]

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DCCLXVIII. Aux Religieuses de la Visitation d'Annecy. Pourquoi saint François de Sales se résignait à vivre en ce misérable monde. — Abeilles mystiques et mouches libertines : le bonheur et les exercices des unes et des autres mis en parallèle. — Un festin plus délicieux que celui d'Assuérus. — Les spirituelles saillies sur les collines de Calvaire, d'Olivet, de Sion, de Thabor. — Bonheur de la vie religieuse

 

Chambéry, 1er avril 1612.

 

            Seroit-il bien possible que mon esprit oubliast jamais les chers enfans de ses entrailles ? Non, mes tres cheres Filles, ma chere joye et ma couronne, vous le sçavés bien, je m'en asseure ; et vos cœurs vous auront bien respondu pouf moy que si je ne vous ay pas escrit jusques a present, ce n'est sinon parce que, escrivant a nostre tres unique et bonne Mere, je sçavois bien que je ne vous escrivois pas moins qu'a elle, par cette douce et salutaire union que vos ames ont avec la sienne ; et encor, parce que le saint amour que nous nous portons reciproquement, est escrit, ce me semble, en si grosses lettres dans nos cœurs, qu'on y peut bien lire presque nos pensees de Neci jusques icy.

            Je suis avec un peu plus de monde que quand je suis en nostre sejour ordinaire aupres de vous ; et plus j'en voy de ce miserable monde, plus il m'est a contrecœur, et ne croy pas que j'y peusse vivre, si le service de quelques bonnes ames en l'advancement de leur salut ne me donnoit de l'allegement.

            Mon Dieu, mes cheres Filles, que je treuve bien plus [205] heureuses les abeilles, qui ne sortent de leur ruche que pour la cueillette du miel, et ne sont associees que pour le composer, et n'ont point d'empressement que pour cela, et dont l'empressement est ordonné, et qui ne font dans leurs maysons et monasteres sinon le mesnage odorant du miel et de la cire ! Qu'elles sont bien plus heureuses que ces guespes et mouches libertines, qui, courans si vaguement et plus volontier aux choses immondes qu'aux honnestes, semblent ne vivre que pour importuner le reste des animaux et leur donner de la peyne, en se donnant a elles mesmes une perpetuelle inquietude et inutile empressement. Elles vont par tout furetant, sucçant et picorant tandis que leur esté et leur automne dure, et l'hiver arrivé, elles se treuvent sans retraitte, sans munition et sans vie ; ou nos chastes abeilles, qui n'ont pour objet de leur veuë, de leur odorat, de leur goust, que la beauté, la suavité et la douceur des fleurs rangees a leur dessein, outre la noblesse de leur exercice, ont une fort aymable retraitte, une munition aggreable et une vie contente parmi l'amas de leur travail passé.

            Et ces ames amoureuses du Sauveur, qui le suivent en nostre Evangile jusques sur le haut du desert, y font un plus delicieux festin sur l'herbe et les fleurs, que ne firent jamais ceux qui jouissoyent de l'appareil somptueux d'Assuerus, ou l'abondance estouffoit la jouissance parce que c'estoit une abondance des viandes et des hommes.

            Vivés joyeuses, mes tres cheres Filles, entre vos saintes occupations. Quand l'air vous sera nubileux, entre les secheresses et aridités, travaillés au dedans de vostre cœur par la prattique de la sainte humilité et abjection ; quand il sera beau, clair et serein, allés, faites vos spirituelles saillies sur les collines de Calvaire, d'Olivet, de Sion et de Thabor, et, de la montaigne deserte ou Nostre Seigneur repaist sa chere trouppe aujourd'huy, volés jusques au sommet de la montaigne eternelle du Ciel et voyés les immortelles delices qui y sont preparees pour vos cœurs.

            Hé, qu'ilz sont heureux ces cœurs bienaymés de mes [206] filles, d'avoir quitté quelques annees de la fause liberté du monde, pour jouir eternellement de ce desirable esclavage auquel nulle liberté n'est ostee que celle qui nous empesche d'estre vrayement libres !

            Dieu vous benisse, mes tres cheres Filles, et vous face de plus en plus avancer en l'amour de sa divine eternité, en laquelle nous esperons de jouir de l'infinité de ses faveurs pour cette petite, mais vraye fidelité, qu'en si peu de chose, comme est cette vie presente, nous voulons observer moyennant sa grace. La dilection du Pere, du Filz et du Saint Esprit soit a jamais au milieu de vos cœurs, et que les mammelles de Nostre Dame soyent pour tous-jours nostre refuge. Amen.

            Le 1er avril…

            Dieu m'a favorisé d'avoir peu escrire tout d'une haleyne, quoy que presque sans haleyner, ces quatre petitz motz a mes tres cheres filles, qui, mises ensemble comme fleurs en un bouquet, sont delices a la Mere de la Fleur de Jessé et la fleur des meres. Hé, Seigneur, que ce soit en odeur de suavité. Amen.

            Vive Jesus, en qui je suis

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCLXIX. Au Baron Bernard de Chevron. Envoi d'une lettre d'affaires.

 

Chambéry, 2 avril 1612.

 

            Monsieur mon Cousin,

 

            Voyla une lettre de monsieur de Bonvilars nostre [207] oncle, a laquelle je ne puis faire autre response que celle que vous m'ordonneres. Cependant je demeureray, de vous et de madame ma cousine,

Tres affectionné, plus humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Chamberi, le 2 avril 1612.

 

            A Monsieur

Monsieur le Baron de Chivron,

            Chevalier du souverain Senat de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Pignerol.

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DCCLXX. A M. Claude de Quoex. Le Saint s'emploie pour obtenir l'expédition d'un procès

 

Chambéry, [vers le 20 avril 1612.]

 

            Monsieur,

 

            Le P. Recteur de Chambery me dit que l'expedition [208] de son proces vous estant recommandee, il l'aura ou demain ou, au plus long aller, passé demain. Monsieur, je luy ay promis que j'y employerois ma priere, et je le fay avec confiance par ces deux motz, au bout desquelz j'adjouste un tres affectionné bon soir pour vous, Monsieur, et pour madame ma seur, estant et de vous et d'elle,

Serviteur et frere bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie. [209]

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DCCLXXI. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Cent mille bonjours

 

Annecy, 30 avril [1612.]

 

            Dieu vous donne cent mille bonjours et la santé tres heureuse, ma tres chere Fille, que je recommanderay de tout mon cœur a sainte Catherine de Siene, puisque c'est aujourdhuy sa feste.

            Bonjour, ma tres chere Fille.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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DCCLXXII. A la même. Visite promise ; visite annoncée

 

Annecy, 7 mai 1612.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous donne le bonjour, et peut estre iray-je vous donner le bon soir en personne, cependant, si je puis ; et mesme par ce que Mme l'Ancienne est venue, laquelle, [210] on m'asseure, ira vers vous avec intention d'avoir plus de commodité de me parler ; bien que je voye qu'ell'en aura peu ou que ce soit, a rayson de nostre Sinode, duquel les abors commencent demain.

            Bonjour, ma tres chere Fille, et priés pour moy.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCLXXIII. A Madame de Maillard ancienne abbesse de Sainte-Catherine. Recommandations pour la Sœur de Vignod. — Notre-Seigneur est jaloux des âmes qu'il favorise.

 

Annecy, [vers le 8 mai] 1612.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je salue vostre cœur de toute mon ame. J'ay dit a ce porteur ce qui m'a semblé a propos, qui est quil regardast a treuver parti tout a loysir, affin de sortir de ce service auquel il est, plus convenablement.

            Ma fille [de Vignod] doit estre bien sur ses gardes [211] pour ne donner aucun sujet aux hommes de soupçon, par aucun desreglement de contenance, ou amusement, ni sujet de jalousie a l'Espoux celeste, qui est, a la verité, jaloux des ames qu'il favorise, affin qu'on ne distraise de son amour aucune affection pour l'appliquer a la creature. J'ay veu sa seur de Bons a Chamberi, et ell'a [fait] fort devotement et confidemment sa revëue [depuis] que je l'ouys en confession en son abbaye.

            Dieu vous comble de ses benedictions, ma tres [chere] Cousine, ma Fille, et je salue nostre Seur de [Vignod] et toutes nos autres Seurs.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Ier Monastère de la Visitation de Marseille.

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DCCLXXIV. A la Mère de Chantal (Inédite). Charité attentive et minutieuse du Saint pour la Mère de Chantal. — Le régime d'une convalescente

 

Annecy, vers le 10 mai 1612.

 

            Ce livre la est bon, mais non pas pour l'affaire presente ; nous en chercherons un autre plus court et le treuverons, Dieu aydant.

            Cependant, ma tres chere Mere, reposés un peu bien, manges un peu de choses bonnes et ne mettes pas du tout tant d'eau au vin ; car je voy que ces foiblesses proviennent d'abbatement d'estomach et de froideur de teste. Du moins, trempes un peu vostre nez et vos poulz [212] de vin, et manges une douzaine de raysin Damas apres souper.

            Je suis bien ayse que cette bonne damoyselle soit si brave ; je l'ayme bien, je vous asseure. Demain, sil se peut, j'iray au moins a 9 heures.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Mere, et vous comble de son tressaint et pur amour. La bonne Madame l'Ancienne m'a escrit tout ce qu'ell' avoit a me dire. Vives joyeuse, avec Nostre Seigneur vivant et regnant en nostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Revel de Mouxy, à Brest.

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DCCLXXV. A M. Bénigne Milletot. Le Saint revendique son droit, qui était contesté, de conférer les bénéfices dans certaines paroisses situées en France

 

Annecy, 13 mai 1612.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Ce porteur est chanoine de mon eglise cathedrale, [213] sujet du Roy et regnicole. Il est appellé devant la cour pour un abus que sa partie pretend avoir esté commis par moy en l'endroit d'une provision de la chappelle. Je croy que l'on considerera qu'il n'y a pas de loy au monde qui m'ayt privé de l'usage de mon authorité ecclesiastique en la provision des benefices de mon diocese ; et que, comme M. l'Archevesque de Lyon pourvoit en Bourgoigne Comté, M. l'Evesque de Grenoble en Savoye et a Chamberi mesme, non obstant leur residence au royaume, de mesme dois-je jouir de l'authorité de pourvoir dans le royaume, quoy que je sois habitant en Savoye.

            Je me persuade que cela est, et neanmoins je croy que j'ay besoin de vostre protection, laquelle pour cela je reclame, puisque je suis,

            Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble frere et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 13 may 1612, a Neci.

 

            A Monsieur Milletot,

            Seigneur de Villy,

Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

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DCCLXXVI. A Madame de la Fléchère. L'aveuglement des duellistes ; pourquoi et comment le Saint en avait une grande compassion.

 

Annecy, 15 mai 1612.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vostre derniere lettre m'a donné mille consolations, [214] et a madame [de Chantal] a qui je l'ay communiquee, n'y ayant rien veu qui ne peust estre monstré a une ame de cette qualité la et qui vous cherit si saintement. Or, je vous escris sans loysir, pour un depesche qu'il me faut faire pour Bourgoigne.

            Mays mon Dieu, ma tres chere Fille, que dirons-nous de ces hommes qui apprehendent tant l'honneur de ce miserable monde et si peu la beatitude de l'autre ? Je vous asseure que j'ay eu des estranges afflictions de cœur, me representant combien pres de la damnation eternelle ce cher cousin s'estoit mis, et que vostre cher mary l'y eust conduit. Helas, quelle sorte d'amitié de s'entreporter les uns les autres du costé de l'enfer ! Il faut prier Dieu qu'il leur fasse voir sa sainte lumiere et avoir grande compassion d'eux. Je les voy, certes, avec un cœur plein de pitié, quand je considere qu'ilz sçavent que Dieu merite d'estre preferé, et n'ont pas neanmoins le courage de le preferer quand il en est tems, crainte des paroles des mal advisés.

            Cependant, affin que vostre mary ne croupisse pas en son peché et en l'excommunication, voyla un billet que je luy envoye pour se confesser et faire absoudre. Je prie Dieu qu'il luy envoye la contrition requise pour cela.

            Or sus, demeurés en paix ; jettés vostre cœur et vos souhaitz entre les bras de la Providence celeste, et que la benediction divine soit a jamais entre vous. Amen.

            Le 15 may 1612, a Neci. [215]

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DCCLXXVII. A Madame de la Valbonne (Fragment). Quels sont ceux que le Sauveur n'abandonne jamais. Un nouveau filleul du Saint.

 

Annecy, 22 mai 1612.

 

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Or je ne doute point de cela, ma tres chere Fille, ma Niece, que ce mesme Sauveur qui vous a prise par la main ne vous conduise jusques a la perfection de son saint amour ; car j'espere que vous ne vous secoueres point d'une si douce et suave conduite et n'abandonneres jamais Celuy qui, par son infinie bonté, n'abandonne jamais ceux qui ne veulent pas l'abandonner. Vray Dieu, que nous serons heureux si nous sommes fideles a cette immense douceur qui nous attire !

            Mme de Limogeon me pria il y a bien sept mois, de luy tenir ce dernier enfant qu'elle a fait, et je le pris [216] en fort grand honneur ; mais je le treuve encor plus grand et plus aggreable, puisque c'est avec cette heureuse rencontre que vous le deves tenir avec moy ; ce que je prens a presage qu'un jour je pourray bien avoir la consolation d'en tenir un des vostres. Mais, en tout evenement, nous nous entretiendrons l'un l'autre par la sainte dilection qui me fera tous-jours estre,

            Ma tres chere Niece, ma Fille,

Vostre plus humble oncle et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            22 may 1612.

            Mon cœur salue le vostre et est son serviteur.

            J'ay annoncé la feste de Pentecoste a monsieur Favre qui l'attend en devotion, et nous tous.

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DCCLXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pourquoi le Saint désire obtenir l'agrément du duc de Savoie pour les prédications qu'on lui demande à Lyon

 

Annecy, 26 mai 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Je suys conjuré de la part de messieurs les doyen et Comtes de Saint Jean de Lion, de leur accorder mes prædications pour le Caresme prochain. La qualité de [217] cett'eglise-lâ, qui est si honnorable entre toutes celles de France, le voysinage et perpetuel commerce de ceux de ces pais ci avec les Lionnois, lhonneur que ces seigneurs m'ont fait de m'envoyer expres monsieur le Comte de Saconay, originaire sujet et vassal de Vostre Altesse et lequel tient un rang fort principal entr'eux, me convie a ne point refuser en une si affectionnee et digne recherche. Seulement ay-je reservé le bon playsir de Vostre Altesse, sous lequel je veux tous-jours vivre ; qui me fait la tres humblement supplier de me fayre sçavoir ce qu'ell' aura aggreable pour ce sujet, tandis que je continueray mes vœux pour sa prosperité, comme doit,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres-obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            A Neci, le XXVI may 1612.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCLXXIX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). — « Nostre fievre » et « nostre teste. » — Les bonnes dispositions des syndics pour les agrandissements de la Visitation

 

Annecy, 27 mai 1612.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Comme vous portes vous, je vous prie, a ce matin ? car hier vous fustes toute lasse et attachee de nostre fievre ; [218] et je puis bien mieux dire de nostre fievre que ma Seur Milletot de nostre teste. Helas ! mon cœur vous donne mille fois le bonjour, aymant uniquement le vostre comme soy mesme.

            Je fis hier vostre ordonnance envers Messieurs de la ville que, sans mentir, nous obligent tout plein en l'estime et l'amour quilz tesmoignent a nostre Mayson. Je vous diray la resolution demain, Dieu aydant ; et cependant, conserves vous bien fort, ma tres chere Mere, je vous en conjure, et mille mille fois bon jour.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le marquis de la Prunarède, à Montpellier. [219]

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DCCLXXX. A la même (Fragment inédit). Une postulante qui avait de la répugnance pour l'abjection ; comment traiter avec elle

 

Annecy, vers fin mai 1612.

 

…………………………………………….. et il y a un quart d'heure un'autre fois. En somme, je suis le meilleur de vos peres et le plus brave de vos enfans.

            Il me sembla que vous m'eussies marqué le jour de saint Claude. Il me semble qu'il ne faut pas estonner cette fille si ell'est tentee, ains seulement la bien examiner sur le desir d'estre de la Congregation, et si on la treuve foible, luy donner loysir d'y penser, affin qu'elle se resoulve sans præcipitation ; car il m'est advis que ce soit une bonne fille, mais qui a repugnance a l'abjection, et par ce qu'ell'a l'esprit fort, elle ne peut bonnement le plier du tout pour encor.

            Bon jour, ma tres chere Mere, vives saintement. Je prie Dieu pour nostre fille, que je sceu seulement hier estre malade. Dieu soit nostre cœur et nostre vie.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [220]

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DCCLXXXI. A la même. Beauté du Ciel après l'Ascension du Sauveur. — Aspirations pieuses. — La seule chose qni donne du prix à l'éternité des biens, d'après saint François de Sales. — La glorification du corps de Notre-Seigneur et de notre corps

 

Annecy, [31 mai 1612.]

 

            Je vous donne, la joye dequoy nostre Sauveur est monté au Ciel, ou il vit et regne, et veut qu'un jour nous vivions et regnions avec luy. O quel triomphe au Ciel et quelle douceur en la terre ! Que nos cœurs soyent ou est leur thresor, et que nous vivions au Ciel, puis que nostre vie est au Ciel.

            Mon Dieu, ma Fille, que ce Ciel est beau, maintenant que le Sauveur y sert de soleil et la poitrine d'iceluy, d'une source d'amour de laquelle les Bienheureux boivent a souhait ! Chacun se va regarder la dedans et y void son nom escrit d'un caractere d'amour, que le seul amour peut lire et que le seul amour a gravé. Ah Dieu ! ma chere Fille, les nostres y seront-ilz pas ? Si seront, sans doute ; car bien que nostre cœur n'a pas l'amour, il a neanmoins le desir de l'amour et le commencement de l'amour. Et le sacré nom de Jesus n'est-il pas escrit en nos cœurs ? il m'est advis que rien ne le sçauroit effacer. Il faut donq esperer que le nostre sera escrit reciproquement en celuy de Dieu. Quel contentement quand nous verrons ces divins caracteres marqués de nostre bonheur eternel ! [221]

            Pour moy, je n'ay rien sceu penser ce matin qu'en cette eternité de biens qui nous attend, mais en laquelle tout me sembleroit peu ou rien, si ce n'estoit cet amour invariable et tous-jours actuel de ce grand Dieu qui y regne tous-jours. Mon Dieu, ma chere Mere, que j'admire la contrarieté qui est en moy, d'avoir des sentimens si purs et des actions si impures ! car vrayement il m'est advis que le Paradis seroit emmi toutes les peynes d'enfer si l'amour de Dieu y pouvoit estre, et si le feu d'enfer estoit un feu d'amour, il me semble que ces tourmens seroyent desirables. Je voyois ce matin tous les contentemens celestes estre un vray rien aupres de ce regnant amour. Mays d'ou m'arrive-il que je n'ayme pas bien, puisque des maintenant je puis bien aymer ? O ma Fille, prions, travaillons, humilions-nous, invoquons cet amour sur nous.

            Jamais la terre ne vit le jour de l'eternité sur son rond jusques a cette sainte feste, que Nostre Seigneur, glorifiant son cors, donna, comme je pense, envie aux Anges d'avoir de pareilz cors, a la beauté desquelz les cieux et le soleil ne sont pas comparables. Ah ! que nos cors sont heureux d'attendre un jour la participation a tant de gloire, pourveu qu'ilz servent bien a l'esprit en cette vie mortelle !

FRANÇS, E. de Geneve. [222]

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DCCLXXXII. Aux éminentissimes Cardinaux de la Sacrée Congrégation des Rites (Minute). L'une des opinions maudites de Calvin. — Dévotion des catholiques de Savoie au bienheureux Amédée. — Pourquoi les membres de la Sacrée Congrégation des Rites doivent faire avancer sa canonisation.

 

Annecy, 2 juin 1612.

 

            Illustrissimi et Reverendissimi Signori Padroni miei colendissimi,

 

            Fra le maledette et anathematizate opinioni che dal nefando Calvino furono insegnate con maggior vehementia et impudentia nella misera città di Geneva, una [223] fu il dispregio de' Santi che con Christo regnano in Cielo, onde il nome loro cercò con ogni modo possibile di mettere fuor di memoria, di profanare le reliquie loro, burlarsi delle loro intercessioni et bestemmiare contra li loro meriti et gl'honori che ad essi si devono.

            Per questo, come per via di antiperistasi, nel restante di questa diocesi li popoli catholici, con fervor particolare, si essercitano in celebrare et invocare li Santi ; fra quali li predecessori nostri hebbero grandissima divotione al Beato Amedeo, Duca terzo, come dalle honorate immagini sue in parecchi luoghi si vede, che con le insegne di santità nelle chiese si vedono. Ma perchè egli non è canonizato, non se gli fa quell' honor publico et solenne [che] [224] all'altezza et verità della santità sua è debito. Et quantunque in varie occurrentie habbiano molti provato quanto sia la sua intercessione giovevole a chi, con vera fede in Dio, alle sue orationi ricorre, tuttavia altri non ardiscono invocarlo sin tanto che dalla santa Chiesa vengha annumerato fra Santi.

            Il che vedendo che da tutto il Stato del Serenissimo Duca di Savoya vien con sommo affetto desiderato, et massime dalli Reverendissimi Arcivescovo di Torino et Vescovo di Vercelli, vengho anch'io, con tutte le forze dell' animo mio, a supplicare la Santa Sede Apostolica che si degni far questa gratia a tutti questi popoli circonvicini. Et perchè in queste occasioni Sua Beatitudine non suole fare cosa veruna senza il consiglio et assenso della Sacra Congregatione delle Signorie Vostre Illustrissime et Reverendissime, per questo vengho anco [225] a supplicarle che vogliano giovare et favorire quest'opera tanto pia : opera che agi' inimici de' Santi farà gran confusione, alli devoti sarà di gran consolatione, alli Prencipi sveglierà l'appetito d'imitatione, et a tutta la Chiesa darà materia di allegrezza et beneditione ; ma in particolare a questa desolata diocesi nella quale nacque et fu. allevato quel gran Prencipe, il quale, secondo il nome suo, fu tanto amato et amatore d'Iddio.

            Che sì come egli con tutto il cuore magnificò il nome divino, così anco sua divina Maestà essaltò il suo con tanta multitudine di veri miracoli, che quando se ne faranno le informationi, si vederà chiaro che è providentia d'Iddio che questa canonizatione sia stata differita sin adesso, acciò che abondando il dispregio de' Santi fra gli heretici di questi contorni, molto a proposito si mettrà inanzi agl' occhi loro questa lampada che fu accesa fra li predecessori loro, nella quale vedano una vita di mirabile pietà et miracoli di mirabile chiarezza.

            Et così, non dubitando punto che le Signorie Loro Illustrissime et Reverendissime habbiano piacere di promovere un' opra tanto desiderabile, facendole humil [226] riverentia, pregho nostro Signore Iddio che le dia la santa pienezza delle sue gratie.

            Di Annessi, alli 2 di Giugnio 1612.

 

 

 

            Mes très vénérés, Illustrissimes et Révérendissimes Seigneurs,

 

            L'une des opinions maudites et réprouvées que l'infâme Calvin enseigna avec plus d'ardeur et d'impudence dans la malheureuse cité de Genève, ce fut le mépris des Saints qui règnent au Ciel avec [223] Jésus-Christ. Dans ce but, il tâcha par tous les moyens d'effacer le souvenir de leur nom, de profaner leurs reliques, de tourner en ridicule leurs intercessions, de blasphémer contre leurs mérites et les honneurs qui leur sont dus.

            C'est pourquoi, par une sorte de réaction, les populations catholiques du reste de ce diocèse s'appliquent avec une ferveur spéciale à honorer et à invoquer les Saints. Parmi ceux-ci, le bienheureux Amédée, troisième duc [de Savoie,] fut de la part de nos ancêtres l'objet d'une très grande dévotion : c'est ce qu'attestent ses images, vénérées en plusieurs lieux dans les églises avec les attributs de la sainteté. Mais, parce qu'il n'est pas canonisé, on ne lui rend pas cet honneur public et solennel qui est dû à l'éminence et à la réalité de [224] ses mérites. De fait, en plusieurs circonstances, un grand nombre de personnes ont éprouvé l'efficacité de son intercession en faveur de ceux qui, avec une vraie confiance en Dieu, recourent à ses prières ; d'autres cependant n'osent l'invoquer tant que la sainte Eglise ne l'a pas mis au nombre des Saints.

            Aussi, voyant avec quelle ardeur cet évènement est désiré dans tous les Etats du sérénissime duc de Savoie, et particulièrement par les Révérendissimes Archevêque de Turin et Evêque de Verceil, je viens à mon tour supplier de toutes les forces de mon âme le Saint-Siège Apostolique, afin qu'il daigne accorder cette faveur à tous les peuples environnants. Or, comme d'ordinaire Sa Béatitude ne fait rien en de telles occasions sans l'avis et l'assentiment de la Sacrée Congrégation de Vos Seigneuries Illustrissimes et Révérendissimes, [225] je les supplie également de vouloir bien servir et favoriser une œuvre de si haute piété. Elle causera aux ennemis des Saints une grande confusion, consolera grandement les âmes dévotes, éveillera dans les princes le désir d'imitation, enfin elle sera un sujet d'allégresse et de bénédiction pour toute l'Eglise, mais surtout pour ce diocèse désolé où naquit et fut élevé ce grand Prince qui, ainsi que son nom même l'atteste, fut tant aimé de Dieu et l'aima si ardemment.

            Il exalta de tout son cœur le nom divin, mais en retour, la divine Majesté a glorifié le sien, et par une telle multitude de vrais miracles, qu'on verra clairement, au moment des informations, que cette canonisation a été différée jusqu'ici par une providence de Dieu. Dans ces pays, en effet, les hérétiques ont un grand mépris pour les Saints ; il est donc fort à propos de mettre devant leurs yeux cette lampe qui brilla jadis parmi leurs ancêtres : ils y verront une vie d'une piété admirable et des miracles d'une merveilleuse évidence.

            Je ne doute point que Vos Seigneuries Illustrissimes et Révérendissimes ne prennent plaisir à faire avancer cette cause si justement [226] désirée ; aussi, leur offrant mes humbles hommages, je prie Dieu notre Seigneur qu'il leur donne la sainte plénitude de ses grâces.

            D'Annecy, le 2 juin 1612.

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DCCLXXXIII. A Dom Pierre de Saint-Bernard de Flottes Feuillant. Un grand désir du Saint. — Envoi d'un ouvrage. — Les PP. Capucins en Savoie.

 

Annecy, 10 juin 1612.

 

            Certes, mon Reverend Pere, je desire grandement de pouvoir tirer de la presse de mes inutiles occupations [227] quelque petite besoigne de devotion, qui, en quelque sorte, corresponde aux augures que vostre charité en fait ; mays il est tres vray que je n'ose nullement esperer cela pour maintenant. Ce que j'ay de plus prest, qui regarde la conduite des ecclesiastiques de ce diocæse, je le remettray, Dieu aydant, a ce porteur, non seulement par ce qu'il est mon diocæsain et quil a des-ja esté employé en semblable occasion, mays par ce aussi que vous le voules, puis que je suis de tout mon cœur,

            Mon Reverend Pere, et tres asseurement,

Vostre tres humble et tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de. Geneve.

            Mon Reverend Pere, je vous escris tout a fait sans loysir et presque sans haleine, ce matin de la Pentecoste. Presque toutes nos chaires sont occupees par les RR. Peres Capucins, qui ont huit Maysons, la plus part nouvellement fondees ; et si, je vous puys dire que, excepté celle de cette ville, je n'oserois en presenter une [228] a quelque predicateur qui, pour y venir, eut besoin de faire une journee.

            Au R. P. en N. S.

Le Pere Dom Pierre de St Bernard,

            Predicateur Feuillentin. — A Lion.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Léon Clugnet, à Fresnes-les-Rungis (Seine).

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DCCLXXXIV. A Monseigneur Pellegrino Bertacchi Évêque de Modène. Renseignements demandés sur un étranger apostat, en faveur de sa femme convertie.

 

Annecy, 12 juin 1612.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Habbiamo qui in questa diocæsi un certo Crespiliano il quale è da Modena, et un pezzo fa venne a Genevra dove, fatta l'abiuratione della santa fede catholica et datosi in preda all'heresia, fece professione di philosophia [229] in quella maledetta città. Hora, ritiratosi da Geneva nelle terre di questa istessa diocæsi che dipendono di Francia, ha pigliato moglie di casa molto honorata, la quale era pur haeretica. Et adesso, per gratia d'Iddio essendo Catholica, è in scrupulo del suo matrimonio perché alcuni gli han detto che detto Crespiliano de Crassi era o prete o frate professo. [230]

            Per questo vengho a supplicare V. S. Illma et Rma che si degni procurare che si sappia la verità di questo dubbio ; il che, a mio parere, sarà cosa facile, ogni minima disquisitione che se ne faccia in quella sua città. Et oltre che V. S. Illma et Rma usarà in questo carità verso questa pover' anima della moglie di detto Crespiliano, a me darà grand' introduttione di convertire esso Crespiliano et mi farà una gratia della quale io glie restarò ubligatissimo.

            Et così sperando, bascio le sacre mani a V. S. Illma et Rma et le pregho dal Signor Iddio ogni vero contento.

            Di V. S. Illma et Rma,

Humile et affettionatissimo servitore,

FRANCO, Vescovo di Genevra.

            Di Neci, alli XII di Giugnio 1612.

 

            All' Illmo et Rmo Sigr osservandissimo,

            Monsigr il Vescovo di Modena.

            A Modena.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Modène, Archives capitulaires. [231]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Nous avons dans ce diocèse un certain Crispiliani, originaire de Modène. Venu à Genève, il y a quelque temps, il y abjura la sainte foi catholique, et, livré en proie à l'hérésie, il professa la philosophie [229] dans cette ville maudite. Ayant ensuite quitté Genève pour se retirer sur les terres de ce diocèse qui dépendent de la France, il prit, dans une famille très honorable, une femme également hérétique. Celle-ci, étant aujourd'hui devenue catholique par la grâce de Dieu, conçoit des scrupules au sujet de son mariage, parce que quelques personnes lui ont dit que ce Crispiliani de Crassy avait été prêtre ou religieux profès. [230]

            Je viens donc supplier Votre Seigneurie Illustrissime et Reverendissime de vouloir bien faire éclaircir ce doute : chose facile, à mon avis, pour peu qu'on fasse la moindre enquête dans sa ville natale. Outre la charité que Votre Seigneurie exercera à l'égard de cette pauvre femme dudit Crispiliani, elle me donnera grande ouverture pour convertir celui-ci et m'accordera une faveur dont je lui demeurerai très obligé.

            Dans cet espoir, je baise les mains sacrées de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, et souhaite que Dieu notre Seigneur lui donne tout vrai contentement.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

L'humble et très affectionné serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            D'Annecy, le 12 juin 1612.

 

            Au très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

            Mgr l'Evêque de Modène.

            A Modène. [231]

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DCCLXXXV. Au Chanoine aimé rouge, sous-prieur de Peillonnex. Renseignements fournis sur un jeune prêtre.

 

Annecy, 15 juin 1612.

 

            Monsieur le Sousprieur,

 

            Nos messieurs les examinateurs ont estimé que nous devions donner courage a M. de Marteret, puisqu'il a rendu un grand tesmoignage de vouloir dores-en-avant faire merveilles et quil est parti avec vostre licence, ainsy que vous tesmoignes par vostre lettre, me le renvoyant quant au dimissoire.

            Je me recommande a vos prieres, et suis

Vostre bien humble tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XV juin 1612, a Neci.

 

            A Monsr

Monsr le Sousprieur de Pellionnex.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montélimar. [232]

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DCCLXXXVI. A Madame de Cornillon, sa sœur. Une prétendante « de fort bonne famille et de tres bonne mine. »

 

Annecy, 17 juin 1612.

 

            Vive Jesus ! ma tres chere Seur, ma Fille. Je [n'écris que deux mots, car] je suis sans loysir ; mesme que demain il faut que j'aille estre l'aumosnier de nos Seurs de la Visitation pour la reception d'une fille de Dijon, de fort bonne famille et de tres bonne mine, qui y est arrivee ce matin avec sa mere et asses bien accompaignee. C'est un acquest que M. de Millet et mes filles ont fait en leur voyage. [233]

            Je voudrois, mays je ne puis escrire a M. de la Forest sur sa convalescence ; ce sera donq a la premiere commodité.

            Gloire soit au Pere et au Filz et au Saint Esprit, dont nous celebrons la foy aujourd'huy.

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            17 juin 1612.

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DCCLXXXVII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe (Inédite). Condoléances et consolations. — Le seul prix de cette vie mortelle. — Pour mourir, tous les moments sont « heureux » à ceux qui craignent Dieu. — L'Abbesse désire faire un voyage en Savoie ; le Saint ne sait ni le lui conseiller, ni l'en dissuader

 

Annecy, 18 juin 1612.

 

            Hier bien tard cette bonne dame arriva, et ce matin elle prend mes lettres. Helas, ma chere Seur, que j'aurois bien besoin d'un peu plus de loysir pour laysser reprendre mon cœur, tout fasché de cette nouvelle que je viens de recevoir du trespas de madame nostre chere mere ! Mays puisque je ne puis, que vous diray-je, ma tres chere Seur, sinon que voyla comme cette miserable vie mortelle est incertaine parmi nous, et que nous sommes encor plus miserables qu'elle, si nous l'estimons pour autre sujet que pour ce qu'elle nous sert de passage [234] a l'eternelle ; eternelle, ma tres chere Fille, a laquelle nous devons sans cesse aspirer, en laquelle nos proches et nos amis se treuveront reunis avec nous d'une societé indissoluble.

            Mon Dieu, je voy, ce me semble, vostre pauvre cœur fort affligé, car je sçai que vous l'aves fort sensible en telles occasions. Mays, ma Fille, ayons patience ; bien tost nos jours finiront, et nous passerons avec les autres, desquelz alhors nous treuverons la separation fort courte.

            Certes, si je ne connoissois l'ame de nostre defuncte et que je n'eusse sceu qu'ell' estoit bonne et craignoit Dieu, j'eusse esté plus estonné de la façon de son trespas que de son trespas mesme, tant j'ayme l'esprit au dessus de tout le reste. Mays une si bonne conscience est tous-jours asses preste, et ny a rien a craindre pour ceux qui craignent Dieu : tous les momens leur sont heureux. Je prieray Dieu, selon mon devoir, et pour son repos et pour vostre consolation.

            Et sur le sujet de vostre voyage par deça, je ne sçaurois vous le conseiller, pour l'apprehension que j'ay quil ne vous incommode en vostre foible santé, ni ne sçaurois vous le dissuader, pour le tres singulier contentement que j'aurois a vous tenir un peu parmi nous, en ces desertz. Je ne voy point de tems qui ne soit propre, pourveu que le voyage que M. le Grand doit faire a Gex ne me contraigne d'absenter de cette ville quand vous series de deça ; et c'est chose delaquelle je ne me puis rien promettre. Mais necessayrement il faut que je sois icy des le commencement de septembre'jusques au 20, pour la celebration d'un Jubilé que nous y avons de sept ans en sept ans. Vous verres donq le tems que vous aggreeres, et m'en advertires, affin qu'autant quil [235] me sera possible je m'essaye de disposer mes affaires pour me treuver icy. Mays pour vostre santé, je vous en laisse la consideration, et a vos medecins de dela.

            Je pensois, mais je ne puis escrire a madame la Prieure nostre chere seur ; vous l'asseureres bien de ma fidelité. En vraye verité, vous n'aves point de cœur qui soit plus vostre que le mien. Dieu soit a jamais vostre consolation. Amen.

Vostre plus humble, tres fidele frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVIII juin 1612.

            Mme de Chantal n'ayant nul loysir, vous bayse les mains de tout son cœur et n'oubliera pas de rendre le devoir a Mme la chere defuncte.

            Que j'escrirois volontier a monsieur d'Origni ! mays je suis si pressé du depart de cette bonne dame, que je suis forcé de vous conjurer que ce soit par vostre entremise que je luy offre mon humble tres affectionné service.

 

            A Madame

Madame l'Abbesse du Puys d'Orbe.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.

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DCCLXXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Remerciements pour une grâce obtenue

 

Annecy, 18 juin 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Apres que le sieur Chapperon a eü receu la liberté par la bonté et equité de Vostre Altesse, il a voulu [236] aller a ses pieds pour luy en porter le tres humble remerciment quil en doit. Et moy, Monseigneur, qui ay intercedé pour luy, je l'accompaigne encor en cett' action de graces, et suppliant Nostre Seigneur quil comble de prosperité Vostre Altesse, je demeuré, Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII juin 1612, a Neci.

 

            A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Bianchetta, curé de l'Anuonciade, à Turin.

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DCCLXXXIX. A Monseigneur Michel d'Esne, Évêque de Tournai (Inédite). L'Introduction à la Vie devote attire à son auteur les louanges d'un Prélat étranger. — Gratitude du Saint. — Son oraison pour Genève. — Remerciements pour un envoi de traductions.

 

Annecy, 21 juin 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Je cheriray des-ormais le pauvre petit livret de l'Introduction a la Vie devote plus tendrement que je [237] n'ayfait, puis qu'il m'a acquis lhonneur de vostre sainte bienveuillance, et me sentiray de plus fort obligé au P. Irenee qui, le premier, m'a donné la consolation de me le faire sçavoir. Mays c'est en fin a vostre bonté a laquelle j'en dois le tres humble remerciment, qui s'est rendue si favorable et a l'œuvre pour l'appreuver, et a l'autheur, pour l'aymer.

            Je vous en fay donq tres humblement action de graces, et des bons souhaitz que vous faites pour mon restablissement dedans ma miserable ville de Geneve, pour laquelle je fay cette courte orayson : Domine, aut convertatur, aut evertatur ; sed, pro tua pietate, potius convertatur quam evertatur, et « quod nostra peccata præpediunt, indulgentia tuæ propitiationis acceleret. »

            Je garderay pretieusement les traductions qu'il vous a pleu m'envoyer, non seulement par ce que ce genre d'escritz m'est fort aggreable, mais par ce que ce me sera un tiltre du bien que j'ay de participer a vos bonnes graces, lesquelles je vous supplie, Monseigneur, me conserver comm'a un homme qui les estime et revere autant que nul autre, et lequel, confessant quil ne les a jamais meritees, espere neanmoins quil ne meritera jamais de les perdre, puisque liberalement elles luy ont esté concedees.

            Dieu multipliera vos ans si mes vœux sont exaucés, et en vos ans, ses celestes benedictions, et tous-jours vous [238] m'aymeres affectionnement, comme celuy qui est et sera invariablement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres-obeissant indigne confrere

et tres fidele serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Jour de la Feste Dieu 1612, a Neci.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Tournay.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Nédonchel, à Tournai (Belgique).

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DCCXC. A M. Claude Dupanloup, Curé de la Muraz. Le saint métal et la dévotion à saint Théodule.

 

Annecy, 21 juin 1612.

 

            Monsieur le Curé,

 

            Voyla du saint metail que j'envoye pour vos parroissiens, qui, esperans des benefices par l'intercession de saint Theodule qui l'a beni, devront tascher d'assister a la Messe qui se celebrera a son honneur au jour que nous avons marqué de sa feste au Manuel. Vous feres reposer ledit metail dans l'eglise jusques a ce qu'il le faille jetter, ce que vous feres avec la chappe, [ou] au moins avec le surplis et l'estole. [239]

            Je me recommande a vos prieres et de vos parroissiens, et suis

Vostre confrere tres affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le jour Feste Dieu 1612.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le Mis Costa de Beauregard, à Paris.

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DCCXCI. A la Mère de Chantal. La rose, symbole des vertus de saint Jean-Baptiste. — Son amour pour la Sainte Vierge et son Enfant. — Deux lis dans une rose

 

Annecy, [24 juin 1612.]

 

            Voyés vous une rose, ma tres chere Fille ? Elle represente le glorieux saint Jean, duquel la vermeille charité est plus esclattante que la rose, a laquelle encor il ressemble parce que, comme elle, il a vescu emmi les espines de beaucoup de mortifications.

            Mays pensés comme ce grand homme avoit gravé au milieu de son cœur la Sainte Vierge et son Enfant despuis le jour de la Visitation, auquel il ressentit, le premier des mortelz, combien la Mere de cet Enfant et l'Enfant de cette Mere estoyent aymables. Hors de cette Mere et de cet Enfant, rien ne doit occuper le cœur de ma Fille et de son pere. Qu'a jamais ce glorieux et divin Jesus vive et regne en nos espritz, entre les bras de sa sainte Mere, comme en son throsne fleurissant !

            Et voyla donq, ma tres chere Fille, un bouquet spirituel ou vous voyes deux lys dans une rose, l'un qui est né dans l'autre, et qui tous deux benissent, de l'odeur de leur suavité et de la perfection de leur beauté, la [240] rose des cœurs qui, par une parfaitte mortification poignante, vivent nuds, despouillés et quittes de toute autre chose pour eux. Hé, qui nous fera la grace que nous savourions bien le miel que cette Mere abeille fait au milieu de cette fleur aymable ?

            Bon soir, ma tres chere Mere ; le bon soir a toutes nos Seurs.

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCXCII. A Messieurs les Chanoines de Saint-Jean de Lyon (Minute). Le Saint voudrait bien accepter l'invitation du Chapitre, mais à cause du silence du duc de Savoie, il se dégage de sa promesse.

 

Annecy, 25 juin 1612.

 

            Messieurs,

 

            Je prens a tant d'honneur la recherche quil vous a pleu de faire de mes predications pour l'Advent et Caresme prochain, que si vostre rang en l'Eglise et le merite de tant de personnages signalés desquelz vostre compaignie est composee ne m'avoit des-ja obligé a vous honnorer et respecter, je ne laisserois pas de l'estre extremement par cette favorable semonce que, de vostre grace, vous m'aves faitte, a laquelle je vous supplie de croire que j'ay fidellement correspondu par un sincere'desir d'y satisfaire. Et a cet effect, ne pouvant bonnement partir de cette province ou ma charge me tient lié, sans l'aggreement de [241] Son Altesse, non seulement j'ay fait supplication pour l'obtenir, mais ay conjuré un de ceux que je croyois estre plus propre, affin d'en solliciter l'enterinement.

            Or, voyant que jusques a present je n'ay aucune response et que si, par adventure, je la recevois negative dans quelque tems, la faveur que vous m'aves faitte de me souhaitter seroit suivie du desplaysir de n'avoir ni mes sermons, ni peut estre ceux des autres predicateurs sur lesquelz, a mon defaut, vous pourries avoir jetté les yeux, d'autant que ce pendant ilz se pourroyent engager ailleurs : cela, Messieurs, fait que je vous supplie de ne plus continuer envers moy l'honneur de vostre attente et de colloquer ce vostre choix en quelqu'autre qui ayt plus de liberté que moy pour l'accepter. Vous ne pourres que beaucoup gaigner au change, si l'on a esgard a la suffisance, puisqu'en cette partie-la je suis inferieur a tous les predicateurs qui hantent les bonnes villes et montent es grandes chaires, comme la vostre. Mais quant a l'affection de vous rendre du service et du contentement, je pense que malaysement eviteries vous de la perte, puisqu'en verité j'ay le cœur tout plein d'amour et de reverence pour vous, et d'ardeur et de zele pour l'avancement de la vraye pieté en vostre ville.

            Que si, apres ces longueurs qui sont ordinaires es cours, la response de Son Altesse m'arrivoit selon vostre desir et le mien, et qu'il vous pleust me conserver l'eslection que vous avies faite de moy pour une autre annee, je vous asseure, Messieurs, que je conserveray de mon costé la volonté que j'avois prise de suivre la vostre ; volonté que je vous offre des maintenant avec un bien humble remerciement, pour demeurer toute ma vie,

            Messieurs,

Vostre bien humble et tres affectionné confrere

et serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 25 juin 1612, a Neci.

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DCCXCIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Recommandation en faveur d'un gentilhomme offensé qui demande justice

 

Annecy, 30 juin 1612.

 

            Monseigneur,

 

            Ce gentilhomme, qui a en ce païs plusieurs alliés dignes de recommandation, recourt a la justice de Vostre Altesse Serenissime pour tirer rayson d'un homme qui est maintenant a Thurin, des-ja remarqué pour desloyal, ainsy qu'on luy a fait entendre. Et bien que la justice ne soit desniee a personne, si est ce que, si Vostre Altesse le reçoit en sa speciale protection pour ce regard, il espere qu'il jouira beaucoup plus tost des fruitz qu'il en pretend ; et pour cela, il implore sa bonté, a quoy j'adjouste ma tres humble intercession, qui suis,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele orateur et serviteur

de Vostre Altesse Serenissime,

FRANÇS, E. de Geneve.

            30 juin 1612, a Neci.

 

A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [243]

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DCCXCIV. A Madame de la Fléchère. Les Constitutions de la Visitation. — Messages variés

 

Annecy, 13 juillet 1612.

 

            Ces quattre motz vous feront grand bien, ma tres chere Fille, pour vous dire que j'ay receu vostre lettre derniere et que je pars demain de grand matin pour, si je puis, me rendre au giste a Gex. Je suis marri que la copie que je vous envoyay des Constitutions de la Visitation est si incorrecte ; mais je pense que vous entendres bien le sens. Je ne puis monter a Sainte Catherine ; j'escriray un mot a propos, et vous verres Madame l'Ancienne a Rumilly, ainsy qu'on m'a dit.

            Demeures en paix aupres de Nostre Seigneur, que je supplie vous benir et rendre toute sienne. Amen.

            Ce porteur estant tout mien et l'un des plus vertueux et devotz prestres, je luy ay dit quil vous donnast en main ce billet.

            La chere cousine est a Presle des il y a, je pense, dix ou douze jours, et je ne l'avois pas veu (sic) dix ou douze jours au paravant, de sorte quil y a long tems que je ne l'ay pas veüe ; mays elle se porte pourtant [bien] et est tous-jours fort desireuse de s'avancer au service de Nostre Seigneur.

            Madame de Chantal vous salue tres cordialement, estant un peu enbesoignee pour faire accommoder la [244] nouvelle mayson. Je m'en vay tantost luy dire a Dieu, et je vous le dis aussi, suppliant sa divine Bonté que de plus en plus elle vous face abonder en ses graces. Amen. Vive Jesus !

            Au cher mari mille salutations, et autant de benedictions a ma petite filleule.

            XIII julliet 1612.

 

            Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mgr Nunès, Archevêque d'Evora (Portugal).

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DCCXCV. Au Père Nicolas Polliens, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Une bonne fille qui ne pourra pas être si tôt consolée. « Le livret » que prépare le Saint.

 

Gex, 17 juillet 1612.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            J'affectionne extremement de donner satisfaction a la bonne fille pour laquelle vous m'escrives ; son oncle, et [245] sur tout vostre tesmoignage m'y oblige. La petitesse, neanmoins, du logis et l'incommodité des Filles de la Visitation ne permettront pas encor sitost qu'elle soit consolee. Faites moy ce bien, mon Reverend Pere, de m'escrire en quelz termes nous en demeurasmes a Chamberi, par ce que n'en ayant pas distincte memoire, selon mon imbecillité, je n'en puis pas si bien parler a ces Dames quil seroit requis.

            Je travaille apres le livret que vous souhaites, et seres des premiers a qui j'en dedieray une copie, si jamais Dieu me le fait voir au jour.

            Je suis, plus que vous ne sçauries croire,

            Mon Reverend Pere,

Vostre plus humble confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII julliet 1612.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montélimar.

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DCCXCVI. A Madame de Travernay. Ce qui donnait à François de Sales « un particulier contentement. » — Pourquoi et comment les tracas sont utiles au progrès spirituel. — Un sentiment qui rend légers tous les déplaisirs.

 

Du pays de Gex, 20 juillet 1612.

 

            Madame,

 

            Sçachés que j'ay un particulier contentement, quand je reçois de vos lettres, de voir que, parmi beaucoup [246] d'empeschemens et de contradictions, vous conserves la volonté de servir Nostre Seigneur ; car c'est la verité que si vous estes bien fidele entre ces traverses, vous en aures d'autant plus de consolations que les difficultés que vous aves auront esté grandes. Je pense en vous quand moins vous le pensés, et vous voy avec un cœur de compassion, sçachant bien combien vous aves de rencontres en ce tracas parmi lequel vous vivés, qui vous peuvent divertir de la sainte attention que vous desires avoir a Dieu. Pour cela, je ne veux point cesser de recommander a sa divine Bonté vostre necessité ; mays je ne veux pas aussi laisser de vous conjurer de la rendre utile a vostre avancement spirituel.

Nous n'avons point de recompense sans victoire, ni point de victoire sans guerre. Prenés donq bien courage, et convertissés vostre peyne, qui est sans remede, en matiere de vertu. Voyés souvent Nostre Seigneur qui vous regarde, pauvre petite creature que vous estes, et vous voit emmi vos travaux et vos distractions ; il vous envoye du secours et benit vos afflictions. Vous deves, a cette consideration, prendre patiemment et doucement les ennuis qui vous arrivent, pour l'amour de Celuy qui ne permet cet exercice vous arriver que pour vostre bien.

            Eslevés donq souvent vostre cœur a Dieu, requerés son ayde, et faites vostre principal fondement de consolation au bonheur que vous aves d'estre sienne. Tous les objetz de desplaysir vous seront peu de chose, quand vous sçaurés d'avoir un tel Amy, un si grand support et un si excellent refuge.

            Dieu soit tous-jours au milieu de vostre cœur, Madame ma tres chere Fille, et je suis de tout le mien,

Vostre humble et tres affectionné compere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 20 julliet 1612. [247]

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DCCXCVII. A l'Archiduc d'Autriche, Albert VII. Supplique en faveur de l'établissement d'un monastère à Saint-Claude. — Le sort ordinaire de ceux qui recherchent l'intimité de Dieu. — Comment les âmes qui prient servent leur pays et leur époque.

 

Gex, 29 juillet 1612.

 

            Cum hoc tempus æstivum, Augustissime Princeps, in recensendis rebus ecclesiasticis hujus regionis Gayanæ impenderem, ecce a finitimo oppido Sancti Claudii, vineæ [248] quædam parvulæ, ut antea suavissimum pietatis odorem, ita nunc amarum mentis suæ dolorem dederunt.

            Aliquot enim illius loci virgines devotissimæ, cum summopere cuperent religiosum vitæ genus aggredi, viderentque se tam longe a monasteriis mulierum abesse, ut vix possent sperare se expetitis Sponsi cælestis nuptiis aliquando potituras, de monasterio ibi construendo cogitare cœperunt. Cumque res, bonis omnibus grata, jamjam initium habitura videretur, repente ab hominibus venit turbatio. Solemne namque est omnibus regnum et gloriam Dei paulo pressius quærentibus, pericula in mari, pericula in terra, sed maxime a falsis fratribus, hoc est, a vulpibus parvulis quæ demoliuntur vineas, experiri. Ergo, Serenissime Princeps, congregatio illa virginum, quamvis Institutum Ecclesiæ judicio probatum et in Burgundia jampridem incœptum colere vellet, multis tamen contradicentibus hujus sæculi filiis, qui et interdum, per horrendam astutiam, pietatem pietatis prætextu evellunt, nulla ratione hucusque negotium illud sacrum conficere valuit. [249]

            Verum, in tanta difficultate, etsi plerique simplicissimis virginibus desperationem injicerent, non potuerunt nihilominus illæ non recte sperare, dum videlicet in Celsitudinis Vestræ summam pietatem oculos mentis conjiciunt, arbitrate sane merito se ab ea facile præsidium impetrare posse, quo omnia impedimenta dispellantur. Et quia sexui et virginitati pudor natura individuus comes est, non sunt ausse [ad] pedes Celsitudinis Vestræ, nisi aliquo sacerdote duce, accedere ; unde me, tanquam ex Antistitibus viciniorem, rogaverunt, ut eas earumque sanctum desiderium eidem piissimæ Celsitudini Vestræ per litteras commendarem. [250]

            Quod dum impensissimis precibus facio, non certe propterea me velle ambulare in magnis existimare quisquam debet : ideo namque ambulo confidenter, quia ambulo simpliciter, confisus nimirum preces meas a plerisque magnæ erga Vestram Celsitudinem auctoritatis intercessoribus auxilium accepturas. Postulabit enim mecum idipsum quod expeto, innata Vestræ Celsitudinis benignitas, infusa religio, parta devotio, ac denique horum temporum miseranda conditio, quae ea est ut preces plurimas, ac proinde precatores multos requirat. Quare, novum hoc mysticum examen apum, orationis mellificium meditantium, eo gratius Celsitudini Vestræ futurum duxi, quo locupletiorem et utiliorem huic ætati operam navare constituit.

            Vive porro, Celsissime et Serenissime Princeps, vive quam diutissime, quam felicissime ac sanctissime, ac sacrarum harum virginum humillimarum faventibus oculis aspice, excipe, perfice votum, quod humillime exposuit Serenissimæ Celsitudini Vestræ… [251]

 

 

 

            Très auguste Prince,

 

            Pendant cette saison d'été, je passais en revue les affaires religieuses de ce pays de Gex, lorsque, de la ville voisine de Saint-Claude, quelques petites vignes, qui auparavant répandaient une [248] odeur de piété très suave, ont exhalé soudain l'amère douleur de leur âme.

            Ce sont quelques jeunes filles de cette cité, très dévotes et très désireuses d'entrer en Religion ; mais voyant qu'elles étaient si loin des monastères de femmes, qu'à peine pourraient-elles jamais jouir des noces tant désirées du céleste Epoux, elles ont pensé à bâtir un monastère en ce lieu. La chose, agréée de tous les gens de bien, allait, semble-t-il, prendre commencement ; mais tout à coup, elle a été dérangée par les hommes. C'est d'ailleurs le sort ordinaire de ceux qui cherchent d'un peu plus près le royaume et la gloire de Dieu, d'avoir à subir des traverses sur mer et des traverses sur terre, et surtout de la part des faux frères, c'est-à-dire des renardeaux qui détruisent les vignes. Oui, Serenissime Prince, cette association de jeunes filles, quoiqu'elle désirât prendre un Institut approuvé par l'Eglise et depuis longtemps établi en Bourgogne, a rencontré bien des contradicteurs parmi les enfants de ce siècle qui bien souvent, par une effroyable malice, renversent la piété au nom de la piété même ; et ainsi, cette œuvre si sainte n'a pu aucunement se faire. [249]

            Dans un tel embarras, plusieurs ont essayé d'enlever tout espoir à des âmes si simples ; toutefois, celles-ci ont repris confiance, et non sans raison, lorsque jetant les yeux sur l'éminente piété de Votre Altesse, elles ont pensé à bon titre en obtenir sans peine le secours qui écarterait tous les obstacles. Mais parce que la pudeur est la compagne inséparable de ce sexe et de la virginité, elles n'ont pas eu la hardiesse de se présenter à vos pieds sans être introduites par quelque prêtre. Aussi m'ont-elles prié, comme étant l'Evêque le plus voisin, de recommander par lettres à Votre très dévote Altesse, et leurs personnes et leur religieux désir. [250]

            Je le fais avec de très instantes prières, mais on ne doit pas croire pour cela que je veuille marcher en grandeur : si je marche avec assurance, c'est que je marche avec simplicité, bien persuadé que ma requête sera appuyée par plusieurs intercesseurs très influents auprès de Votre Altesse. Je trouverai en effet pour m'aider à plaider ma cause, la douceur qui est naturelle à Votre Altesse, l'esprit de piété qui lui a été départi, la dévotion qu'elle a acquise et enfin la malheureuse condition de notre temps, qui exige bien des prières, et partant beaucoup d'âmes qui prient. C'est pourquoi, ce nouvel essaim d'abeilles mystiques qui se préparent à composer le miel de l'oraison, sera, je crois, d'autant plus agréable à Votre Altesse, qu'elle a résolu de s'employer avec plus de générosité et de profit au service de notre époque.

            Vivez, très grand et Sérénissime Prince, d'une très longue, très heureuse et très sainte vie, et, d'un œil favorable, regardez, agréez, comblez le vœu de ces très humbles pieuses filles, comme l'a très humblement exposé à Votre Altesse… [251]

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DCCXCVIII. A la Mère de Chantal. Un bonjour du « grand saint Pierre. » — La délivrance des liens spirituels. — « Mignardise d'amour » de Notre-Seigneur. — La marque de l'amour fidèle. — Il faut mourir ou aimer. — « Une jolie pensee. » — Les jeunes apprentis et les vieux maîtres en l'amour de Dieu. — Où tendait l'amitié mutuelle qui unissait l'ime du Saint et celle de la Mère de Chantal

 

Annecy, 1er août 1612.

 

            Nostre grand saint Pierre, resveillé de son sommeil par l'Ange, vous donne le bon jour, ma tres chere Mere. Combien de douceurs en l'histoire de cette delivrance ! car son ame en est tellement saysie qu'il ne sçait s'il songe ou s'il ne songe pas. Que puisse nostre Ange toucher ce jourdhuy nostre flanc, nous donner le resveil de l'attention amoureuse a Dieu, nous delivrer de tous les liens de l'amour propre et nous consacrer a jamais a ce celeste amour, affin que nous puissions dire : Maintenant je sçai, certes, que Dieu a envoyé son Ange et m'a delivré.

            Helas ! qu'il fut heureux, nostre cher saint Pierre, car ce fut par mignardise d'amour que Nostre Seigneur luy demanda si souvent : Pierre, m'aymes-tu ? Non point qu'il en doutast, mais pour le grand playsir qu'il prend a nous souvent ouÿr dire et redire et protester que nous l'aymons. Ma chere Mere, aymons-nous pas le doux Sauveur ? Ah ! il sçait bien que si nous ne l'aymons, pour le moins desirons-nous de l'aymer. Or si nous l'aymons, paissons ses brebis et ses aigneaux : c'est la, la marque de l'amour fidele.

            Mays dequoy faut-il repaistre ces cheres brebiettes ? [252] De l'amour mesme, car, ou elles ne vivent pas, ou elles vivent d'amour : entre leur mort et l'amour, il n'y a point d'entredeux. Il faut mourir ou aymer, car qui n'ayme, dit saint Jean, il demeure en la mort.

            Mais sçaves vous une jolie pensee ? Nostre Seigneur va dire a son cher saint Pierre : Quand tu estois jeune, tu mettois ta ceinture et allois ou tu voulois ; mais quand tu seras viel, tu estendras ta main, et un autre te ceindra et te menera ou tu ne veux pas. Les jeunes apprentifz en l'amour de Dieu se ceignent eux mesmes : ilz prennent les mortifications que bon leur semble, ilz choisissent leur penitence, resignation et devotion et font leur propre volonté parmi celle de Dieu ; mais les vieux maistres au mestier se laissent lier et ceindre par autruy et se sousmettent au joug qu'on leur impose, et vont par lès chemins qu'ilz ne voudroyent pas selon leur inclination. Il est vray qu'ilz tendent la main ; car, malgré la resistance de leurs inclinations, ilz se laissent gouverner volontairement contre leur volonté, et disent qu'il vaut mieux obeir que faire des offrandes : et voyla comm'ilz glorifient Dieu, crucifiant non seulement leur chair, mais leur esprit.

            Vrayement hier, tandis que l'on chantoit l'Invitatoire et qu'on disoit : « Vive le Roy des Apostres ! Venes et adorés le, » j'eus un si doux et amiable sentiment que rien plus, et soudain je desirois qu'il s'espanchast sur tout nostre cœur.

            O Dieu ! nostre Sauveur nous soit a jamais toute chose. Tenes le cœur en haut, dans le sein amoureux de la divine Bonté et Providence, car c'est le lieu de son repos. C'est luy qui m'a rendu tout vostre, et vous toute mienne, affin que nous fussions plus purement, parfaitement et uniquement siens. Ainsy soit il. [253]

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DCCXCIX. Au Marquis de Lans. Rentré à Annecy, l'Evêque de Genève rend compte de ses négociations dans le pays de Gex. — Eloge d'un commissaire. — Sentiments des Genevois

 

Annecy, 2 août 1612.

 

            Monsieur,

 

            Ayant esté remis en la possession de toutes les eglises de Gex qui estoyent occupees par les ministres, hormis de celles que ceux de Geneve detiennent, pour le regard desquelles j'ay esté renvoyé au Conseil du Roy de France, je suis revenu a mon ordinaire residence, en laquelle je vous salue tres humblement et vous supplie me conserver lhonneur de vostre bienveuillance.

            Le commissayre deputé pour me mettre en ladite possession est un simple conseiller de la cour de Parlement de Digeon, qui vint luy troysiesme ; et neanmoins, s'est fort bien sceu fair'obeir, non obstant toutes les allegations et repugnances des heretiques. Ceux de Geneve ont esté estonnés et marri (sic) qu'on ayt mis en compromis la restitution des biens quilz tiennent dans la souveraineté de France, et n'ont pas manqué d'avancer que Son Altesse les traittoit mieux pour ce regard.

            Rien autre ne s'est passé qui soit digne de vous estre representé ; c'est pourquoy, priant Nostre Seigneur quil [254] vous face de plus en plus abonder en sa grace, je me nommeray en toute verité,

            Monsieur,

Tres humble et tres affectionné serviteur de Vostre Excellence,

FRANÇS, E. de Geneve.

            2 aoust 1612, a Neci.

 

            A Son Excellence.

            A Chamberi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCC. A la Reine Mère, Marie de Médicis (Minute). Remerciements à la reine régente et souhaits pour son fils et pour elle, en retour de son intervention pour le rétablissement du culte à Gex

 

Annecy, commencement d'août 1612.

 

            Apres avoir rendu graces a Dieu du restablissement de son Eglise es lieus et biens ci devant occupés et detenus par les ministres de la religion prætendue, au balliage de Gex, j'en remercie tres humblement Vostre Majesté, de la royale providence et pieté delaquelle ce bonheur nous est arrivé. [255]

            Dieu eternel veuill'a jamais establir la royauté du Roy vostre filz, puysque vous aves si grand soin du restablissement de celle de son Filz, Roy des roys ; Dieu remplisse vostre royale personne de ses benedictions, puisque, par l'authorité quil vous a donnee, vous faites benir son saint nom en tant d'endroitz esquelz il estoit prophané.

            Ce sont les continuelz souhaitz que, par un' immortelle obligation, fait et fera tous-jours, Madame,

Vostre tres humble et tres obeissant orateur et serviteur,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

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DCCCI. A un gentilhomme. La mort d'une fille spirituelle du Saint, âme « belle et devote »

 

Annecy, 7 août 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je viens d'apprendre par M. le medecin Grandis le douloureux mais bienheureux trespas de madame vostre chere espouse. Certes, mon cœur en a esté autant vivement touché que de perte que j'aye faite il y a long tems ; car la bonté, la pieté et la vertu que j'avois veuës en cette belle ame m'avoyent tellement rendu obligé a l'honnorer, que des-ormais j'en faysois une profession [257] solemnelle. Qu'elle est heureuse, cette chere dame, d'avoir, parmi tant de douleurs et de travaux, conservé la fidelité qu'elle devoit a son Dieu, et que ce m'a esté de consolation d'avoir sceu une partie des paroles de charité que son esprit a lancees, avec ses derniers souspirs, dans le sein de la misericorde divine !

            Mays, Monsieur, n'auray je pas une immortelle obligation a la faveur qu'elle me faysoit, puisqu'en cette extremité de sa vie mortelle, elle a si souvent tesmoigné qu'elle avoit memoire de moy, comme de celuy qu'elle sçavoit luy estre tout dedié en Nostre Seigneur ? Jamais cette souvenance ne sortira de mon ame, et ne pouvant luy offrir le service tres fidele que j'avois juré a sa vertu et devotion, je vous conjure, Monsieur, de l'accepter et recevoir avec celuy que l'honneur de vostre bienveuillance avoit des-ja acquis sur mes affections. Et cependant, en cette occasion, employés la grandeur de vostre courage pour moderer la grandeur du desplaysir que la grandeur de vostre perte vous aura donné. Acquiesçons, Monsieur, aux decretz de la Providence souveraine, decretz qui sont tous-jours justes, tous-jours saintz, tous-jours adorables, bien qu'impenetrables et obscurs a nostre connoissance.

            Cette belle et devote ame est decedee en un estat de conscience auquel si Dieu nous fait la grace de mourir, nous serons trop heureux de mourir en quelque tems que ce soit. Aggreons cette grace que Dieu luy a faitte, et ayons doucement patience pour ce peu de tems que nous avons a vivre icy bas sans elle, puisque nous avons esperance de demeurer avec elle eternellement au Ciel, en une societé indissoluble et invariable.

            Monsieur, je respandray toute ma vie des benedictions sur madame vostre chere defuncte, et seray invariablement

Vostre plus humble, tres affectionné et fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, ce 7 aoust 1612.

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DCCCII. A la Mère de Chantal. L'aube du jour éternel. — Souhaits pour la petite Congrégation. — Un sentiment fort particulier qu'éprouve le Saint la veille de l'Assomption. — La divine Fruitière. — En descendant de chaire

 

Annecy, 15 août 1612.

 

            Hé, que belle est cette Aube du jour eternel, laquelle montant devers le Ciel, va, ce semble, de plus en plus croissant es benedictions de son incomparable gloire ! Qu'a jamais les odeurs d'eternelle suavité esparses sur les cœurs de ses devotz, remplissent celuy de ma tres chere Mere comme mon cœur propre, et que nostre chere petite Congregation, toute voüee a la louange de son Filz et des mammelles sacrees qui l'ont alaité, jouisse des benedictions preparees aux ames qui l'honnorent.

            Hier au soir, j'eus un sentiment fort particulier du bien que l'on a d'estre enfant, quoy qu'indigne, de cette glorieuse Mere, Estoile de mer, belle comme la lune, esleuë comme le soleil. O mon Dieu ! ma tres chere Mere, j'ay eü une speciale consolation de voir comme elle donna une belle robe d'une blancheur nompareille a son serviteur saint Hildephonse, Evesque de Tolede ; car, pourquoy n'en donnera-elle pas une a nostre cher cœur ? Voyes-vous, je retourne tous-jours a mes brebis.

            Entreprenons des grandes choses sous la faveur de cette Mere, car si nous sommes un peu tendres en son amour, elle n'a garde de nous laisser sans l'effect que nous pretendons. O Dieu quand je me resouviens qu'aux Cantiques, elle dit : Entourés moy de pommes, je [258] voudrois volontier luy donner nostre cœur ; car, quelle autre pomme peut desirer de moy cette belle Fruitiere ?

            Je viens du sermon, ou je voudrois bien avoir plus saintement et amoureusement parlé de nostre glorieuse et sacree Maistresse ; je la supplie qu'elle me veuille pardonner. Dieu nous face la grace de nous voir un jour consommés au divin amour. Ce pendant, bon jour, ma tres chere Mere.

            Le 15 aoust, jour de la glorification de nostre tres honnoree Maistresse, qui soit a jamais nostre amour.

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCIII. A M. Antoine des Hayes. Par « humeur », le Saint aime la discrétion. — Service demandé en faveur du Chapitre de Genève. — Phénomènes célestes

 

Annecy, 31 août 1612.

 

            Monsieur,

 

            Il faut que l'asseurance que j'ay de vostre bienveuillance soit infiniment asseuree, puisque a tous propos et avec tant de liberté, je prens la confiance de vous supplier pour les affaires ecclesiastiques que maintenant il me faut avoir de dela ; car, certes, de mon humeur, j'ayme la modestie.

            Or, voyla une requeste pour obtenir une revision en faveur du Chapitre de mon Eglise. C'est un' affaire, comme je pense, ordinaire et que je ne vous devrois pas donner la peyne de faire ; mays vostre amitié en mon endroit est si universelle, que volontier elle me favorise en toutes occurrences, grandes et petites. Aussi puis-je [259] jurer que mon affection pour vous est si absolue, generale et invariable, que vous n'en aures jamais de plus entiere de personne du monde.

            Je vous escris sans loysir, a cause du soudain despart de ceux qui portent ce pacquet a Lion. Aussi n'ay-je rien de nouveau des la derniere lettre que je vous escrivis, sinon que nous avons veu en cette ville plusieurs colomnes enflammees sur Geneve, et la veille de l'Assomption, entre midi et un'heure, en un jour fort clair, un'estoile asses proche du soleil, aussi brillante et resplendissante qu'est la bell'estoile en une nuit bien seraine.

            Je suis, Monsieur,

Vostre tres humble fidele serviteur,

et de madame vostre chere espouse,

FRANÇS E. de Geneve.

            31 aoust 1612.

 

            A Monsieur

Monsieur des Hayes, Maistre d'hostel du Roy,

            Gouverneur et Baillif de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Rouen. [260]

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DCCCIV. A la Mère de Chantal. Avis charitable

 

Annecy, [1611-septembre 1612.]

 

            Ma chere Fille,

 

            Je vous advertis que madamoyselle d'Escrilles est de la mesme parentee que M. de Corselles, affin que vous ne luy disies pas ce que nous dismes de la bisayeule. Mais Dieu la benie, la bonne madamoyselle d'Escrilles, et je prie sa Majesté qu'elle vous benisse aussi infiniment.

 

            Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [261]

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DCCCV. A Madame de Genève, abbesse de Baume-Les-Dames (Inédite). Offre conditionnelle d'une postulante, fille de Gallois de Sales. — Ce qui rebutait quelquefois les prétendantes à la Visitation. — Portrait de la nièce du Saint.

 

Annecy, 19 septembre 1612.

 

            Madame ma tres chere Mere,

 

            Je fus certes en peyne de vostre chemin d'icy a La Roche, voyant que [le] tems s'aigrissoit un peu ; et Dieu soit loué dequoy vous l'aves passé asses heureusement. Vostre conseil a esté tres bon d'envoyer prendre le carosse, et ce pendant donner la consolation de vostre veüe a madame la Comtesse vostre seur. [262]

            J'ay veu despuis vostre depart Mme de Chantal, qui vous honnore d'un honneur fort particulier et desire que tous-jours je vous supplie de la tenir en vostre bonne grace ; ce que je fay de tout mon cœur.

            Au demeurant, soudain apres vostre despart, mes freres entrerent en un'ambition d'obtenir une place de Religieuse en vostre Monastere pour un'unique niece, fille de nostr'aysné, que nous avons ; et m'a fallu leur promettre que je vous en supplierois, de cette grace. C'est pourquoy je le fay, avec la reserve de vostre bon playsir, pour le tems et pour toutes autres conditions, et encor pour la chose mesme, laquelle je ne veux vouloir qu'a mesure que cela se pourra faire sans vostre incommodité, vostre contentement m'estant plus cher que tout l'honneur qui pourroit arriver a ma niece, laquelle, pour ne rien celer a ma tres chere et tres honnoree Mere, je m'essayeray de gaigner pour la Visitation ; mais par ce que les humilités quil y faut exercer rebuttent quelquefois les filles, si je ne puis la tourner de ce costé la, j'imploreray encor de plus fort vostre faveur. La fille est bien jolie et d'asses bon esprit, et fille d'une mere que je puis nommer sainte, et damoyselle de bon lieu.

            J'eusse bien voulu que je vous eusse fait la supplication [263] a bouche et en presence, car je vous eusse encor mieux tesmoigné combien je desire qu'elle ne soit respondüe sinon avec toute consideration de la commodité ou incommodité qu'il y peut avoir, vous asseurant que je n'ay null'affection a cela sinon entant que vous le jugeres a propos et le treuveres bon, et que vous pouves user de ma volonté en ceci et en tout'autre occurrence a vostre gré, librement et franchement, comme doit et peut faire une mere envers

Son tres humble filz et tres fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            19 septembre 1612.

 

            A Madame

Madame l'Abbesse de Baume.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme de la Garde, à Besançon.

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DCCCVI. Au Baron Amédée de Villette. Le regard des princes et les rayons du soleil. — « Petite harengue » présentée à une Abbesse. — Une cousine du Saint lui dit « son petit cas » : pourquoi elle ne songeait pas à la Visitation

 

Annecy, 21 septembre 1612.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            Je vous remercie tres humblement, quoy que plus tard que je ne devois, de la faveur de vostre lettre, que monsieur de Gie, mon cousin, m'apporta entre cette [264] infinie multitude d'occupations que nos grans Pardons me donnerent.

            Je ne doutois point que Son Altesse ne vous regardast comme les grans Princes ont accoustumé de voir leurs grans fideles serviteurs. Dieu veuille que ses mains vous soyent aussi liberales que ses yeux ! Il seroit bien raysonnable que, comme les Princes s'estiment les soleilz de ce bas monde, ilz rendissent les rayons de leurs regars effectifz, ainsy que ceux du soleil le sont sur la terre.

            Nous avons eu la bonne Madame de Baume, que mon cousin saluâ, et luy fit une petite harengue sur le sujet de sa maistresse, qu'elle aggrea extremement ; et me dit que si elle luy pouvoit rendre quelque sorte de bon office en ses amours, elle le feroit de tout son cœur, m'asseurant que cette damoyselle dont il est question estoit une perle en bon naturel, en bonn'humeur et en vertu : qui me fait d'autant plus louer le choix que vous en aves fait pour la consolation de vostre viellesse future, et voudrois bien pouvoir contribuer quelque service a ce dessein, comm'aussi a tous les autres qui regarderont vostre contentement.

            Et a ce propos, hier ma chere petite cousine me [265] vint voir, qui m'expliqua son intention pour le regard de la vocation religieuse, et me dit son petit cas si honnestement et gentilment, que j'en demeuray fort edifié et consolé. Ce fut qu'elle desireroit bien d'avoir la volonté d'estre Religieuse a la Visitation, mays qu'elle ne pouvoit s'y resoudre, par ce qu'elle ne pouvoit se ranger a une si grande perfection et ne luy estoit pas advis qu'elle la puisse entreprendre. Mays par ce qu'elle me dit qu'elle vous en avoit escrit fort amplement, je ne vous diray point le reste de nos discours, desquelz la conclusion fut qu'elle me prioit de vous faire aggreer de la supporter en son imperfection. Je croy bien que la pauvre petite ne pense nullement au mariage et qu'elle s'accommoderoit a une autre sorte de vie, pourveu qu'on n'observast pas une regie si absolue comm' on fait a la Visitation. Certes, je la treuve si bonne fille, que je ne puis m'empescher d'esperer que, de quel costé que se tourne, elle ne vous donne de la satisfaction.

            Pour moy, priant Nostre Seigneur qu'il vous conserve a longues annees pour les vostres et pour moy, qui suis le plus humble, je demeure,

            Monsieur mon Oncle,

Vostre tres affectionné fidele serviteur et neveu,

FRANÇS, E. de Geneve.

            21 septembre 1612, a Neci.

 

            A Monsieur

Monsieur le Baron de Vilette,

            Conseiller d'Estat et Maistre d'hostel de S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [266]

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DCCCVII. A M. Claude de Blonay. Le voyage de Milan n'est plus désespéré. — Un Saint qui a soin de ses dévots. — Plan du voyage ; compagnon à retenir

 

Annecy, 25 septembre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je desesperois du voyage de Milan, par ce que je n'estimois pas avoir les finances requises ; mays voyci que tout a coup, il m'arrive un'inopinee esperance d'avoir plus de moyens quil ne m'en faut, pourveu que je ne parte pas de troys semaines. N'est ce pas le saint Archevesque que nous voulons aller reverer, qui a soin de ses devotz ?

            Mays l'importance est de sçavoir qu'est ce qu'en dira monsieur nostre Abbé, qui doit estre nostre Raphael en cette peregrination. Je vous supplie de l'apprendre de luy, car sil treuve quil soit a propos, nous arriverions pour la feste du Saint et serons de retour pour les Advens. Et advertisses moy, je vous prie, au plus tost, car sil faut aller, nous irons ; que sil est jugé plus a propos, nous retarderons jusques au primtems.

            Voyla le sujet que j'ay de vous escrire sans loysir, vous asseurant que si monsieur Carrel n'est parti, il [267] recevra la commission desiree, car monsieur de la Roche m'en fit donner advis des avanthier au soir.

Vostre plus humble tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve,

            25 septembre 1612.

 

            A Monsieur

Monsieur de Blonnay, Curé de Siez.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.

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DCCCVIII. A Madame de Travernay. Comment accommoder les prières avec beaucoup d'occupations du matin jusqu'au soir. — Les oraisons jaculatoires. — Les afflictions du cœur. — Quelles sont les âmes que Dieu aime.

 

Annecy, 29 septembre 1612.

 

            Madame ma tres chere Fille,

 

            Vous sçaures par cette si digne porteuse parmi quelle multitude de tracas je vous escris ; qui me servira d'excuse si je ne vous parle pas si amplement comme je desirois.

            Vous deves mesurer la longueur de vos prieres a la quantité de vos affaires ; et puis qu'il a pleu a Nostre Seigneur de vous mettre en une sorte de vie en laquelle vous aves perpetuellement des distractions, il faut que [268] vous vous accoustumies a faire vos oraysons courtes, mays qu'aussi vous les vous rendies si ordinaires, que jamais vous ne les layssies sans grande necessité.

            Je voudrois que le matin, au lever, vous pliassiés les genoux devant Dieu pour l'adorer, faire le signe de la Croix et luy demander sa benediction pour toute la journee ; ce qui se peut faire au tems que l'on diroit un ou deux Pater noster. Si vous aves la Messe, il suffira qu'avec attention et reverence vous l'escouties, ainsy qu'il est marqué dans l’Introduction, en disant vostre Chappelet. Le soir, avant souper ou environ, vous pourries aysement faire un peu de prieres ferventes, vous jettant devant Nostre Seigneur autant comme on diroit un Pater ; car il n'y a point d'occasion qui vous tienne si sujette, que vous ne puissiés desrober ce petit bout de loysir. Le soir, avant qu'aller coucher, vous pourrés, faysant autres choses, en quel lieu que ce soit, faire la reveuë de ce que vous aurés fait parmi la journee, de gros en gros, et, allant au lict, vous jetter briefvement a genoux, demander pardon a Dieu des fautes que vous aures commises, et le prier de veiller sur vous et vous donner sa benediction : ce que vous pourrés faire courtement, comme pour un Ave Maria. Mais sur tout je desire qu'a tous propos, parmi la journee, vous retiriés vostre cœur en Dieu, luy disant quelques courtes paroles de fidelité et d'amour.

            Quant aux afflictions de vostre cœur, ma chere Fille, vous discerneres aysement celles auxquelles il y a du remede et celles esquelles il n'y en a point. Ou il y a du remede, il faut tascher de l'apporter doucement et paysiblement ; celles ou il n'y en a point, il faut que vous les supportiés comme une mortification que Nostre Seigneur vous envoye pour vous exercer et rendre toute sienne.

            Prenés garde a ne vous relascher gueres aux plaintes, ains contraignés vostre cœur de souffrir tranquillement. Que s'il vous arrive quelque sorte de saillie d'impatience, soudain que vous vous en appercevres, remettés vostre cœur en la paix et douceur. Croyés-moy, ma chere Fille, [269] Dieu ayme les ames qui sont agitees des flotz et tempestes du monde, pourveu qu'elles reçoivent de sa main le travail et, comme vaillantes guerrieres, s'essayent de garder la fidelité emmi les assautz et combatz. Si je puis, je diray quelque chose sur ce sujet a cette chere seur tant aymable, affin qu'elle vous le redie ; et je m'en vay pour l'accommodement d'une querelle chaude, qu'il faut empescher.

            Je suis, mais d'un cœur fort entier, Madame,

Vostre humble et tres affectionné compere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 29 septembre 1612.

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DCCCIX. A la Mère de Chantal. Une âme à consoler

 

Annecy, [1611-octobre 1612.]

 

            Cette bonne femme desire un peu de consolation ; vous la pourres faire monter a vous, ma tres chere Mere, que je verray aujourdhuy, si je puis.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [270]

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DCCCX. A M. Antoine des Hayes. Une amitié à l'abri de toute défiance. — Pourquoi, dans l'intention de prêcher à Saint-Benoit, le Saint préparait « un cœur tout nouveau, » après dix ans de ministère épiscopal. — Opposition résolue du duc de Savoie anx prédications de François de Sales à Paris, — Perplexités d'un évêque

 

Annecy, 5 octobre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je pense que vous ne douterés jamais de mon affection a l'accomplissement de vos volontés et desirs, car l'excellente amitié delaquelle vous m'honnorés est arrivee jusques a ce point de perfection, qu'ell'est exempte de toute desfiance et de tout doute. Mays en l'occasion d'aller en nostre chaire de Saint Benoist, ce n'est pas vous, Monsieur, seulement qui n'en deves pas douter, c'est tous ceux qui s'entendent tant soit peu en mes inclinations.

            Dieu sçait bien que je præparois un cœur tout nouveau, plus grand, ce me semble, que le mien ordinaire, pour aller-lâ prononcer ses saintes et divines paroles : premierement, pour, en une si belle et dign'occasion, rendre de la gloire a sa divine Majesté ; puis, pour donner du contentement a celuy qui m'y appelloit avec [271] tant de cœur et de courage. Et si, je me promettois, par un certain exces d'amour a ce dessein, que preschant maintenant un peu plus meurement, solidement et, pour le dire tout en un mot entre nous, un peu plus apostoliquement que je ne faysois il y a dix ans, vous eussies aymé mes prædications, non seulement pour ma consideration, mais pour elles mesmes.

            Or, voyci a quoy je me treuve a present : Son Altesse a esconduyt la Reyne, ainsy que monsieur de Roascieu vous aura dit, et un ami que j'ay en court m'advertit que rien ne proffitera en ce sujet, auquel Son Altesse est resoluë de ne se laisser point plier. J'avois presque resolu de passer jusques a Thurin pour voir si je pourrois, par declarations de mes intentions bonnes et franches, esbransler son esprit. Mays voyci que de toutes pars on m'asseure qu'elle vient dans peu de jours avec Monseigneur le Prince a Chamberi, et nostre monsieur le premier President Favre estime que sadite Altesse me retient de deça pour m'y treuver a sa venue : de sorte que me voyla en perplexité, car si le Pape mesme me commandoit d'aller, et Son Altesse, estant de deça, me retenoit avec promesses que le Pape n'auroit pas des-agreable, je serois bien en peyne, comme vous pouves penser. Et quant a l'expedient du proces que j'ay au Conseil privé, il m'est advis, sauf le vostre meilleur, quil seroit extremement pressant et sujet a estre soupçonné d'affectation de mon costé et a donner de l'avantage a mes parties.

            Monsieur de Charmoysi qui, apres moy, desiroit le plus mon voyage, est en peyne comme treuver une bonne sortie de ces considerations. Certes, si Son Altesse ne venoit point, l'authorité du Pape seroit toute [272] puissante, car j'employeroys son commandement sans prendre congé que par lettres ; mais Son Altesse estant icy, j'aurois peyne a me desmesler des repliques qui me seroyent faites et ne croys pas que je le puisse. Ce pendant, le tems court et nous va mettre dans peu de semaynes a la veille du Caresme ; si que il sera meshuy malaysé de treuver un prædicateur sortable a vostre chaire.

            Il faut confesser la verité, j'ay un'extreme passion en cet'occurrence, et ne sçais bonnement me resoudre sinon a ce point, que tout ce que vous me dires je le feray de tres bon cœur, quoy qu'il en doive arriver ; et de plus, que si jamais je vay a Paris faire le Caresme, ce ne sera que pour vostre seule consideration, soit que vous ayes la charge de l'eglise ou que vous ne l'ayes pas.

            Je vous asseure, Monsieur, que je vous escris sans sçavoir presque que je fay, tant il me fasche de ne pouvoir pas, avec entiere liberté, vous dire : Je vay. Vous m'excuseres donques, sil vous plait, en mon stile, et croyres qu'avec un cœur invariable et immortel, je suis et seray         Monsieur,

Vostre tres humble et tres fidele serviteur,

FRANÇS,. E. de Geneve.

            V octobre 1612, a Neci.

 

            Monsieur des Hayes,

Maistre d'hostel du Roy, Gouverneur

            et Baillif du chasteau et ville de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Rouen. [273]

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DCCCXI. A M. Jacques de Bay. Recommandations en faveur de trois étudiants de Savoie. — Nouvelles religieuses

 

Annecy, 8 octobre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Outre le desir que j'ay de me ramentevoir en vostre bienveuillance par un'occasion si asseuree comm'est celleci, je suis aussi obligé de gratifier les parens de ces jeunes gens par la tres affectionnee recommandation que je vous fay en la faveur d'iceux. Ilz sont, certes, tous troys enfans de personnes de bonne qualité et pour lesquelles je voudroys beaucoup de bien et de satisfaction ; mays en particulier l'un d'entr'eux, nommé Grillet, est filz d'une mere qui m'appartient en sang et d'un pere que, pour sa probité, j'affectionne estroittement. C'est pourquoy, vous suppliant de tout mon cœur de les recevoir tous entre les bras de vostre charité, je vous supplie plus particulierement pour celuy lâ.

            Les parens aussi de M. Jean de Rua m'ont prié de le vous recommander ; ce que je fay bien affectionnement, quoy que je ne doute pas que sil se comporte aussi modestement au college comm'il a fait tandis quil a esté icy, il ne vous soit asses recommandable de luy mesme, sans que j'y employe mon intercession.

            Nous avons ces moys passés retiré environ 25 eglises [274] des mains des huguenotz autour de Geneve, que j'espere repeupler de bons pasteurs, comm' encor d'en retirer davantage, s'il plait a Dieu de toucher le cœur des Princes affin qu'ilz conspirent a la sanctification de son saint nom. Ce sont les seules nouvelles dont je vous puis servir et, comme je pense, les plus agreables et qui vous donneront tant plus de courage de favoriser ce diocaese, eslevant aux lettres et a la pieté ceux qui vous sont envoyés, et priant Nostre Seigneur pour moy qui, reciproquement, vous souhaite toute sainte prosperité et demeure,

            Monsieur,

Vostre humble tres affectionné confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII octobre 1612, a Neci.

 

            A Monsieur

            Monsieur de Bay,

Docteur regent et Chancelier de l'Université de Louvain,

Doyen de St Pierre, Praesident du College de Savoye.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bruxelles, Bibliothèque des PP. Bollandistes.

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DCCCXII. A la Mère de Chantal. Une jeune fille écartée de la Visitation pour cause de maladie

 

Annecy, [août-octobre] 1612.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Nostre Seigneur vous donne l'abondance de ses graces. Hier M. de Vilette me parla, et luy dis la difficulté de [275] la maladie dont je vous avois parlé. Il ne treuva point mauvais cela ; de sorte que sil vous plait, en luy tesmoignant de la charité, luy dire que les Seurs seroyent trop troublees si telz accidens arrivoyent, et quil seroit requis qu'on luy fit les remedes necessaires tandis qu'ell'est chez luy, je ne doute point quil ne le treuve bien doux, ouy mesme toute sorte de dilation a luy bailler l'habit apres qu'elle sera receüe, et que cela demeure en nostre discretion. C'est par ce quil me dit hier quil vous iroit voir, que je vous donne cet advis, et par ce que je suis bien ayse de saluer un peu ce matin le cœur de ma tres chere Mere, qui est le mien propre, bien que j'espere de le saluer ce soir, Dieu aydant.

            Bonjour donq, ma tres chere Mere ; Nostre Seigneur soit a jamais beni !

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Collonges, aumônier de la Visitation de Chambéry.

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DCCCXIII. Au Baron Amédée de Villette. La contagion au-pays de Vaud. — La petite cousine aimée tendrement de la Mère de Chantal

 

Annecy, 11 octobre 1612.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            Sachant bien que vostre si soudain despart ne peut estre que pour quelqu'affaire de grand'importance, [276] je prieray tant plus soigneusement Nostre Seigneur quil vous assiste de son saint esprit de conseil et de force, pour persuader les choses justes et convenables a ceux qui, peut estre, n'y sont pas beaucoup disposés.

            Monsieur le maistre Carrel, revenant de Chablaix, m'a dit que la contagion s'estoit respandue en cinq ou six endroitz du païs de Vaux ; cela pourroit rendre vostre passage difficile, mais vostre prudence remediera a cet empeschement, prenant les destours propres a vostre conservation que, sur toute chose, je vous supplie avoir en recommandation.

            Quant a ma petite cousine, elle vous donnera en tous evenemens sujet de contentement ; car, bien qu'elle n'ayt point son esprit incliné a la vie retiree et religieuse, si a elle une ferme resolution de se rendre de plus en plus vertueuse et devote, et avec cela, vous ne sçauries recevoir d'elle que beaucoup de satisfaction. Madame de Chantal l'ayme tendrement et a esperance que par tout elle fera fort bien. Pour moy, j'ay commencé a la tenir pour ma fille, et ne veux jamais cesser, avec vostre congé toutefois, comme je suis invariablement,

            Monsieur mon Oncle,

Vostre tres humble neveu et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI octobre 1612, a Neci.

 

            A Monsieur

            Monsieur le Baron de Vilette,

Conseiller d'Estat et Maistre d'hostel de S. A.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le marquis Marsigli, à Bologne. [277]

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DCCCXIV. A Madame d'Escrilles. Affection des Religieuses de la Galerie pour la destinataire. — Les satisfactions sèches et les consolations savoureuses. — Messages.

 

Annecy, 15 octobre 1012.

 

            Il me tardoit, certes, d'avoir quelqu'asseuree commodité de vous escrire, ma tres chere Fille, ne doutant point que mes lettres ne vous soyent a consolation, selon la sainte dilection que Dieu a creëe entre nous.

            La bonne Mme de Chantal se porte fort bien a mon gré, comme j'ay veu ce matin que j'ay dit la sainte Messe a la Visitation ; et c'est la ou ce porteur m'a treuvé que je sortois du parloir, ou j'estois descendu pour la saluer et dire deux ou trois motz d'affaires. Je m'asseure qu'elle vous respondra selon vostre desir, et la pensee qui vous est venue au contraire est une vayne pensee ; car vrayement ces bonnes filles ont des cœurs tout plains de tres [278] saint et ferme amour pour vous, de qui elles receurent une grande consolation en la sorte avec laquelle vous listes vostre demande.

            Au reste, demeurés en cette paix et tranquillité que Nostre Seigneur vous a donnee. La paix de Dieu, dit saint Paul, qui surpasse tout sentiment, conserve vostre cœur et vostr'esprit en Jesus Christ Nostre Seigneur. Voyes vous pas, ma chere Fille, quil dit que la paix de Dieu surpasse tout sentiment ? C'est pour vous apprendre que vous ne deves nullement vous troubler de n'avoir point d'autre sentiment que celuy de la paix de Dieu. Or, la paix de Dieu, c'est la paix qui prouvient des resolutions que nous avons prises pour Dieu et par les moyens que Dieu nous ordonne. Marchés fermement en ce chemin auquel la providence de Dieu vous a mise, sans regarder ni a droite ni a gauche : c'est le chemin de la perfection pour vous. Cette satisfaction d'esprit, quoy que sans goust, vaut mieux que mille consolations savoureuses.

            Que si Dieu vouloit que vous eussies un peu de difficulté au demeslement de vos affaires, il faudroit recevoir cela de sa main, laquelle vous ayant saysye, ne vous abandonnera point qu'elle ne vous ayt reduite au point de vostre perfection. Nous verrons de conduire tout bellement l'esprit des freres, et attendray que vous me facies sçavoir ce que vous aures fait avec la bonne mere. Vous verres bien, ma tres chere Fille, que la providence de Dieu fera par tout faire place a vostre intention, puis qu'ell'est toute conforme a la sienne ; il faut seulement avoir un courage un peu vigoureux et resolu. J'appreuve que vous retourniés avant le Caresme, affin que vous puissies au plus tost vous desprendre de tout embarassement, et rencontrer le beni jour auquel [279] vous luy tesmoigneres que ce n'est que luy que vous cherches.

            J'ay escrit au P. Recteur de Chamberi sur le sujet du logement de vostre cher enfant, et ne doute point que vous ne treuvies tout'assistence. Et quant a moy, ma chere Fille, je ne pourray jamais vous oublier ni en mes Sacrifices ni en mes prieres, ni en aucun'occasion de l'avancement de vostre ame, puis que son Createur a gravé si profondement en la mienne une parfaite affection pour vous. Je supplie nostre Sauveur et sa Mere quilz vivent et regnent a jamais au milieu de vostre cœur. Amen.

            Je suis invariablement, ma tres chere Fille,

Vostre plus humble parent et tres asseuré serviteur,

F., E. de Geneve.

            13 octobre 1612, a Neci.

            Vous m'escrires bien encor apres vostre retour de Chamberi : et si vous passies a la Bastie, je vous prie de saluer madamoyselle de Saint Pierre, a laquelle j'ay escrit et que j'ayme cordialement.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme A. Richard-Cottin, à Lyon. [280]

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DCCCXV. A Madame de la Fléchère. Ce que réservait le Saint dans ses demandes à Dieu. — Petites nouvelles. — Annonce du départ de la Galerie

 

Annecy, 21 octobre 1612.

 

            Je vous fis response l'autre jour, ma chere Fille, sitost que j'eu leu vostre lettre ; mais le garçon qui l'avoit apportee ne revint pas prendre la mienne, laquelle je vous envoye encores toute telle que je la fis.

            Certes, j'ay esté en peyne de la pauvre chere Francine, laquelle j'espere devoir estre une bonne servante de Nostre Seigneur et qui ne laissera pas, moyennant la grace cæleste, d'aller au Ciel apres avoir rendu des bons services a Dieu entre les hazars de cette vie mortelle. C'est pourquoy, sa divine Bonté soit loüee de la nous avoir encor laissee, comme je l'en ay supplié, avec la reserve de la sainte resignation, que je n'oublie jamais en choses de telle qualité.

            J'ay fait tenir vostre lettre au P. Gardien, et celle de Mme l'Ancienne sera rendue demain. Ce fut avant-hier seulement que je receu vos lettres bien tard, que la [281] chere cousine, a qui elles avoyent esté portees, m'envoyâ. J'envoyay a M. des Crilles ce qu'elle desiroit de moy, et croy que vous aures fait tenir a nostre seur de Bons la lettreque je vous addressay. Dieu vous benisse de sa grande benediction, ma tres chere Fille, et tout ce qui vous est plus cher.

            Hier monsieur vostre mari et M. de Charmoysi allerent coucher a Thorens parmi un tres mauvais tems. Mme de Chantal vous salue mille foys, des l'autre jour que je la vis. Lundi prochain, ell' ameyne sa trouppe dans la ville. Voyla le P. Gardien qui m'appelle, et je m'y en vay, vous laissant avec la paix et grace du Saint Esprit.

            Je suis tres veritablement et tres parfaitement tout vostre. F.

Vostre plus humble tres affectionné compere et serviteur,

F., E. de G.

            Le 21 octobre 1612.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de Scitivaux, à Vilet-les-Nancy (Nancy). [282]

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DCCCXVI. A Madame de Grandmaison. Comment le Saint entend témoigner sa sainte amitié. — Messages divers.

 

Annecy, 25 octobre 1612.

 

            Madame ma tres chere Seur,

 

            Je n'ay pas de quoy respondre aux paroles d'honneur extraordinaire que vous employés en ma faveur es deux lettres que, de vostre grace, j'ay receues de vostre part des que vous nous laissastes icy le desir de vostre presence. Mays j'ay bien pourtant une si forte et sincere affection pour vostr'ame, que si vous me le permetties, je revoquerois en doute, par maniere de desfy, que vous eussies asses de bienveuillance pour y correspondre. Dieu vous le fera sçavoir, au plus tard, apres cette vie mortelle ; car ce sera devant luy et ses Sains que je feray les principaux exercices de la sainte amitié qu'il m'a donné pour vous, jettant souvent mes tres humbles souhaitz devant son eternelle Bonté, affin qu'elle remplisse vostre cœur de son amour plus parfait. [283]

            La distance de nos sejours limite presqu'a ce seul effect la volonté que j'ay sans limite de vous rendre fidele et humble service, et ne me reste, ce semble, aucun autre moyen de la tesmoigner, si ce n'est par le commerce des lettres que je vous envoyeray souvent, pour vous rafraichir la memoire de mon ame qui a tous-jours tant de besoin d'estre secourue de vos oraysons, et qui recevra tous-jours beaucoup de consolation de sçavoir de tems en tems des bonnes nouvelles de la vostre. Mais, que suis tres parfaitement vostre, cela soit dit une fois pour toutes.

            Alles donq maintenant, ma tres chere Seur, en vostre mayson et au pres de ce cher mari qui vous attend ; je vous suivray en esprit, et respandray sur vous et sur luy les vœux de beaucoup de benedictions. Et puis qu'il faut que bien tost apres vostre arrivee vous souffries de rechef son absence pour le voyage quil doit faire a la court, continués bien en vos exercices spirituelz, tenes vous bien serree a Nostre Seigneur, et il suppleera, sans doute, le manquement de la desirable presence du mari, par celle qui est incomparable de son Saint Esprit, lequel, habitant au milieu de vostr'ame, la comblera de sa suavité nompareille. Ainsy soit-il et ainsy soyes-vous benite a jamais.

            Je suis, Madame ma tres chere Seur, et, si vous le treuves bon, ma tres chere Fille, je suis de tout mon cœur,

Vostre plus humble, tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            25 octobre 1612, a Neci, ou je salue humblement monsieur vostre mari et me dis par tout son serviteur. [284] Je le suis aussi de monsieur vostre frere et de madame vostre seur.

            J'escris un billet a M. de Medio, chanoyne de Saint Nizier, qui est celuy qui me fera recevoir de vos lettres quand il vous playra de m'en gratifier, et en son absence, monsieur Vulliat, contrerolleur de la mayson de Monseigneur le Duc de Nemours. J'escris un mot aussi au bon P. Anselme, mon grand ami.

            J'envoyeray les lettres desquelles vous gratifiés ma seur de Mayrens et madame de Charmoysi, laquelle est aux chams, aussi bien que mon frere de Boysi, qui sera bien marri de ne s'estre pas treuvé icy pour vous remercier luy mesme. La seule Mme de Chantal vous escrit, encor bien courtement.

            Si vous le treuves a propos, je salueray bien humblement par vostre entremise madame de Tremon, que [285] vous m'aves obligé d'honnorer beaucoup par le recit que vous m'aves fait de ses merites. Dieu vous soit guide et conducteur, ma tres chere Seur, et a vostre cher pouppon, que pour maintenant je nommeray encor Pierre, qui est si joly, a ce qu'on me dit.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Mâcon.

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DCCCXVII. A Madame de Peyzieu. Le nom du cœur. — Les consolations du Jubilé. — Témoignages d'amitié pour la destinataire et sa famille. — Affliction fâcheuse et affliction courageuse. — La modération des affections ménagères, grandement utile à la piété. — Une imperfection dont peu de gens s'abstiennent. — Les cœurs faibles et les cœurs forts.

 

Annecy, 26 octobre 1612.

 

            Madame ma tres chere Mere,

 

            Vostre lettre pleyne de termes d'honneur, d'amour et de confiance, me raviroit du tout a vous, si des long tems je n'y estois tout dedié. Mais, ma tres chere Mere, vous m'espargnes un peu trop le nom de filz, qui est le [286] nom du cœur, pour me donner un nom respectueux, qui est bien aussi nom du cœur, mais non pas du maternel, qui est celuy de mes delices.

            C'est la verité, ma chere Mere, que nous eusmes icy une grande assemblee a nostre Jubilé et, ce qui importe, qu'il se fit quelque fruict. J'en eu mille consolations et point de peyne, ce me semble ; seulement eusse-je bien voulu que madame de Grandmayson ma chere seur, vostre fille bienaymee et bien aymable, ou fust venue trois ou quatre jours devant, ou eust arresté quatre ou cinq jours apres, affin que j'eusse eu plus de commodité de luy rendre plus de tesmoignages du devoir que je luy ay et de la sainte inclination que j'ay a son cœur, que je treuve tout a mon gré pour bien servir Nostre Seigneur. Que si nous eussions eu le contentement et l'honneur de vous avoir vous mesme, certes, c'eust esté un comble de bonheur, Madame ma tres chere Mere, et vous eussies receu l'hommage que sept ou huit de mes freres et seurs ne vous ont encor point fait, en qualité de vos humbles enfans et serviteurs. Mais puis quil ne se peut d'autre façon, je vous approcheray souvent en esprit pour, avec vous conjointement, demander a Nostre Seigneur quil luy playse consoler vostre ame de sa benediction, la faisant abonder en son saint amour et en la sacree humilité et douceur de cœur, qui ne sont jamais sans ce saint amour, non plus que le saint amour sans elles.

            Et pour vous parler selon nostre confiance, ma tres chere Mere, ne vous faschés point, ni ne vous estonnés point de voir encor vivre en vostre ame toutes les imperfections que vous m'aves confiees. Non, je vous supplie, ma chere Mere, car bien quil les faille rejetter et detester pour s'en amender, si ne faut-il pas s'en affliger d'une affliction fascheuse, mais d'une affliction courageuse et tranquille, qui engendre un propos bien rassis et solide [287] de correction ; et ce propos, ainsy pris en repos et avec meureté de consideration, nous fera prendre les vrays moyens pour l'executer, entre lesquelz je confesse que la moderation des affections mesnageres est grandement utile. Je ne dis pas le total abandonnement, mais je dis la moderation ; car par cette moderation, nous sçavons treuver les heures franches pour l'orayson, pour un peu de lecture devote, pour eslever a diverses rencontres nostre cœur a Dieu, pour reprendre de tems en tems le maintien interieur et la posture cordiale de la paix, de la douceur, de l'humilité. Mais le grand secret en ceci, c'est d'employer toutes choses.

            Laissés sept ou huit jours pour bien rasseoir vostre ame et luy faire prendre profondement ces resolutions. Sur tout, ma tres chere Mere, il faut bien combattre la haine et les mescontentemens envers le prochain, et s'abstenir d'une imperfection insensible, mais grandement nuisible, de laquelle peu de gens s'abstiennent ; qui est que s'il nous arrive de censurer le prochain ou de nous plaindre de luy (ce qui nous devroit rarement arriver), nous ne finissons jamais, mais recommençons tous-jours et repetons nos plaintes et doleances sans fin ; qui est signe d'un cœur piqué et qui n'a encor point de vraye santé. Les cœurs fortz et puissans ne se deulent que pour des grans sujetz, et encor, pour ces grans sujetz, ne gardent ilz guere le ressentiment, au moins avec trouble et empressement.

            Vostre bon Curé, qui me plaist fort, m'a parlé de vostre desir et je luy ay dit ma pensee. Prenes courage, ma tres chere Mere, que ces petites annees que nous avons a couler icy bas nous seront, Dieu aydant, les meilleures [288] et les plus advantageuses pour l'eternité. Je seray ce pendant invariablement, Madame ma tres chere Mere,

Vostre tres humble filz et tres fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            J'ay eu peur de faire trop retarder ce porteur ; c'est pourquoy je vous ay escrit sans autres considerations que celles que la sincerité de mon affection filiale m'a fourni.

            A Neci, le 26 octobre 1612.

 

Revu sur une ancienne copie appartenant à Mme la marquise de Mailly, au château de La Roche-Mailly (Sarthe).

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DCCCXVIII. Au Marquis de Lans. Intercession en faveur d'un capitaine dans la gène et dans la vieillesse.

 

Annecy, 31 octobre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Me voyci tous-jours aux requestes pour ces pauvres gens de Geneve, desquelz meshuy je seray le referendaire general aupres de Vostre Excellence.

            Le capitaine La Rose est de ceux qui, les premiers, sortirent de cette ville la et de l'heresie qui y regne. Son Altesse Serenissime luy a donné un appointement par aumosne, tant en consideration de sa viellesse que de sa famille, laquelle nous avons icy en grande disette ; [289] mays, a ce qu'il me fait sçavoir, il demeurera privé de l'effect de ce benefice, si Vostre Excellence n'anime le commandement de Son Altesse par le sien. C'est pourquoy il m'a conjuré de vous supplier, Monsieur, en sa faveur pour ce regard ; ce que je fay tres humblement, et d'autant plus volontier que la bonne feste nous invite au secours des affligés.

            Je prie Dieu, Monsieur, qu'il face de plus en plus abonder Vostre Excellence en prosperité.

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 31 octobre 1612.

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DCCCXIX. A la Sœur de Blonay, Novice de la Visitation. Ce qui rend certaines tentations inoffensives. — La petitesse et l'enfance spirituelle.

 

Annecy, [octobre ou novembre 1612.]

 

            Il n'y a point de danger en ce qui vous est arrivé, puisque vous le communiques ; mays notés, ma tres chere Fille, que Dieu a commencé ses visitations en [290] vostre ame sur le sentiment et l'exercice de la petitesse, bassesse et humilité, pour appreuver l'advis qui vous est donné de bien vous reduire a ce point et d'estre vrayement une petite fille : je dis toute petite, en vos yeux, en vos exercices, en obeissance, naïfveté et abjection de vous mesme ; petite, et un vray enfant, qui ne cache ni son bien ni son mal a son pere, a sa mere, a sa nourrice.

            C'est en attendant que nous en parlions plus amplement. Dieu soit tous-jours au milieu de vostre cœur, ma tres chere Fille. [291]

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DCCCXX. A la Mère de Chantal (Billet inédit). Annonce de visiteuses

 

Annecy, [novembre 1612.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Cette bonne dame est ma chere tante et digne de caresses ; sil vous plaist, elle pourra bien entrer et ses filles. Mais ne vous lasses pas.

            Les deux Religieuses de Bon et de Bonlieu ont [292] envie d'arrester ce soir avec vous ; vous leur pourres faire cette charité.

            Bon soir, ma tres chere Mere, a laquelle je suis tout en Dieu et tout vostre.

 

Revu sur l'Autographe qui, en 1895, appartenait à S. E. le Cardinal Sanfelice.

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DCCCXXI. Au duc de Bellegarde (Minute). Menaces et prétentions des pasteurs protestants. — Précaution que propose l'Evêque de Genève pour les atténuer. — Eloge de M. Millelot.

 

Annecy, 10 novembre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je laisse a monsieur Milletot le contentement de vous representer l'heureux succes de la commission que le Roy luy avoit donné pour l'execution de l'edit de Nantes a Gex, et me reserve seulement de vous faire [293] un tres humble remerciment pour le soin continuel que vostre zele a du restablissement de la gloire de Dieu en ce miserable balliage, ou l'heresie, qui a si longuement foulé aux piedz la pieté, nous menace ericor maintenant, aussi effrontement que jamais, de rendre vaine l'esperance que nous avons en vostre protection ; comme si le credit des pretendues eglises de France estoit plus puissant pour nous empescher le renversement de l'effectuelle jouissance de nostre juste pretention, que la justice de la Reyne et vostre intercession pour faire maintenir un arrest si equitable et si saint, comm'est celuy en vertu duquel l'edit a esté executé.

            Mais, Monsieur, comme c'est nostre bonheur d'avoir une foy contraire a celle des huguenotz, aussi nous glorifions-nous d'avoir une esperance opposee a leur presomption ; a rayson dequoy, tous les Catholiques de Gex, et moy plus que tous, esperons et espererons tous-jours de voir tous les jours quelque progres de nostre sainte religion en ce petit bout de royaume qui est si heureux d'estre sous vostre gouvernement. A quoy ne [294] serviroit pas peu si monsieur Milletot, qui a si dignement prattiqué sa commission, avoit quelque charge particuliere d'ordonner et connoistre de tout ce qui en dependroit, par maniere de surintendance aux officiers de la justice ; car iceux estans de contraire religion a la nostre, ce nous seroit un grand bien d'avoir qui eust un soin particulier de nous, comme auroit ledit sieur Milletot, qui certes a tesmoigné une grande prudence et bonn'affection en cette occurrence.

            Mais, Monsieur, vostre sagesse vous suggerera ce qui sera plus a propos sur ce point, et moy, ce pendant, je continueray mes souhaitz devant Nostre Seigneur pour vostre prosperité, affin qu'il luy plaise vous en combler a jamais. Je suis…                    

            Ce 10 novembre 1612.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier et le IId Procès de Canonisation.

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DCCCXXII. A M. Gilles le Mazuyer. L'église de Gex ; espérances qu'elle donne. — Une difficulté et une impossibilité se rencontrent dans les lettres de naturalité obtenues pour les curés. — Une « viande friande » au XVIIe siècle. — Remerciements du Saint. — Il ne fait pas le « refuseur, » mais jamais il ne sera « praetendeur. » — Les francs serviteurs de Dieu, peu nombreux.

 

Annecy, 14 novembre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Nostre pauvre Gex est tous-jours presque en mesme [295] estat ; ce quil y a de plus, ne sont que certaines dispositions qui nous font promesse de mieux a l'advenir, Mays il faut louer Dieu, car aussi bien ne meritons-nous pas quil face une transmutation momentanee de ces cœurs lâ, qui seroit un miracle en la grace, comme fut la transmutation de l'eau au vin, en la nature. Je m'essayeray de faire que rien ne manque de ma part, autant que mon pouvoir s'estendra.    

            Voyla, Monsieur, la copie des lettres de naturalité que vostre bonté a impetrees pour nos pauvres curés, esquelles je treuve une difficulté et un'impossibilité. L'impossibilité est que ces bons prestres obtiennent de Romme un brevet par lequel nostre Saint Pere accordera que les benefices de ces curés venans a vaquer en cour de Romme, il n'en sera prouveu qu'a la nomination du Roy, ou par les Ordinaires. Juges je vous supplie, Monsieur, si cela est en la puissance ni des curés ni de moy ; car, ou ces benefices estans enclavés au royaume sont par la en cette condition, et lhors, qu'est il besoin d'obtenir le [296] brevet mentionné ? ou ilz ne le sont pas, et lhors, quelle temerité a des pauvres ecclesiastiques decousuz, de demander au Pape une chose de telle consequence ? car vous sçaves, Monsieur, que les grans estiment leurs droitz cherement, et que ce n'est pas a des chetifs curés d'impetrer telles choses. Cela donq me semble impossible aux curés et a moy qui voudrois m'engager pour eux.

            La difficulté est en ce qu'on les veut astraindre que sil failloit playder pour les tiltres et possessions desditz benefices, ilz poursuivront les proces par devant les officiers du Roy et non ailleurs. Car, Monsieur, ne pourroyent ilz pas playder, ou au petitoire, ou, pour les tiltres, devant mon official forain resident dans le royaume, ou devant Monsieur l'Archevesque de Vienne, nostre Metropolitain ? Il m'est advis qu'en France les tribunaux ecclesiastiques ne sont pas inhabilités a decider de telles causes ; neanmoins je ne le sçai pas bonnement. Mays icy en Savoye, ou on suit le stile des cours des Parlemens de France, nous connoissons du petitoire, et par consequent des tiltres ; et a Vienne, je sçai qu'on en playde aussi. Voyla donq ma difficulté.

            Or, je vous represente l'un et l'autre, affin quil vous playse, Monsieur, si vous le juges raysonnable et que je ne me soys pas trompé en mon discours, d'oster l'un et l'autre, en sorte que les lettres puissent estr'utiles a ceux pour lesquelz vostre faveur les a obtenues ; car il ne manquera pas d'entrepreneurs qui, par le manquement de l'execution de telles charges, attaqueront ces pauvres curés pour avoir leurs benefices, viande si friande en ce tems, que les plus incapables en veulent plus avoir.

            Et a ce propos, je vous remercie humblement de la bonne pensee que vous avies faite pour moy avec monsieur des Hayes, si je fusse allé a Paris. Je ne meriteray jamais cette faveur, si mes desirs et intentions ne tienne (sic) lieu de merite. Dieu, qui de sa grace a esté jusques a present avec moy en ce chemin ecclesiastique [297] par lequel je chemine, m'a donné du pain a manger et de l'eau a boire et des vestemens pour m'affeubler : c'est bien assés pour m'obliger a le tenir pour mon Dieu, a luy dresser des autelz a Gex, en France et par tout ou il luy playra employer ma misere pour la gloire de sa misericorde. Je ne dis pas cela, Monsieur, pour faire le refuseur, mays seulement pour dire avec, confiance de vostre amitié, que je ne seray jamais prætendeur. Cui quod satis est satis non est, illi nihil satis est.

            Je ne laisse pas pourtant, Monsieur, de vous estre extremement obligé, et ne me puis empesché (sic) de desirer que je puisse un jour vous l'aller tesmoigner a Paris. Et tandis, remettant cela au bon playsir de Nostre Seigneur, je le supplie quil vous comble de ses benedictions et madame vostre bonne mere, delaquelle j'honnore de tout mon cœur la pieté, et me sens honnoré de sa bienveuillance que le P. François m'a attestee. C'est un rejallissement de la vostre, pour laquelle je suis sans fin,

            Monsieur,

Vostre plus humble tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII novembre 1612, a Neci.

            Monsieur, je vous supplie humblement d'avoir soin, puisquil vous plait le me promettre, de ma requeste contre ceux de Geneve. Je crains la prudence de ce siecle, laquelle, selon Dieu, est une mere imprudence.

            O combien cette divine Majesté a peu de francs [298] serviteurs ! Vous estes bienheureux, Monsieur, d'estre de ce petit nombre.

 

            A Monsieur

Monsieur Le Mazuyer, Viscomte d'Ambrieux,

Conseiller du Roy en ses Conseilz d'Estat

et privé et Maistre des requestes de l'hostel de Sa Majesté.

            A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Toulouse.

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DCCCXXIII. A M. Antoine des Hayes. Requête de François de Sales. — A la diète de Bade. — Obstination des Bernois. — Un déplaisir du Saint

 

Annecy, 14 novembre 1612.

 

            Monsieur,

 

            Je ne puis pas perdre cett'occasion de vous ramentevoir mon affection qui vous honnore au dessus de toutes les pensees que vous en sçauries jamais avoir. J'escris a monsieur Le Masuyer, tous-jours pour nos affaires de Gex, et luy recommande ma requeste contre ceux de Geneve, delaquelle il luy a pleu me promettre d'avoir soin. Ce n'est pas que j'espere rien de cette poursuite [299] en un siecle si plein de considerations humaines, mays au moins empescheray-je la præscription ; et si Dieu nous envoye une sayson plus pieuse, ce sera tous-jours un advantage d'avoir demandé.

            Nos ambassadeurs de deça sont revenus de la diete de Bades, ou ilz pensoyent que l'authorité du Roy et l'entremise des Cantons catholiques auroyent disposé les Bernois a la restitution du païs de Vaux, ou au moins a convenir d'arbitres pour un journee amiable ; mays ilz ont treuvé tout au contraire, car les Bernois n'ont quasi pas voulu entendre la proposition, et nul n'a parlé en nostre faveur. Reste que Son Altesse prenne une bonne et salutaire resolution d'attendre que Dieu face [300] naistre un'occasion propre pour tirer sa rayson. Je suis marri de ce succes a cause de la religion, qui est si peu regardee et favorisee, et j'ay encor mon interest particulier pour 25 ou trente parroisses de ce pais-la, qui sont de mon diocæse.

            Voyla nos nouvelles, et n'est pas besoin que je vous die que je ne desire pas que l'on sache que je les escrive, car aussi ne les escrirois-je pas a un autre qu'a vous, a qui je suis tout extraordinairement,

            Monsieur,

Serviteur tres fidele et tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIIII novembre 1612, a Neci.

            Monsieur, je ne parle plus du deplaysir que j'ay eu de n'aller pas vers vous, mays je ne le puis oublier.

 

            A Monsieur

[Monsieur] des Hayes, Maistre d'hostel du Roy,

Gouverneur et Baillif du chasteau et ville de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Venant, à Lincelles (Nord).

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DCCCXXIV. A la Présidente Favre. Une âme qui va bien. — L'amour de Dieu et la paix. — Les voies du Ciel. — Précaution contre les « babillardz ». — Ce que pensait le Saint des Ursulines et des institutrices chrétiennes. — Les entreprises extraordinaires qui ne sont pas hasardées. — Un monastère de seize bonnes filles, où rien n'abonde ni ne manque. — La pauvre Thiollier

 

Annecy, 18 novembre 1612.

 

            Ma tres chere Seur,

 

            J'ay receu vos deux lettres, toutes douces et de bonnes nouvelles ; car vostre chere ame va bien, puisqu'elle [301] veut bien s'avancer au saint amour de Nostre Seigneur. Faysons bien cela, ma tres chere Fille, car en fin, tout le reste n'est que vanité. Et parce que l'amour ne loge qu'en la paix, soyes tous-jours soigneuse de bien conserver la sainte tranquillité de cœur que je vous recommande si souvent. Que nous sommes bienheureux, ma chere Seur, d'avoir des travaux, des peynes et des ennuis ! car ce sont les voyes du Ciel, pourveu que nous les consacrions a Dieu.

            Je vous renvoye les papiers de devotion, que je treuve bien utiles ; mays si on les imprimoit, je ne voudrois pas que vostre nom y fust descouvert, pour ne point donner lieu aux babillardz d'en parler, et sur tout l'œuvre estant si courte.

            Vous pouves bien, ce me semble, choisir ce bon Pere la pour vostre confesseur, puisqu'aussi bien le Pere Recteur est souvent empesché.

            Nos bonnes Dames de la Visitation font extremement bien, et quand leur logement sera du tout accommodé, elles seront tres bien ou elles sont maintenant. Vostre fille chemine fort devotement et se porte tres bien. La bonne Mere de Chantal est presque guerie et a aujourd'huy esté a la sainte Messe.

            Ce seroit un tres grand bien qu'a Chamberi il y eust des Ursulines et voudrois bien y pouvoir contribuer quelque chose ; car en fin, bonheur a ceux qui nourrissent [302] les enfans pour l'amour, crainte et service de Dieu. Il ne faut que trois filles ou femmes courageuses pour commencer ; Dieu donnera l'accroissement. Nos Dames de la Visitation doivent donner courage d'entreprendre, a celles qui seront tant soit peu disposees. Selon mon jugement, ce n'est pas hazarder que de se confier un peu extraordinairement a Nostre Seigneur es desseins de son service.

            Ma tres chere Seur, ma Fille, aymés tous-jours bien mon ame, qui ayme tant la vostre. Je suis en Nostre Seigneur, tout vostre.

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            18 novembre 1612, a Neci.

            La bonne Thiollier sera, a mon advis, fort consolee en cette Congregation, laquelle se treuvera composee, mercredi prochain, de seize bonnes filles, laissant a part celles qui sont receuës et qui ne peuvent encor [303] venir. Des-ormais on sera en peyne a refuser, et neanmoins il le faudra faire, si ce n'est pour quelque personne qui puisse rendre quelque extraordinaire service a Nostre Seigneur. Et quant aux moyens, rien n'y abonde et rien n'y manque ; Dieu a soin de ses servantes et Nostre Dame les pourvoit. Il vous faut tous-jours dire des nouvelles de cette petite assemblee, laquelle, comme je croy, vous est chere.

            La pauvre Thiollier estoit si empressee, qu'elle oublia le pacquet de la bonne madame d'Aiguebelle, a laquelle partant je ne sçaurois respondre. Je salüe de tout mon cœur ma tres chere niece.

 

            A Madame

Madame la premiere Presidente de Savoye.

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DCCCXXV. A Madame d'Escrilles. Nouvelles de la Mère de Chantal. — Oratoire de la Visitation

 

Annecy, 18 novembre 1612.

 

            Vostre filz sera bien, je m'asseure, chez M. de Genesia. Il sera bon de faire comme vous dites, et [304] envoyer le quart ou le tier de la pension, selon qu'elle se donne aux autres lieux.

            Nostre bonne Mme de Chantal se porte beaucoup mieux, avec un (sic) tres chere souvenance de vous et de vostre dilection. Mercredi nous logerons le Saint Sacrement en l'oratoire de la Visitation, dequoy toutes ces bonnes filles sont grandement en feste.

            Quand vous seres a Saint Joyre je treuveray bien commodité de vous escrire, et, ou que vous soyes, je vous auray tous-jours fort present'en ce peu de prieres que je presente a Nostre Seigneur, que je supplie tenir vostre cœur de sa main et vous combler de son saint amour. Je suis,

            Ma tres chere Fille,

Vostre plus humble tres dedié serviteur,

F., E. de G.

            XVIII novembre 1612.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, à la Maison-Mère des PP. Salésiens

de Don Bosco. [305]

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DCCCXXVI. A la Mère de Chantal (Inédite). Affectueuse gronderie. — La Mère de Chantal au milieu des tracas d'une installation. — Pourquoi doit-elle garder ses forces

 

Annecy, 20 novembre 1612.

 

            Dites moy donq, mais dites en conscience, ma tres chere, comme vous vous portes du tracas que vous fistes hier parmi cette nouvelle mayson. A peu que je ne fus scandalisé, ou au moins fasché ; car, quell'apparence, au sortir de tant de foiblesses, s'aller travailler et rompre parmi cette fabrique ? Neanmoins, j'attens de sçavoir comme cett'exercice vous sera reusci, car selon cela, ou je me courrouceray en qualité de pere, ou je dissimuleray la faute en qualité de filz. Et ce pendant, vous sçaves bien que vous ne deves pas jeuner aujourdhuy, car nostre glorieuse Reyne et Maistresse a besoin de ce peu de forces qui vous restent pour d'autres services qu'elle veut des-ormais tirer de vous.

            Or sus, bon jour, ma tres chere Mere ; demeures non seulement en paix, mais en repos. Dieu soit a jamais l'unique praetention de nostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Giraud, Aumônier du Noviciat des Frères des Ecoles chrétiennes, à Moulins. [306]

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DCCCXXVII. A Madame de la Fléchère. Les bancs des femmes dans les chœurs des églises. — Elles peuvent toutefois y entrer. — Nouvelles de la Mère de Chantal et de la Congrégation. — Pourquoi il est mieux d'avoir moins.

 

Annecy, 22 novembre 1612.

 

            Il est vray que nous fismes un decret, il y a environ trois [ans], ma tres chere Fille, que tant qu'on pourroit, on osteroit les bancs a femmes des chœurs de toutes les eglises, parce que cela est juste, bien seant et conforme aux anciennes coustumes des chrestiens. Mais il ne fut pas dit, ni ne le devoit estre, que les femmes n'entrassent pas au chœur ; car, pour plusieurs occasions, il est raysonnable qu'elles y entrent, pourveu que ce soit avec la modestie que la sainteté du lieu requiert. Prenés donq discrettement la place, pour vos prieres, qui vous sera plus propre, pourveu que ce soit sans banc ; car je ne voudrois pas que vostre banc fust aupres de l'autel, a cause [de] la messeance. Vous sçaves bien qu'en cette ville et en nostre Office le plus solemnel, les femmes se mettent bien dans le chœur et aux treilles.

            La bonne madame de Chantal se va remettant, mais fort foiblement ; elle fut hier a la Messe et a l'exhortation. Ell'a un cœur admirable envers Dieu et vous [307] cherit parfaitement. La petite Congregation va croissant, ce me semble, en vertu comm'en nombre des filles.

            Nous avons accommodé les differences du cher mari et du beaupere au mieux que nous avons sceu. Il est mieux d'avoir moins et de l'avoir en paix.

            Dieu vous benisse, ma tres chere Fille, et je suis en luy,

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCXXVIII. A la Présidente Favre (Inédite). Les Ursulines et les petites filles de Chambéry. — Un défaut de l'éducation maternelle, assez fréquent, d'après le Saint

 

Annecy, 28 novembre 1612.

 

            Ma tres chere Seur,

 

            Je vous salue mille fois de tout mon cœur, et prie Dieu que le vostre soit a jamais rempli de paix, douceur et devotion. Faites moy le bien de m'advertir, je vous supplie, quand Mme d'Alufen sera arrivee a Chamberi, [308] et encor si l'envie que le bon Pere Thimothee a d'introduire a Chamberi l'Institut des Urselines pourra reuscir. Ce seroit sans doute un grand bien pour ces pauvres petites filles, qui souvent, sous les caresses de leurs meres, aprenent beaucoup de vanités qui croissent avec elles et plus qu'elles.

            Hier, monsieur le Comte de Saint Alban et madame la Contesse sa femme passerent icy, mays nous n'eusmes pas le bien de les voir.

            Dieu vous benisse de sa grande benediction, ma tres chere Seur, ma Fille, et je suis a jamais

Vostre plus humble tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII novembre 1612, a Neci.

            Je salue tres cherement ma bonne niece, que j'aime et honnore de tout mon cœur.

 

            A Madame

Madame la premiere Presidente de Savoye.

 

Revu sur une photographie de l'Autographe appartenant à M. comte d'Yrsch, à Freiharn, près Munich (Haute-Bavière). [309]

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DCCCXXIX. A M. Claude de Neuvecelle. Recommandation réitérée en faveur d'une pauvre fille.

 

Annecy, 28 novembre 1612.

 

            Monsieur,

 

            La pauvre fille pour laquelle je vous parlay et vous me promistes quelque secours, se plaint a moy dequoy elle ne reçoit aucun fruit de mon intercession, ni de la bonne volonté qu'alors il vous pleut me tesmoigner. Ayes aggreable sur cela, je vous prie, Monsieur, que je vous en donne souvenance, et vous die que Dieu vous recompensera de tout ce que vous feres pour cette sienne pauvre creature, bien que ce soit par rayson d'equité et de vray devoir. Je m'asseure que vostre charité et bon naturel vous solliciteront assés, sans que personne s'y employe davantage.

            C'est pourquoy je me contenteray de vous l'aves (sic) rememoré, en vous conjurant de m'aymer tous-jours, puis que vous souhaitant toute sorte de bonheur, et mesme en vostre digne mariage dont on m'a donné la nouvelle ces jours passés, je demeureray,

            Monsieur,

Vostre bien humble affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII novembre 1612, a Neci.

 

            A Monsieur

Monsieur de Noveselle.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Favet, à Nice. [310]

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DCCCXXX. A la Mère de Chantal. Comment recevoir les remèdes imposés par l'obéissance et la raison. — Les croix qui répugnent aux sens et à la nature. — Dans la maladie, la Mère de Chantal doit être « brebis » et « colombe »

 

Annecy, 30 novembre 1612.

 

            Je vous asseure, ma tres chere Mere, ma Fille, que je voudrois bien porter en mon cors et en mon cœur toutes les peynes que vous aures parmi vos remedes ; mais ne pouvant ainsy vous en descharger, embrassés saintement ces petites mortifications, recevés ces abjections en esprit de resignation, et, s'il se peut, d'indifference. Accommodés vostre imagination a la rayson, vostre naturel a l'entendement, et aymés cette volonté de Dieu en ces sujetz d'eux mesmes desaggreables, comme si elle estoit en des sujetz les plus aggreables. Vous ne recevés pas vos remedes par vostre eslection ni par sensualité ; c'est donq par obeissance et par rayson : y a-il rien de si aggreable au Sauveur ?

            Mais il y a de l'abjection. Et saint André et tant de Saintz ont souffert la nudité par maniere de croix. O petite croix, tu es aymable, puisque ni les sens ni la nature net'ayment point, ains la seule rayson superieure.

            Ma tres chere Mere, mon cœur saluë le vostre finalement et plus que filialement, au dessus de toute comparayson. Soyés une petite brebis, une petite colombe, toute simple, douce et aymable, et sans replique ni retour. Dieu vous benisse, ma tres chere Mere ; qu'a jamais nostre cœur soit en luy et a luy. N'occupés pas vostre esprit [311] es affaires, et recevés humblement et amiablement les petitz traittemens que vostre infirmité requiert.

            Vive Jesus et Marie ! Je suis celuy que ce mesme Jesus a rendu vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCXXXI. A la même. Une auditrice que François de Sales a vue au sermon ; pourquoi il n'a pas osé l'aborder. — Un sermon « fait hardiment et passionnement. » — Le dixième anniversaire d'un sacre. — Prédicateurs de l'Avent

 

Annecy, 9 décembre 1612.

 

            J'ay bien veu au sermon nostre bienaymee fille Françoise, mais je n'ay pas osé luy demander comme ma tres chere Mere se portoit ; car il y avoit trop de gens qui m'eussent oüy, et eussent esté en peyne de curiosité pour sçavoir quell'estoit cette tres chere Mere, autre que Dieu et ses Anges et ses Saintz, et nostre cœur, ne sachant combien l'affection qui me rend pere, filz et une mesm'ame avec vous, est suffisante et plus que suffisante pour faire cela.

            Je donne donq la charge a ce petit billet de vous demander de vostre santé, et a nostre chere petite fille de vous redire quelque chose du sermon, lequel j'ay fait hardiment et passionnement. Et entr'autres choses, ayant differé hier de parler de mon sacre, a cause qu'aujourduy j'aurois plus de gens, j'ay dit quil y avoit dis ans que j'avois esté consacré, c'est a dire que Dieu m'avoit osté a moymesme pour [me] prendre a luy et puis me donner au peuple ; c'est a dire, quil m'avoit converti [312] de ce que [j'étais] pour moy en ce que je fusse pour eux. Mays pour ce qui nous regarde, vous sçaves que Dieu m'a osté a moy mesme, non pas pour me donner a vous, mais pour me rendre vous mesme. Ainsy puisse-il advenir, qu'ostés a nous mesme, nous soyons convertis en luy mesme par la souveraine perfection de son saint amour. Amen.

            Bon soir, ma tres chere Mere, et plus que Mere ; le bonsoir a nos filles.

            Non, ce n'est pas le P. Archange du Tillet, c'est le P. Constantin de Chamberi qui sera nostre prædicateur le reste de cet Advent, et moy je seray souvent celuy de nos cheres Seurs, car ce n'est pas souvent, soit tous-jours, que je suis le vostre.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 2d Monastère de la Visitation de Rouen.

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DCCCXXXII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe. Un voyage en Bourgogne empêché par un voyage à Turin. — Pour s'avancer dans l'amour de Dieu, une jambe infirme est meilleure que l'autre

 

Annecy, 18 décembre 1612.

 

            Sans doute, ma tres chere Seur, que je ne passeray jamais en Bourgoigne sans aller voir vostre ame bien-aymee, qui est tous-jours presente a la mienne ; mais je ne suis pas prest pour aller en ces quartiers la. Il faut que je me treuve a Turin pour le saint Caresme. [313] Monsieur [de Sauzea] m'escrit que vostre Mayson s'avance fort a la pieté, dont je me res-jouis selon la mesure avec laquelle je vous souhaitte toute sainteté.

            Hier je receus vostre billet, et j'y respons hastivement ce matin. Mais je ne sçai nulles nouvelles de vostre santé, c'est a dire de l'estat de vostre pauvre jambe, de laquelle vous ne me faites nulle mention, non plus que si vous n'esties pas ma chere Fille, et que cette jambe ne fust pas la meilleure des deux pour vous avancer en la perfection de l'amour divin. Et vous sçavés, ma tres chere Fille, que je vous ay tous-jours dit que vous m'escrivissies plus amplement par l'entremise de madame la Presidente, qui aura bien le soin de m'envoyer vos lettres, comme aussi de vous faire tenir les miennes.

            M. l'Abbé de Saint Maurice ne donne pas la survivance pour le prieuré de Semur, ne le pouvant pas faire ; mais en toute occurrence de vacance, je feray tout ce qui me sera possible pour monsieur vostre frere.

            Je suis plus que jamais, ma tres chere Fille, d'un cœur invariable,

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            18 decembre 1612, a Neci. [314]

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DCCCXXXIII. A Madame de Peyzieu. A propos du dernier et du premier jour de l'an. — Souhaits de piété. — Exhortation à la douceur et humilité. — Le saint nom de Jésus et « l'odeur de son parfum »

 

Annecy, décembre [1612.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Nous voyci maintenant a la fin de l'annee, et demain, au commencement, de la suivante. Faut-il pas louer Dieu de tant de graces que nous avons receuës, et le supplier de respandre le sang de sa Circoncision sur l'entree de l'annee prochaine, affin que l'Ange exterminateur n'ayt point d'acces en icelle sur nous ? Ainsy soit il, ma chere Mere, et que, par ces annees passageres, nous puissions heureusement arriver a l'annee permanente de la tres sainte eternité.

            Employons donq bien ces petitz momens perissables a nous exercer en la sacree douceur et humilité que l'Enfant circoncis nous vient apprendre, affin que nous ayons part aux effectz de son divin nom, lequel je ne cesse point d'invoquer sur vostre chere ame, ma tres chere et tres bonne Mere, a ce qu'il la remplisse de l'odeur de son parfum, et, avec elle, celles de tous les vostres.

            Je suis, toutes les annees de ma vie,

Vostre bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve. [315]

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DCCCXXXIV. A la Reine Mère, Marie de Medicis (Minute). Requête en faveur des catholiques de Gex, pour obtenir en leur ville le rétablissement d'un ancien monastère de Carmes

 

[1612.]

 

            Madame,

 

            Les Catholiques de Gex, qui ne peuvent respirer qu'en l'air de vostre royale faveur, sçachans qu'en leur ville il y avoit jadis un monastere de Carmes, lequel estant restabli rendroit beaucoup de bons effectz pour l'accroissement de la foy, ilz supplient tres humblement Vostre [316] Majesté d'aggreer les poursuites qu'ilz en font et de les faire reuscir selon le saint zele dont elle est animee. Et je joins ma tres humble supplication a la leur, avec mille souhaitz qu'il playse a Nostre Seigneur combler de ses graces et benedictions Vostre Majesté, de laquelle je suis sans fin,

            Madame,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele serviteur et orateur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCXXXV. A la Mère de Chantal (Inédite). Une mère alarmée. — Avis charitable donné à un visiteur inopiné

 

Annecy, [1612.]

 

            Je ne sçai comme j'ay laissé aller M. Colom sans vous prevenir, affin que vous ne receussies point d'alarme. Mays, ma tres chere Mere, je pensois que le desir de sçavoir vostre Celse Benine Feüillens, vous osteroit toute autr'apprehension, mesmement si vous voyies M. Colom arriver avec un visage joyeux, comme je l'en avois averti.

            Or sus, bonjour, ma tres chere Mere, que je supplie [317] Dieu benir eternellement de ses plus cheres faveurs. Il vous faut laisser entretenir pour le present avec vos lettres, avec vos nouvelles et avec la santé si bien revenue au filz.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Aguas, de l'église nationale des Espagnols de Montserrat, à Rome.

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DCCCXXXVI. A une dame (Fragment inédit). La dévotion et la maladie. — En quoiconsiste et ne consiste pas l'amour divin

 

[1612.]

 

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            Or sus, il faut estre comme Dieu dispose que nous soyons et, comme saint Paul, prendre force en l'infirmité. Helas ! donq, il n'est pas vray que vostre devotion soit malade quand vous l'estes. Non certes, ma tres chere Fille, mais vous n'en sentes pas la consolation si souvent, et ne pouves pas faire les actions exterieures ; en quoy ne consiste pas l'amour divin, mais en la resolution du cœur, qui veut a jamais et inseparablement demeurer uni de toutes partz a la volonté divine.

            Ces petitz accidens… ne sont tous-jours rien, et ne s'en faut nullement estonner…

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Madrid. [318]

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DCCCXXXVII. A Madame de la Fléchère. Les solides consolations. — La crainte et l'amour devant Dieu. — L'émondage spirituel. — Condition d'une parfaite retraite

 

[1610-1612.]

 

            Il est certes vray, ma chere Fille, vos consolations me consolent grandement, mais sur tout quand elles sont fondees sur une si ferme pierre comme est celle de l'exercice de la presence de Dieu. Cheminés donq tous-jours ainsy aupres de Dieu, car son ombre est plus salutaire que le soleil.

            Ce n'est pas mal fait de trembler quelquefois devant Celuy en la presence duquel les Anges mesmes tremoussent quand ilz le regardent en sa majesté ; a la charge toutefois que le saint amour, qui predomine en toutes ses œuvres, tienne aussi tous-jours le dessus, le commencement et la fin de vos considerations.

            Voyla donq qui va fort bien, puisque ces petitz esclairs de vostre esprit ne font plus leurs saillies si soudaines, et que vostre cœur est un peu plus doux. Soyés tous-jours fidele a Dieu et a vostre ame. Corrigés-vous tous-jours de quelque chose ; mais ne faites pas ce bon office par force, ains taschés d'y prendre playsir, comme font les amateurs des exercices champestres a esmonder les arbres de leurs vergers.

            Nostre Seigneur sans doute suppleera a tout ce qui [319] vous defaudra d'ailleurs, affin que vous puissiés faire une plus parfaite retraitte aupres de luy, pourveu que ce soit luy que vous aymiés, que vous cherchiés, que vous suiviés. Aussi faites vous, je le sçai, ma Fille ; mais faites le donq bien tous-jours, et me recommandés a sa misericorde, puisque de tout mon cœur je suis

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCXXXVIII. A la Mère de Chantal. L'oraison de la Mère de Chantal trouvée bonne par le Saint et agréable à Dieu. — Pourquoi et comment doit-elle se garder des fortes applications de l'entendement. — Se tenir en la présence de Dieu et s'y mettre : deux choses différentes. — Allégorie de la statue dans sa niche. — Marie-Madeleine. — Bonheur de vouloir aimer Notre-Seigneur. — Le sommeil empêche-t-il de se tenir en la présence de Dieu ?

 

[1611-1612.]

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vostre façon d'orayson est bonne ; soyés seulement bien fidelle a demeurer aupres de Dieu en cette douce et tranquille attention de cœur, et en ce doux endormissement entre les bras de sa providence, et en ce doux acquiescement a sa sainte volonté, car tout cela luy est aggreable. [320]

            Gardés vous des fortes applications de l'entendement, puis qu'elles vous nuisent, non seulement au reste, mais a l'orayson mesme, et travaillés autour de vostre cher objet avec les affections tout simplement, et le plus doucement que vous pourres. Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction ; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté.

            Se tenir en la presence de Dieu et se mettre en la presence de Dieu, ce sont, a mon advis, deux choses ; car pour s'y mettre, il faut revoquer son ame de tout autre objet et la rendre attentive a cette presence actuellement, ainsy que je dis dans le livre. Mais apres qu'on s'y est mis, on s'y tient tous-jours, tandis que, ou par l'entendement, ou par la volonté, on fait des actes envers Dieu, soit le regardant, ou regardant quelqu'autre chose pour l'amour de luy ; ou ne regardant rien, mais luy parlant ; ou ne le regardant ni parlant a luy, mais simplement demeurant ou il nous a mis, comme une statue dans sa niche. Et quand, a cette simple demeure, se joint quelque sentiment que nous sommes a Dieu et qu'il est nostre Tout, nous en devons bien rendre graces a sa Bonté.

            Si une statue que l'on auroit mise en une niche au milieu d'une salle, avoit du discours et qu'on luy demandast : Pourquoy es tu la ? Parce, diroit-elle, que le statuaire mon maistre m'a mis icy. Pourquoy ne te remues tu point ? Parce qu'il veut que j'y demeure immobile. Dequoy sers tu la ? quel proffit te revient il d'estre ainsy ? [321] Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre. Mais tu ne le vois pas. Non, dira-elle, mais il me voit et prend playsir que je sois ou il m'a mis. Mais ne voudrois tu pas bien avoir du mouvement pour aller plus pres de luy ? Non pas, sinon qu'il me le commandast. Ne desires tu donq rien ? Non, car je suis ou mon maistre m'a mis, et son gré est l'unique contentement de mon estre.

            Mon Dieu, chere Fille, que c'est une bonne orayson et que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu, que de se tenir en sa volonté et en son bon playsir ! Il m'est advis que Magdeleine estoit une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer, et peut estre sans le regarder, elle escoutoit ce que Nostre Seigneur disoit, assise a ses pieds. Quand il parloit, elle escoutoit ; quand il entrelaissoit de parler, elle cessoit d'escouter, et cependant elle estoit tous-jours la. Un petit enfant qui est sur le sein de sa mere dormante, est vrayement en sa bonne et desirable place, bien qu'elle ne luy die mot, ni luy a elle.

            Mon Dieu, ma Fille, que je suis ayse de parler un peu de ces choses avec vous ! Que nous sommes heureux, quand nous voulons aymer Nostre Seigneur ! Aymons le bien donq, ma Fille ; ne nous mettons point a considerer trop par le menu ce que nous faysons pour son amour, pourveu que nous sachions que nous ne voulons jamais rien faire que pour son amour. Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veuë, a son gré et par sa volonté, et il nous met la sur le lit, comme des statues dans une niche ; et quand nous nous esveillons, nous treuvons qu'il est la aupres de nous, il n'en a point bougé, ni nous aussi : nous nous sommes donq tenus en sa presence, mais les yeux fermés et clos.

            Or, voyla qu'on me presse. Bon soir, ma chere [322] Seur, ma Fille, vous aures de mes nouvelles le plus souvent que je pourray. Croyés que la premiere parole que je vous escrivis fut bien veritable, que Dieu m'avoit donné a vous ; les sentimens en sont tous les jours plus grans en mon ame. Ce grand Dieu soit a jamais nostre Tout.

            Je salue ma chere petite fille ma seur, et toute la mayson. Tenés ferme, chere Fille, ne doutés point ; Dieu nous tient de sa main et ne nous abandonnera jamais. Gloire luy soit es siecles des siecles. Amen.

            Vive Jesus et sa tres sainte Mere ! Amen. Et loué soit le bon Pere saint Joseph ! Dieu vous benisse de mille benedictions.

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DCCCXXXIX. A la même. D'où vient l'amertume spirituelle. — Jésus-Christ est un Dieu de douceur

 

Annecy, [1611-1612.]

 

            Bon soir, ma tres cherement unique Fille. Tenés bien Jesus Christ crucifié entre vos bras, car l'Espouse l'y tenoit comme un bouquet de myrrhe, c'est a dire d'amertume ; mais, ma tres chere Fille, ce n'est pas luy qui nous est amer, c'est luy seulement qui permet que nous, nous soyons amers a nous mesmes. Voyci, dit Ezechias, que neanmoins, emmi mes travaux, ma tres amere amertume est en paix. O le Dieu de douceur veuille addoucir vostre cœur, ou au moins faire que vostre amertume soit en paix. [323]

            Cette bonne Religieuse desire vous communiquer un peu au large son cœur, mais elle dit qu'elle ne sçait comme faire ; il faudra donq l'ayder, et luy pourres dire que je vous l'ay dit.

            Dieu soit beni. Amen.

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DCCCXL. A la même (Fragment). La parole de Dieu et comment il faut la recevoir des uns et des autres

 

Annecy, [1611-1612.]

 

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            J'oubliay hier de vous reprendre dequoy vous ne recevies pas en simplicité la parole de Dieu, ains avies des aversions qui vous la rendoyent moins suave des uns que des autres. Oh ! l'humilité et douceur de l'amour de l'Espoux fait demeurer les espouses humblement et doucement attentives a recevoir sa sainte parole.

            Vive Jesus, ma tres chere Mere, en tout ce que nous sommes, selon l'unité qu'il a fait de nous.

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DCCCXLI. A Madame de la Fléchère. La tristesse des séparations. — Pleurons un peu, non toutefois beaucoup, « nos chers trespassés. » — Les âmes chrétiennes doivent supporter doucement la perte des parents. — L'oraison et la variété des affections qui viennent t'y mêler. — Particulariser les résolutions. — Le langage des yeux.

 

Annecy, [1611-mars 1613.]

 

            Or sus, ma tres chere Fille, on me vient de dire que la chere seur est partie, nous laissant encor icy bas avec les passions ordinaires de la tristesse qui a accoustumé d'attaquer les demeurans en telles separations. O Dieu ! je n'ay garde, ma tres chere Fille, de vous dire : Ne pleurés pas. Non, car il est bien juste et raysonnable que vous pleuries un peu ; mais un peu, ma chere Fille, en tesmoignage de la sincere affection que vous luy porties, a l'imitation de nostre cher Maistre qui pleura bien un peu sur son amy le Lazare, et non pas toutefois beaucoup, comme font ceux qui, colloquans toutes leurs pensees aux momens de cette miserable vie, ne se resouviennent pas que nous allons aussi a l'eternité, ou, si nous vivons bien en ce monde, nous nous reunirons a nos chers trespassés pour ne jamais les quitter. Nous ne sçaurions empescher nostre pauvre cœur de ressentir la condition de cette vie et la perte de ceux qui estoyent nos delicieux compaignons en icelle ; mais il ne faut pourtant pas desmentir la solemnelle profession que [325] nous avons faitte de joindre inseparablement nostre volonté a celle de nostre Dieu.

            Qu'elle est heureuse, cette chere seur, d'avoir veu venir petit a petit et de loin cette heure de son despart, car ainsy elle s'est preparee pour le faire saintement. Adorons cette Providence divine et disons : Ouy, vous estes benite, car tout ce qui vous plaist est bon. Mon Dieu, ma tres chere Fille, que ces petitz accidens doivent estre receus doucement de nos cœurs ! nos cœurs, dis-je, qui meshuy doivent avoir plus d'affection au Ciel qu'en la terre. Je prieray Dieu pour cette ame et pour la consolation des siens.

            Ne vous mettes pas en peyne de vostre orayson ni de cette varieté de desirs qui vous viennent, car la varieté des affections n'est pas mauvaise, ni le desir de plusieurs vertus distinctes. Pour vos resolutions, vous les pouves bien particulariser en cette sorte : Je veux donq plus fidellement prattiquer les vertus qui me sont necessaires ; comme, en telle occasion qui se presente, je me prepare a prattiquer telle vertu ; et ainsy des autres. Il n'est pas besoin d'user de paroles mesme interieures ; il suffit d'eslancer son cœur ou de le reposer sur Nostre Seigneur. Il suffit de regarder amoureusement ce divin Amoureux de nos ames, car entre les amans, les yeux parlent mieux que la langue.

            Je vous escris sans loysir et en la presence du laquay. Bon soir donq, ma tres chere Fille ; fondés et versés le trespas de la seur en celuy du Sauveur, ne regardés point cette mort de la seur qu'en celle du Redempteur. Qu'a jamais sa volonté soit glorifiee. Amen. Vive Jesus !

Vostre humble serviteur et compere,

FRANÇS, E. de Geneve. [326]

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DCCCXLII. A la Mère de Chantal. Un visiteur annoncé. — Pourquoi il faut lui faire un accueil dévotement agréable. — Personne ne se repentira d'avoir aidé la Visitation

 

Annecy, mai 1612-février 1613.

 

            Dieu vous comble de son saint amour, ma tres chere Fille, ma Mere. Hier Mme la Presidente me dit que M. Berthelot vous vouloit aller voir avec elle, et croy que ce sera aujourdhuy. Or, ainsy qu'elle me parla, il a [327] tout plein de bonne volonté pour nostre Congregation ; c'est pourquoy il le faut recevoir avec un accueil saintement et devotement aggreable et aggreablement devot et saint, et luy tesmoigner que des-ja la Congregation a beaucoup d'obligation a Monseigneur de* Nemours (quil faut nommer Monsieur tout court), a cause de la bonne volonté quil a eu, tant pour les laouds de ce que vous acheteries de son fief, que pour le four ; et que puis quil a pleu a Dieu de donner commencement a cette petite Congregation dans sa ville principale, vous voules avoir une speciale devotion pour son salut et prosperité, et le tenir comme special protecteur. Qu'il ne se pourra qu'en plusieurs occasions vous n'ayes besoin de ses graces et faveurs, et que vous pries ledit sieur Berthelot de vous y vouloir assister de sa charité et intercession. Que la Congregation s'essayera de fair'en sorte que personne n'aura du repentir de l'avoir aydee ; et semblables petites choses.

            Ledit sieur Berthelot est un jeun'homme fort eveillé ; mais il ne faut pas laisser de le traitter devotement et de l'entretenir selon le loysir que vous en aures. Il dit que luy mesme contribuera, si M. de la Bretonniere se peut resoudre de faire nostre chapelle.

            Bonjour, ma tres chere Fille ; pour ce jourdhuy je n'iray pas vers vous, voulant laisser le loysir a cet (sic) autre visite. Dites moy si vous vistes hier Mme de Mirebel ; je pense l'aller voir aujourdhui.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [328]

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DCCCXLIII. Au duc de Bellegarde (Minute inédite). Gratitude et humilité du Saint.

 

Annecy, [fin 1612-mars 1613.]

 

            Monsieur,

 

            Lhonneur qu'il vous a pleu de me faire en m'escrivant, m'estonne egalement par sa grandeur et me ravit par sa douceur. Je l'appellerois excessif, si je considerois seulement l'indignité de celuy qui le reçoit ; mais je voy bien que la source d'ou il procede, Monsieur, ne permet pas que l'on puisse nommer ainsy cette faveur, quoy qu'elle excelle au dessus de toutes autres, puis que vous me favorisés selon ce que vous estes, Monsieur, et non selon ce que je suis, qui certes ne suis rien, sinon en l'affection avec laquelle je revere Vostre Grandeur, pour la prosperité de laquelle je respans plusieurs bons souhaitz devant ce grand Dieu du Ciel, qui gratifie volontier les grans de la terre qui gratifient les petitz [329] et qui leur sont doux, gracieux et favorables ainsy que vous m'estes, Monsieur, et que je vous supplie de m'estre tous-jours, me regardant comme

Vostre tres obligé, tres affectionné

et tres obeissant serviteur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Defrance, à Villers-devant-Orval (Belgique).

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DCCCXLIV. A la Mère de Chantal. Lumières et sentiments que recevait le Saint pour écrire le Traitté de l'Amour de Dieu

 

Annecy, [1612-1613.]

 

            Ma chere Fille,

 

            Benissés Dieu du loysir qu'il me donne ces deux jours pour faire un peu d'orayson extraordinaire ; car vrayement sa Bonté a respandu dans mon esprit tant de lumieres et dans mon pauvre cœur tant d'affection pour escrire en nostre cher livre du saint amour, que je ne sçay ou je prendray des paroles pour exprimer ce que j'ay conceu, si le mesme Dieu qui m'a fait concevoir ne me fait enfanter.

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation. [330]

 

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Année 1613

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DCCCXLV. A Madame de Travernay. Attitude de l'esprit humain en face des évènements. — Considérations sur une mort prématurée. — Notre-Seigneur meilleur juge que nous de nos intérêts. — Consolations à la mère de l'enfant devenu un «brave petit saint»

 

Annecy, 3 janvier 1613.

 

            Je vous asseure, ma tres chere Fille, que vostre affliction m'a touché vivement, ne doutant point qu'elle ne vous ayt esté fort rude, d'autant que vostr'esprit, comme celuy du reste des hommes, ne voyant pas la fin et intention pour laquelle les choses arrivent, il ne les reçoit pas en la façon qu'elles sont, mais en la façon quil les sent.

            Voyla, ma chere Fille, que vostre filz est en asseurance, il possede le salut eternel ; le voyla eschappé et garanti du hazard de se perdre, auquel nous voyons tant de personnes. Dites moy, je vous supplie, ne pouvoit-il pas devenir avec l'aage fort desbauché ? Ne pouvies vous pas recevoir beaucoup de desplaysir de luy a l'advenir, comme tant d'autres meres en reçoivent des leurs ? car, ma chere Fille, on en reçoit souvent de ceux desquelz on en attend le moins. Et voyla que Dieu l'a retiré de tous ses (sic) perilz, et luy a fait recueillir le triomphe sans battaille et moyssonner les fruitz de la gloire sans labeur. A vostr'advis, ma chere Fille, vos vœuz et vos devotions ne sont ilz pas bien recompensés ? Vous les faysies pour luy, mais affin quil demeurast icy [331] avec vous, en cette vallee de miseres ; Nostre Seigneur, qui entend mieux ce qui est [bon] pour nous que nous mesme, a exaucé vos prieres en faveur de l'enfant pour lequel vous les faysies, mais au despens des contentemens temporelz que vous en prætendiés.

            En verité, j'appreuve bien la confession que vous faites, que c'est pour vos pechés que cest enfant s'en est allé, par ce qu'elle procede d'humilité ; mais je ne croy pas pourtant qu'elle soit fondee en verité. Non, ma chere Fille, ce n'est pas pour vous chatier, c'est pour favoriser cet enfant que Dieu l'a sauvé de bonn'heure. Vous aves de la douleur de cette mort, mais l'enfant en a un grand prouffit ; vous en aves receu du desplaysir temporel, et l'enfant un playsir eternel. A la fin de nos jours, lhors que nos yeux seront desillés, nous verrons que cette vie est si peu de chose quil ne failloit pas regretter ceux qui la perdoyent bien tost : la plus courte est la meilleure, pourveu qu'elle nous conduise a l'eternelle.

            Or sus, voyla donq vostre petit enfant au Ciel, avec les Anges et les saintz Innocens ; il vous sçait gré du soin que vous avés eu de luy ce peu de tems quil a esté en vostre charge, et sur tout des devotions faites pour luy. En contrechange, il prie Dieu pour vous et respand mille souhaitz sur vostre vie, affin qu'elle soit de plus en plus conforme a la volonté celeste, et que par icelle vous puissies gaigner celle dont il jouit. Demeures en paix, ma chere Fille, et tenes bien vostre cœur au Ciel, ou vous aves ce brave petit saint ; perseveres a vouloir tous-jours plus fidelement aymer la bonté souveraine du Sauveur, et je le prie quil soit a jâmais vostre consolation.

            Je salue de tout mon cœur ma chere petite fileule bienaymee ; mon ame luy souhaite mille benedictions. [332] Mme de Chantal se porte mieux, et ne doute point qu'elle ne vous escrivit si ell'estoit avertie. Je suis sans fin,

Vostre plus humble, tres affectionné et fidele compere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            3 janvier 1613.

 

            A Madame

Madame de Treverney.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

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DCCCXLVI. A la Mère de Chantal. Le cœur de l'Evêque de Genève. — Un projet de Congrégation. — Le Traitté de l'Amour de Dieu. — Nouvelle de la mort tragique du baron de Lux : compassion du Saint

 

Annecy, vers le 10 janvier 1613.

 

            Ma tres chere Mere, ma Fille,

 

            Je vous veux un peu donner le bon jour pour contenter mon cœur partout ; car encor le faut-il aymer, ce pauvre cœur, puisque, tout infirme quil est, il veut aymer son Dieu de toute l'estendue de ses forces, en sincerité et pureté.

            Or je desire, mais je n'ose me promettre que je vous aille voir aujourdhuy. Entr'autres causes de ma defiance, c'est que voyci arriver M. l'Aumosnier de Belleville, [333] qui est celuy qui m'a escrit pour Mme des Gouffier, et la rayson veut, que venant expres pour me voir, je luy en donne le plus de commodité que je peurray. Je croy quil vous ira voir aussi, et je desire que ce soit a sa consolation et edification, mesme quil a quelque sorte d'inclination a vouloir estre de nostre future Congregation, si Dieu nous fait la grace que nous l'erigions. [334] Il voudra aussi peut estre voir nostre fille Bellod, par ce quil est beaufrere de M. l'esleu Bellod.

            J'ay des-ja travaillé deux heures en l'Amour de Dieu. Mays faut il pas que je vous die le desplaysir que j'eu hier de la nouvelle de la mort de nostre monsieur le baron de Lux, tué, comme l'on dit, d'un coup de pistolet [335] par le chevalier de Guyse. La nouvelle est un peu suspecte pour venir de Geneve ; neanmoins, ainsy comme on l'asseure, j'ay grande opinion qu'elle soit veritable. Helas ! que je le plains sil est mort ainsy, car autrement, la mort est trop commune et trop necessaire pour s'en estonner extraordinairement.

            Ma tres chere Fille, ma tres bonne Mere, Dieu vous comble de ses plus sacrees benedictions en tout vostre cœur, en toute vostre vie. Ne me respondes que ce soir, mais dites a M. Michel comme vous vous portes.

            Vive Jesus !

 

Revu sur l'Autographe appartenant au R. P. Houet, supérieur de l'Oratoire de Rennes. [336]

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DCCCXLVII. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex (Inédite). Pouvoirs donnés à un curé ; avis et recommandations diverses

 

Annecy, 16 janvier 1613.

 

            Monsieur le Curé,

 

            Vous pourres donques celebrer le mariage entre ce Claude Pietrequin et la fille de la Croix blanche, puis que monsieur de Siccard, qui vaut cent tesmoins, asseure quiilny a rien du costé dudit Pietrequin qui empesche, et que d'ailleurs la chose presse du costé de la fille.

            Je ne suis pas d'advis que vous advertissies si tost le commis a Thueri, jusques a ce quil ayt rendu du [337] service a peu pres de l'argent quil a receu, car il n'a point quitté ces (sic) partis praecedens et tumbera tous-jours sur ses pieds ; de sorte quil suffira de l'advertir quand on sera prest d'en colloquer un autre. Voyés ce qui sera requis estre fait pour celuy qui sert a Chalex, et moy j'appreuveray vostre advis.

            Mon cousin Chaudens m'oblige fort, et tascheray de m'en revancher. Monsieur le baillif m'ouvre un moyen pour eviter le bruit qui pourroit naistre pour la chapelle, qui est de sursoyr a tout jusques a retour [338] du P. François. Qui a tems, a vie ; mais il faudroit que monsieur de Livron voulut donner ce loysir a l'affaire : a quoy le P. Michel Ange et vous, pourres le disposer. Nous attendrons les nouvelles apportees par le sieur de Farnex, et cependant espererons qu'elles sont bonnes, puisquil n'est pas empressé de les delivrer.

            Je me recommande a vos prieres, estant,

            Monsieur le Curé,

Vostre humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI janvier 1613.

            Je vous prie, par la premiere commodité, de m'advertir [339] quand nous pourrons loger un curé a Sacconex, c'est a dire quand nous aurons les moyens.

 

            A Monsr

Monsr le Curé de Gex.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Defrance, à Villers-devant-Orval (Belgique).

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DCCCXLVIII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Assurance de dévouement. — Souhaits et bénédictions

 

Annecy, 23 janvier 1613.

 

            Monsieur,

 

            Je feray tout ainsy que vous le desires et ne treuverés non plus en autre occasion, quelle qu'elle soit, aucune replique en ce quil vous plaira me marquer pour vostre service et contentement, selon l'estendue de mon pouvoir. Dieu vous conserve, Monsieur, et respande beaucoup de benedictions sur vous, sur madame vostre femme, sur mesdames vos filles, mais en ce tems icy [340] particuliement sur madamoyselle la future et sur le seigneur dom Sanche.

            Je suis, Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII janvier 1613, a Neci.

 

            A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M, de Charentenay, à Dijon.

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DCCCXLIX. A M. Jean de Chatillon. Recommandation en faveur d'un nouveau converti digne d'assistance

 

Annecy, 24 janvier 1613.

 

            Monsieur,

 

            Nous avons icy le sieur Nicolas Bertolonio, que nostre Chapitre a aucunement appointé pour l'ayder a [341] vivre en servant au chœur. Mays il auroit necessité, de plus, de quelqu'assistance pour meubler sa chambre, et prætend que la Sainte Mayson, selon son institut et la charité qui y regne, l'aydera volontier de quelque chose pour cela. Or, il m'a prié d'attester envers vous et, par vostre entremise, envers Monseigneur l'Archevesque et le Conseil de la Sainte Mayson qu'il merite ayde et secours ; ce que je fay en saine conscience, pour l'avoir ainsy reconneu jusques a present. A quoy j'adjouste ma priere en sa faveur, et vous souhaitant tout bonheur, je demeure,

            Monsieur,

Vostre humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIIII janvier 1613, a Neci.

 

            A Monsieur de Chatillon,

            Plebain de Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, au Collège Romain, dans la Chambre de saint Louis de Gonzague. [342]

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DCCCL. A Madame des Gouffiers, Religieuse du Paraclet (Fragment). Les sentiments que le Saint aimait à trouver dans une postulante. — A la Visitation, « toutes choses sont basses, » excepté « la pretention » des Religieuses qui l'habitent.

 

Annecy, vers fin janvier 1613.

 

            Madame,

 

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            Puisque vous ne respires que l'imitation de la croix, de l'obeissance et humilité de nostre Sauveur, venes a la [343] bonne heure chez nos Seurs de la Visitation. Mays vous vous representeres que la mayson en laquelle vous venes est une petite Congregation encor mal logee, et en laquelle toutes choses sont basses, humbles et abjectes, hormis la pretention de celles qui y sont, qui n'est rien moins que de parvenir a la perfection de l'amour divin.

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Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation de Lyon.

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DCCCLI. A Monseigneur Pierre Fenouillet Évêque de Montpellier. Remerciements pour de beaux présents ; le Saint en a fait part à ses amis. — Un plaisir interdit. — Souhaits et message

 

Annecy, fin janvier ou commencement de février 1613.

 

            Monseigneur,

 

            Je ne puis dignement vous remercier des beaux presens qu'il vous a pleu m'addresser, que j'ay receus avec [344] une extreme joye, non certes pour leur valeur, qui est grande, mais parce que ce sont de grans tesmoignages du cœur que vous aves envers moy, m'estant envoyés avec bien du soin et incommodité. Et pour en retirer plus de gloire, je n'ay pas oublié d'en faire part a tous ceux de cette ville que j'estime capables de peser le bonheur que ce m'est destre aymé de vous, auquel ne pouvant donner avec contreschange, je fay pour le moins humble reconnoissance que mon devoir surpasse mes forces, les-quelles neanmoins vous les dedie toutes a l'honneur de vostre service.

            Mais quel contretems ! Si, j'eusse esté si heureux d'aller a Paris cette annee, selon le desir de monsieur nostre grand [ami,] pour recueillir autour de vous et de luy les fruitz de la plus excellente consolation que je pouvois avoir ! J'acquiesce neanmoins a l'ordonnance de la Providence celeste, laquelle au moins a permis que, pour mes pechés, ce playsir me soit interdit. J'espere que le voyage de Piemont, dont j'ay dessein pour ce primtems, impetrera de Son Altesse une si forte confiance en ma simplicité, que je pourray l'annee suivante avoir ma juste liberté.

            Ce pendant, allés, Monseigneur, dessus ce grand theatre et, suyvant Dieu comme vous faites, esperés toutes [345] sortes de bons effectz, et vous employés pour le bien de l'Eglise et de la province pour laquelle vous vous achemines.

            Mais usons doucement et toutesfois, si vous me croyés, un peu avidement de la presence du grand amy, que j'estime si grand pour moy, que je ne voy rien de si grand parmi toutes les grandeurs de Paris qui ne me semble petit en comparayson de sa bienveuillance. Que si quelquefois, comme je n'en doute pas, vous me favorises de quelque mention de nous ensemblement, je vous conjure, Monseigneur, que ce soit comme de

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCLII. A une dame. Dans quelles vues de foi il faut considérer les absences et les séparations définitives.

 

Annecy, [fin janvier ou février 1613.]

 

            A la verité, je ne sçavois pas, ma tres chere Fille, que vostre affliction eust si violemment opprimé vostre cœur ; mais quand je l'ay sceu, j'eusse volontier pris resolution d'aller vous porter le mien et, avec iceluy, toutes les consolations qu'il eust pleu a Dieu me fournir. Or, Dieu soit loué, dequoy vous vous accoises tout bellement a la suite de sa divine Providence.

            Ma tres chere Fille, estendes souvent vostre veuë jusques au Ciel, et voyes que cette vie n'est qu'un passage [346] a celle que l'on fait la ; quatre ou cinq mois d'absence seront bien tost passés. Que si nostre accoustumance et nos sens, amusés a voir et estimer ce monde et la vie d'iceluy, nous font un peu trop ressentir ce qui nous y contrarie, corrigeons souvent ce defaut par la clairté de la foy, qui nous doit faire juger tres heureux ceux qui, en peu de jours, ont achevé leur voyage. En ces grandes occasions, ma tres chere Fille, il faut faire voir la grandeur de nostre fidelité. Bienheureux sont ceux qui n'estiment jamais avoir rien perdu de ce que Dieu a receu a sa grace.

            Je feray ce que vous me dites. Vivés toute pour Dieu, ma tres chere Fille, et me croyes

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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DCCCLIII. A Madame d'Escrilles. Affaires diverses. — Parmi les tracas temporels, il faut garder la sainte tranquillité et douceur de cœur

 

Annecy, commencement de février 1613.

 

            Voyla des lettres qui m'ont esté rendues aujourdhuy, les unes venant de Chamberi, les autres de Bourgoigne. Vous m'excuseres, s'il vous plait, ma tres chere Fille, si celle de monsieur de Genesia est ouverte : ça esté sans malice quelconque que je l'ay fait.

            Au demeurant, je parlay a monsieur de Treverney asses longuement et doucement de vos affaires ; il me dit [347] qu'a son advis, vous vous trompies grandement en l'estime des biens de feu monsieur vostre pere, et quil se treuveroit que vous avies esté portionnee tres suffisamment. Or, la conclusion neanmoins fut quil se sousmettroit a ce qui en seroit advisé par telz arbitres et amis que l'on jugeroit convenable de choysir pour vuider les pretentions d'eux et de vous a l'amiable, qui est en somme le bon mot ; outre que vrayement il ne tesmoigna nullement de treuver mauvaise vostre recherche. Mays a vostre venue, qui sera peut estre bien tost, nous en parlerons plus amplement.

            Cependant, ayes tous-jours souvenance de la sainte tranquillité et douceur du cœur, et de la parfaite remise de nos affections en la sainte providence de Dieu, a laquelle je vous supplie me recommander, ma tres chere Fille, comme

Vostre plus humble parent et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

             [Je] salue humblement madame vostre mere, et a commodité, madame de la Flechere.

 

            A Madame

Madame d'Escrilles.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers. [348]

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DCCCLIV. A la Mère de Chantal. Un contrat qui va bien. — Promesse d'une visite et annonce d'une visiteuse

 

Annecy, 9 février 1613.

 

            Voyla vostre contract que je vous renvoye, ma tres chere Fille ; je croy quil va bien, ce que vous aves remarqué estant corrigé. M. de Blonnay ne me vit point hier au soir ; sil vient me parler, je m'essayeray de le tirer aux 3 mille florins.

            Voyla des lettres de Mme la Presidente, et une medaille et certains Agnus Dei et des livretz qu'ell'envoye a sa fille. Ce soir je vous iray voir, car j'ay des-ja demandé mon congé pour deux heures.

            Mme de la Flechere viendra ce soir ou ce matin, et ira descendre droit chez vous, venant toute seule, sans fille de chambre, selon que vous verres par sa lettre.

            Je ne sçai sil sera mieux que l'action de demain se face avant nostre Office ou apres. Je voudrois que ce fut devant, pour accompaigner mon cher hoste a l'Office, ou il veut estre. [349]

            Bonjour, ma tres chere Fille ; Nostre Seigneur soit a jamais le saint Amour de nostre unique cœur. Amen.

            Je pense ce soir vous aller voir a trois heures. Dieu benisse tout le cœur de ma tres chere Mere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Annecy, chez les RR. PP. Missionnaires de Saint-François de Sales.

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DCCCLV. A la même (Billet inédit). Mesures à prendre à l'ouverture d'un testament. — Décès de Mme de Miribel

 

Annecy, 15 ou 16 février 1613.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Soudain que vous aures nouvelles que le testament sera ouvert, envoyes appeller et prier mon cousin, et luy en conferes, disant que vous aures besoin de son ayde, affin que si le testament a lieu, le peu de bien qui en arrivera a la Congregation arrive en paix et tranquillement.

            Je pense que je vous verrey avant mon départ ; au [350] moins je vous escriray. Ce pendant, bon jour ma tres chere Mere, ma Fille vrayement bien aymee mienne.

            Je croy que vous sachies (sic) que cette bonne damoyselle est trespassee a l'aube du jour.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

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DCCCLVI. Au Père de Lesseau, Religieux Célestin. Le Saint décline les louanges d'un poète avec une discrète humilité.

 

Annecy, 19 février 1613.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Vous m'obligés trop de rendre tant de tesmoignages de vostre affection envers moy qui ay si peu de force pour correspondre a mon gré, par quelque bon effect de gratitude, a lhonneur que vous me faites, quoy qu'en verité j'en aye un desir extreme. Et sur cela, je regrette que vostre esprit, digne de traitter des meilleurs sujetz, soit employé a favoriser un homme de si peu de merite. C'est domage de broder si delicatement sur un vil bureau :

« Non omnes arbusta juvant humilesque miricæ. »

            Cependant, mon Reverend Pere, je vous remercie tres humblement, et ne cesseray point de respandre sur vostre [351] personne mille et mille bons souhaitz a vase plein, ni d'estre toute ma vie,

            Mon Reverend Pere,

Vostre tres humble et tres affectionné confrere

serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIX febvrier 1613.

 

            Au R. Pere en N. S.

Le P. de Lesseau, de l'Ordre des Celestins.

            Lyon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Sens, dans le trésor de la Métropole.

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DCCCLVII. A Madame Bourgeois, abbesse du Puits-D'Orbe. Solidité des affections plantées de la main de Dieu. — Intérêt que porte le Saint au Puits-d'Orbe. — Il faut faire souvent revivre les résolutions prises au temps de la ferveur. — Messages divers

 

Annecy, 23 février 1613.

 

            Je suis certes bien marri, ma tres chere Seur, ma Fille, que vous n'ayés receu mes lettres que souvent je vous ay escrites et addressees a Dijon, non point tant pour autre sujet que pour la consolation que vostre bon naturel vous fait recevoir quand vous voyés de mes escritz. Or sus, Dieu soit loüé. Meshuy, quand nostre Mere de Chantal escrira a Bourbilly, je me serviray de l'occasion, puisqu'elle est plus asseuree.

            Mais dites moy, je vous prie, ma chere Fille, eussies [352] vous bien peu croire qu'une affection plantee de la main de Dieu, arrousee par tant d'obligations que je vous ay et a vostre Mayson, fut sujette a diminution ou esbranslement ? Non certes, ma tres chere Seur, ma Fille, il n'est pas possible qu'une amitié vraye et solide puisse jamais cesser.

            Quelle joye dequoy vostre Monastere va si bien et qu'il fait honneur, devant Dieu et ses Anges, a M. de Sauzea ! Certes, je ne suis pas Ange, mais je l'en honnore davantage, et prie Dieu qu'il restablisse de plus en plus cette sainte famille en son amour. J'escrivis il y a quelque tems audit sieur de Sauzea une response assez ample aux siennes ; je ne sçai s'il l'a receuë.

            Au reste, pour vostre particulier, faites souvent renaistre toutes les saintes resolutions qu'au commencement de nos ferveurs Dieu nous departoit si abondamment ; que si elles ne sont plus si sensibles, il n'importe, pourveu qu'elles soyent fermes et fortes. J'ay bien entendu tout ce que vous m'escrivés et me suffit. Dieu, par sa bonté, vous tienne tous les jours de sa tres sainte main ; c'est une priere quotidienne que je luy fay.

            Je vous remercie de la toile ; si vous venés l'esté prochain, vous nous communiquerés bien de la recette, et ce pendant on employera ce que j'en ay. Je dis, si vous venés, parce que, encor que ce me seroit un contentement extreme de vous voir a souhait en nos pauvres petites contrees, si est-ce que je ne voudrois pas tirer sur moy le contregré de messieurs vos proches, s'ilz en avoyent, en vous le conseillant, ni aussi prejudicier a ma consolation en ne vous le conseillant pas. Dieu vous inspirera ce qui sera pour sa gloire et la vostre. Ce pendant, il faudra donq escrire dans le livre quelque chose, a mesure que, parmi les frequentes pensees que j'ay sur vous, il plaira a Nostre Seigneur jetter dans mon cœur des advis propres pour le vostre.

            Je salue infiniment toute vostre chere trouppe et specialement nostre seur. Je salue encor M. de Sauzea, [353] si par fortune il est la. Mes freres sont tous vos serviteurs tres humbles, sur tout mon frere de Boisy, qui n'est pas present maintenant que j'escris ; et si, je ne l'ay point adverti.

            Aymés-moy tous-jours cordialement, ma tres chere Seur, ma Fille, puisque de tout mon cœur je suis vostre. Dieu vous benisse. Amen.

Vostre plus humble et tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            23 febvrier 1613.

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DCCCLVIII. A M. Claude de Blonay. Le destinataire n'ayant pas eu à se louer de son fils, « excessif en desseins, » le Bienheureux promet d'y porter remède. — Messages divers

 

Annecy, 2 mars 1613.

 

            Monsieur,

 

            Je participe plus que nul autre a vostre desplaysir, lequel, a mon advis, ne durera plus guere quant a l'occasion pour laquelle vous l'aves maintenant ; car des-ja l'autre jour, que monsieur le Prieur vint a Sales, je luy fis la moytié de la resolution que je luy envoye du tout maintenant. Mays pourtant, cet esprit-lâ voudra tous-jours des occupations plus que suffisantes, car il est excessif en desseins. [354]

            Il me demanda congé de faire certain livre pour imprimer, et je luy respondis fort convenablement, a mon advis, quil pourroit s'exercer en cela, mais que de faire imprimer, c'estoit une chose a part. En somme, il faut quil agisse ou d'une façon ou d'autre. Quant a la predication, il me dit que cela n'incommoderoit rien et que vous en series content, et en fin quil vouloit faire quelque chose. Si vous juges que je doive faire quelque sorte d'autre remede, je le feray.

            Monsieur Soudan me demande tous-jours de pouvoir playder pour retirer les biens ecclesiastiques de sa parroisse, et dit que tout depend de vous, a rayson des patentes. Il s'en reva dans dix ou douze jours et ira conferer avec vous.

            Nostre fille se porte bien et tout ce qui est avec elle, avec un peu d'embarassement pour cet hæritage ; mais j'espere que tout s'esclarcira bravement, Dieu aydant.

            Je suis, Monsieur,

Vostre humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            2 mars 1613, a Neci.

 

            A Monsieur

Monsieur de Blonnay, Curé de Siez.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay. [355]

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DCCCLIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Pourquoi le Saint n'a rien entrepris contre l'abbé de la Tour. — Qu'on lui donne des commandements, il obéira

 

Annecy, 4 mars 1613.

 

            Monseigneur,

 

            Sur les plaintes qui me furent faites de monsieur l'Abbé de la Tour, a rayson des bastonnades qu'il avoyt donnees au sieur Berthelot, la grandeur du respect que je doys a Vostre Altesse me suggera de ne point entreprendre de justice sur la personne dudit sieur Abbé, puys qu'il estoit ambassadeur ordinaire de Vostre Altesse et n'estoit icy que par maniere de passage, et de jour a jour en attente de retourner a l'exercice de son ambassade. Maintenant, Vostre Altesse pourra voir les informations prises a charge et descharge dudit sieur Abbé, que ce porteur a en main, et me donner sur cela ses commandemens, ausquelz j'obeiray avec la [356] fidelité qui me fait incessamment supplier Dieu pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je suis,          Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant, tres fidele serviteur et orateur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le 4 mars 1613.

            A Son Altesse Serenissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCCLX. A Madame de la Croix d'Autherin. La vocation du mariage et le moyen d'y devenir fort sainte. — L'obéissance au confesseur. — Règlement de vie. — Conseils variés. — La crainte des vices et l'amour des vertus. — Douceur et humilité. — Une besogne que Dieu paie de mille consolations.

 

Annecy, 12 mars 1613.

 

            Dieu soit beni et glorifié de ce changement de condition que vous avés fait pour son nom, ma tres chere Fille ; et je dis tous-jours ma tres chere Fille, car ce changement ne changera rien en cette affection vrayement paternelle que je vous ay dediee. Vous verrés bien que si vous avés une parfaite resignation de vostre ame en la providence et volonté de Nostre Seigneur, vous marcheres en cette [357] vocation, vous y aures bien de la consolation et deviendres fort sainte a la fin. C'estoit ce qu'il failloit a vostre esprit, puisque vous aves rencontré ce gentilhomme si plein de bonne inclination.

            Vous aves tort de faire scrupule de rompre le jeusne, puisque l'advis du medecin le porte.

            Conduisés-vous en la Communion au gré de vostre confesseur, car il luy faut donner cette satisfaction, et vous ne perdrés rien pour cela ; car ce que vous n'aurés pas par la reception du Sacrement, vous le rencontreres en la sousmission et obeissance.

            De regie pour vostre viè, je ne vous en donneray que celle qui est dans le livre ; mais si Dieu dispose que je vous puisse voir et il y a quelque sorte de difficulté, je vous respondray. Il n'est nul besoin que vous m'escrivies vostre confession : que si vous aves quelque point particulier duquel vous desiries conferer avec mon cœur, qui est tout vostre, vous le pourrés.

            Soyés bien douce ; ne vivés point selon vos humeurs et selon vos inclinations, mays selon la rayson et la devotion. Aymés vostre mari tendrement, comme vous ayant esté donné de la propre main de Nostre Seigneur. Soyés bien humble envers tous.

            Vous deves avoir un grand soin de ranger vostre esprit a la paix et tranquillité, et estouffer ces mauvaises inclinations que vous aves, par une attention a la prattique des vertus contraires, en vous resolvant d'estre plus diligente, attentive et active a la prattique des vertus. Et marqués ces quatre paroles que je vous vay dire : vostre mal vient dequoy vous craignés plus les vices que vous n'aymés les vertus. Si vous pouvies provoquer un peu profondement vostre ame a l'amour de la prattique de la douceur et de la vraye humilité, ma chere Fille, vous series brave ; mais il faut y penser souvent. Faites la preparation du matin, et en somme prenés a prix fait cette besoigne que Dieu vous payera de mille consolations ; et pour cela, n'oubliés de souvent eslever vostre cœur en [358] Dieu et vos pensees a l'eternité. Lises, au nom de Dieu, tous les jours un peu, je vous en prie.

            Faites cela pour moy, qui tous les jours vous recommande a Dieu, et je prie son infinie Bonté qu'a jamais elle vous benisse.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 12 mars 1613.

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DCCCLXI. A M. Claude de Blonay. Le Saint renonce par charité à la consolation d'avoir un ami pour compagnon de pèlerinage. — Voyage à Turin, à pied ou à cheval, suivant les circonstances

 

Annecy, 28 mars 1613.

 

            Monsieur,

 

            Par vostre lettre et par ce que j'ay peu apprendre de monsieur de Sainte Catherine, je voy que c'est une grande incommodité a monsieur l'Abbé de faire nostre pelerinage, lequel pourtant il n'entreprend que purement pour me favoriser. Mays sur tout considerant quil est incommodé de sa santé, j'entre en extreme apprehension que ce ne luy soit une peyne trop grande de se mettre en voyage. Obliges moy donq, je vous supplie, de le conjurer, par toute la bienveuillance quil me porte, de ne point se mettre au hazard, ni en la despence, ni en la peyne et travail de ce chemin, puisque il n'y regarde que ma seule consolation, laquelle, je confesse, seroit grandement languissante si je la recevois avec tant d'incommodité d'une personne que je cheris et respecte tant.

            Quant a moy, le voyage de Thurin qui m'a esté ci devant volontaire, m'est a present necessaire pour plusieurs [359] raysons ; et y estant, je passeray aysement a Milan pour rendre la veneration de si longuemain destinee au sepulchre du glorieux saint Charles. Et bien quil y eut quelque chose de ce qu'on dit des excommunications, je ne laisserois pas de m'acheminer, esperant qu'en toutes occasions Dieu me fera la grace de ne point m'oublier du devoir que j'ay a l'Eglise et au Prince.

            Somme toute, ne permettes pas que monsieur l'Abbé prenne cette si grande incommodité, et sur tout quil mette en compromis sa santé, car ce me seroit un'excessive peyne de le voir en peyne et un continuel mesayse de le voir en danger. Mays sur tout, ne manques pas de m'avertir au plus tost de ce que vos remonstrances auront operé ; car selon l'advis que je recevray, je disposeray autrement de mon despart, et peut estre de la circonstance du voyage, d'aller a pied ou a cheval jusques a Thurin.

            J'apprens que vous aussi et monsieur le Curé de Bons ne feres pas qu'avec incommodité ce voyage, et je vous prie, mais de tout mon cœur, de ne vous en incommoder nullement et de dissuader aussi ledit Curé de Bons ; car plustost que d'incommoder mes amis en chose non necessaire, je romprois le voyage tout a fait. Response, je vous prie, et ne vous mettes en peyne que de me venir voir icy apres Pasques, pour conferer de ce que je pourrois [360] utilement entreprendre aupres de Son Altesse pour nos affaires ecclesiastiques ; puis, laisses moy faire mon petit fait, et vous verres que tout ira bien et sans bruit. Mays voyes vous, je vous recommande tres estroittement ce mien desir, et suis sans fin,

Vostre humble, tres affectionné confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII mars 1613.

            Je reçois des nouvelles pour lesquelles peut estre je seray obligé de partir un peu plus tost ; ainsy faut il changer selon le tems, mais sur tout selon ce que Dieu permet par sa providence.

 

            A Monsieur

Monsieur de Blonnay, Curé de Siey,

            Præfect de la Ste Mayson.

 

Revu sur l'Autographe conservé au château de Marin (Chablais), Archives de Blonay.

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DCCCLXII. A M. Antoine des Hayes. Détails rétrospectifs sur l'affaire Berthelot et l'internement de M. de Charmoisy. — Conseils adressés à Philothée par l'entremise du destinataire. — Le Saint désirerait avoir la liberté d'aller à Paris l'année suivante

 

Annecy, 28 mars 1613.

 

            Monsieur,

 

            Vous verrés, je m'asseure, par la lettre que monsieur de Charmoysi vous escrit, comme des le despart de [361] madame de Charmoysi il a receu le desplaysir de se voir comme banni de cette ville, par un expres commandement que Son Altesse luy a fait de s'en retirer et ne plus y revenir, sur l'impression la plus fause du monde que Monseigneur de Nemours a receu de la part de quelques calomniateurs, que les bastonnades donnees au sieur Berthelot avoyent esté conseillees par monsieur de Charmoysi ; dont mondit Seigneur de Nemours a entrepris le ressentiment si chaudement, que nous en sommes tous estonnés. Et peu s'en est fally que l'un de mes freres, chevalier de Malte, n'a esté ordonné a la prison (bien que tout le tems de la querelle il fut avec moy a Sales), seulement par ce quil est grand ami du sieur Abbé de Talloyres et qu'il l'avoit fort visité apres les bastonnades. Or neanmoins, j'espere que dans peu de jours [362] tout cela se passera, et Monseigneur de Nemours, selon sa bonté, sera marri d'avoir fait faire du mal a monsieur de Charmoysi et d'en avoir desiré a tant d'autres ses plus fideles et affectionnés serviteurs et sujetz.

            Mays ce pendant, il faut que madame de Charmoysi tienne bonne contenance et ne face nulle sorte de plaintes qui puissent venir a la connoissance de monsieur de Jacob, ains que luy parlant, elle tesmoigne une grande asseurance que la bonté de Son Altesse et de Monseigneur de Nemours regardera bien tost favorablement son mari et sera offencee contre ceux qui luy ont voulu procurer du mal. Ce que je vous dis, Monsieur, par ce que vous pourres mieux dire a cette bonne dame comm'elle se devra comporter que je ne sçaurois le luy escrire, bien que je luy en touche un mot.

            Enfin, tout nostre Caresme s'est passé en cette pauvre petite ville a nous defendre presque tous des calomnies qu'on jettoit indifferemment sur le tiers et le quart, a rayson de ces miserables bastonnades. Eusse-je pas esté mieux si mon bonheur eut permis l'effect de vostre volonté, et que j'eusse presché en vostre chaire et jouy de la douceur de vostre conversation et de la presence de Monsieur nostre Evesque qui est lâ ? J'espere, dans le moys, partir pour Thurin, ou je feray tout ce qui me sera possible affin d'avoir ma liberté pour l'annee suivante ; car le desir du bien que j'attens de vostre [363] veüe et du rencontre de tant de gens d'honneur qui, pour vostre consideration, me recevront en leur conversation, est extreme dedans mon cœur. La volonté neanmoins de Dieu en soit faite, et luy playse vous combler de toute santé et vraye felicité, avec madame vostre chere digne compaigne et toute vostre mayson.

            C'est le souhait perpetuel, Monsieur, de

Vostre tres humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            28 mars 1613, a Neci.

            Monsieur, j'escris en sursaut, c'est pourquoy je ne vous envoye pas les papiers du conte fait entre mes freres et les agens de madame la Duchesse de Mercœur, comme je feray bien tost, puisque vostre bonté s'estend a vouloir en recevoir la peyne.

 

            Monsieur

[Monsieur des] Hayes,

Maistre d'hostel du Roy,

Gouverneur et Baillif de Montargis.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Ier Monastère de la Visitation de Rouen. [364]

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DCCCLXIII. A Madame de Charmoisy. Quand doit-on témoigner à Notre-Seigneur son amour. — Sympathies et dévouement pour la famille de Charmoisy éprouvée.

 

Annecy, 28 mars 1613.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            C'est maintenant que vous estes en affliction, que vous deves tesmoigner a Nostre Seigneur l'amour que vous luy aves si souvent promis et protesté entre mes mains. Ce me sera extreme consolation d'apprendre que vostre cœur se comporte bien pour ce regard.

            Recommandés-vous aux prieres de saint Louys, lequel apres avoir longuement assisté et servi les malades de contagion en son armee, s'estima bienheureux d'en mourir, prononçant cette orayson pour ses dernieres paroles : J'entreray en ta mayson, o mon Dieu, j'adoreray en ton temple et confesseray ton nom. Remettés-vous en la volonté divine, qui vous conduira selon vostre mieux pour l'emprisonnement de vostre mary.

            Je voudrois bien en cette occasion vous donner quelque sorte de bonne consolation, mays je n'ay pas dequoy. Je prie donq Nostre Seigneur qu'il soit vostre consolation et qu'il vous face bien entendre que par plusieurs travaux et tribulations il vous faut entrer au Royaume des cieux, et que les croix et afflictions sont plus aymables que les contentemens et delectations, puisque Nostre Seigneur les a choisies pour soy et pour tous ses vrays serviteurs. [365]

            Ayés bon courage, ma chere Fille, tenés ferme vostre confiance en Celuy au service duquel vous vous estes dediee et abandonnee, car il ne vous abandonnera point. Et ce pendant, je m'employeray de tout mon cœur, affin d'ayder vostre mary, envers tous ceux que je croy avoir du credit pour le faire delivrer et que je sçauray vouloir faire quelque chose a ma contemplation ; et des-ja j'ay commencé ce bon office des avant hier, vous cherissant comme ma vraye fille, et tout ce qui vous appartient, pour l'amour de Nostre Seigneur a qui vous appartenes, la volonté duquel soit faite es siecles des siecles. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci.

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DCCCLXIV. A la Mère de Chantal (Fragment). Les embarras d'un héritage

 

Annecy, [mars-15 avril] 1613.

 

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Et pourquoy non moy a ma Mere ? Vrayement, bonsoir, ma tres chere Mere.

            J'ay fait avec le procureur La Tour quil ira jeudi a Dizonche ; c'est un bon personnage qui fera fort bien [366] l'office. Or sus, portes vous bien, ma tres chere Mere. Dieu vous comble de paix, benediction et amour. Amen.

            J'ay response de Mme d'Aiguebellette qui dit que Mlle des…                      

 

            Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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DCCCLXV. A la même. Une chape vraiment belle : d'où lui vient sa beauté ; symbolisme des dessins qui la décorent. — Bénie soit la main de la brodeuse

 

Annecy, [vers le 7 avril 1613.]

 

            O vrayement, elle est belle en extremité, la chappe que la plus chere mere qui vive envoye a son tres cher pere ; [367] car elle est toute au nom de JESUS et de MARIE, et represente parfaitement le Ciel des bienheureux, ou Jesus est le soleil et Marie la lune luminaires presens a toutes les estoilles de cette sainte habitation ; car Jesus y est tout a tous, et n'y a point d'estoille en ce globe celeste en laquelle il ne soit representé comme en un miroüer. Et les Phi (φφ) redoublés signifient, comme lettres capitales, la philothie et la philanthropie, l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Et les S fermees, avec leurs flesches qui montent d'un costé et descendent de l'autre, demonstrent l'exercice de ces divins amours, dont l'un remonte en Dieu et fait des Philothees, l'autre descend au prochain et fait des Philantropes : qui est l'unique bien de la charité, qui nous rend vrays serviteurs et servantes de la divine Majesté. Sur tout, le Saint Esprit influe et fait paroistre une grande varieté de fleurs et de toute sorte de vertu.

            Benite soit a jamais la chere main de ma Mere qui a si bien sceu faire ce bel ouvrage ! Que cette main soit propre a faire des choses fortes, et tout esgalement a manier le fuseau. Qu'elle soit ornee de l'anneau de fidelité et son bras, du brasselet de charité ; que la dextre du Sauveur soit a jamais jointe a elle et qu'elle paroisse pleine au jour du jugement ; qu'a jamais le cœur qui l'anime soit revestu de JESUS, de MARIE, de philothie, de philanthropie, de sainteté, d'estoilles, de dards volans du celeste amour et de toute sorte de vertu fleurissante ; que le Saint Esprit la rayonne en tous tems. Bon soir, ma tres chere Fille, ma Mere.

            Mais il faut encor dire cecy. Il est escrit de la femme forte, que tous ses gens ont double vestement ; l'un, je pense, pour les festes, l'autre pour les jours ouvriers. Et me voyla revestu d'une chappe admirable pour les festes, chappe belle et de couleur de la Resurrection ; et d'une robbe encor pour tous les jours, de la couleur de la robbe [368] que Nostre Seigneur porta sur le mont de la Passion. Dieu nostre Seigneur vous habille et de sa Passion et de sa gloire.

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DCCCLXVI. A la même. Le travail permis à la Mère de Chantal deux jours chômés. — Souhait et espérance du Saint. — Un visage pâle et un cœur vermeil

 

Annecy, 8 avril 1613.

 

            Vous pourres bien travailler dedans la mayson, aujourdhuy et demain, pourveu que personne ny entre d'estranger, sinon M. Grandis, M. Roget et la petite seur ; et bien que quelqu'autre entrast, vous pourries neanmoins bien travailler en ces besoignes qui sont pour l'eglise.

            Je ne pensois nullement escrire a Paris, mais puis que vous l'aves desiré, j'escris a Monseigneur de Bourges.

            Si pour chose du monde je le puis, je vous iray voir demain ; si moins, tout au pis, j'iray dire vostre Messe [369] samedi. Toutes les apres disnees de ces trois jours sont assignés (sic) en appointemens.

            Mon Dieu, ma chere Fille, que je vous souhaite de perfections ! et que de courage et d'esperance j'ay maintenant en cette souveraine Bonté et en sa sainte Mere, que nostre vie sera toute resserree en Dieu avec Jesus Christ, pour parler avec nostre saint Paul.

            Bonjour, ma chere Mere mienne. Le bon jour a nos filles, toutes, et aux malades a part, y comprenant la grande chere fille, pasle au visaige, mais, comme j'espere, vermeille de cœur en l'amour cæleste. Bon jour de rechef, ma tres chere Mere, ma Fille vrayement mienne.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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DCCCLXVII. Au Comte Prosper-Marc de Tournon. Dévouement du Saint pour M. de Charmoisy. — Malice de ses ennemis et crédulité du prince de Nemours. — Berthelot et M. de Servette

 

Annecy, 11 avril 1613.

 

            Monsieur,

 

            J'escris a part ce billet pour laisser l'autre lettre en estat de pouvoir estre monstree a monsieur le marquis de Lans ; et si je ne l'avois escritte si precipitamment, j'eusse voulu quil l'eut envoyee ou a monsieur le Chancelier, ou a quelqu'un qui eut entrepris de bien [370] representer a Son Altesse la malice et le venin des ennemis de nostre pauvre parent, qui est la, mussé comme un lievre dans Marcia, avec une fort exacte obeissance. Chacun est scandalisé du grand pouvoir que les accusations seules ont : sil suffit d'accuser, qui sera innocent ? Ceux qui connoissent M. de Servette, et je croy que Son Excellence le connoist, sçauront bien discerner de l'action d'hier. Certes, Bertelot n'avoit que faire de s'opposer a luy en la conduite des dames ; car, comme vous sçaves, c'est un gentilhomme de si bon lieu, que, comme que ce soit, encor le faut-il respecter.

            Or, il suffit si l'on peut faire l'office au pauvre parent des-ja banni du Genevois et serré dans une mayson seule. Pour moy, je voy tant de malice et de ruse en ses calomniateurs, et la voy si clairement, que je me sens obligé de parler et me semble que le silence seroit peché. L'importance est que l'office se face viste, car je m'asseure que ce matin, Berthelot despechera un homme, comme sachant bien que la plus grande force de sa ruse consiste en la diligence.

            Si madame la Comtesse nous envoye des bouteilles, on les emplira tant quil y aura du piqu'ardent, et si nous [371] eussions eü des ampolons a suffisance, nous n'eussions pas oublié de vous envoyer vostre part. Je feray tenir seurement la lettre au cousin lundi ou mardi, au fin plus tard.

            J'espere avoir le bien de vous saluer et redire que je suis,

            Monsieur,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI avril 1613.

 

            A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin.

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DCCCLXVIII. A M. Claude de Quoex. — Renseignements pour une dispense de mariage à obtenir

 

19 avril 1613.

 

            Monsieur,

 

            Outre le desir que j'ay de vous saluer, je me suis souvenu que j'avois oublié de vous supplier d'envoyer a Romme pour monsieur de Monthouz Guillet et sa femme ; ce que neanmoins j'avoys promis de faire audit sieur de Monthouz, lequel reciproquement m'a promis de vous donner argent pour cet effect. Il s'appelle Gabriel Guillet ; elle, Marie de Maillard. Et quant a [372] elle, contraxit bona fide anno ætatis suce duodecimo ; prolem susceperunt et scandalosa esset separatio. Utraque autem partium est sub potestate patris ; impedimentum est in tertio.

            Je pass'outre, Monsieur, plein d'esperance que, nonobstant toute sorte d'oppositions, Nostre Seigneur nous donnera victoire. Aymes moy tous-jours cependant, et me tenes, Monsieur, pour

Vostre humble, très affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIX avril 1613.

            Je salue bien humblement madame ma chere seur.

 

            A Monsieur

Monsieur de Quoex, Conseiller de Monseigneur

et son premier Collateral en Genevois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie. [373]

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DCCCLXIX. A la Mère de Chantal (Inédite). Une halte en Maurienne. — Sollicitude du Saint en voyage

 

Saint-Jean-de-Maurienne, 21 avril 1613.

 

            Ma tres chere et tres honnoree Mere,

 

            Me voyci en la quatriesme journee, partant de Saint Jan de Maurienne, ou Monsieur l'Evesque nous a logés cordialement. Vives joyeuse, ma Mere vrayement toute bonne, en Nostre Seigneur, que je ne cesse point de supplier quil luy playse remplir de plus en plus nostre cœur unique de son tressaint et pur amour.

            Je vous supplie de dire a M. Michel qu'il face l'aumosne aux Peres Capucins tout ainsy que si nous y [374] estions, et que si les Dames de Sainte Claire ont besoin de vin, mesme pour les malades, il leur en donne.

            O ma tres chere et vraye Mere, Dieu vous benisse de ses plus profondes benedictions, avec toute la chere trouppe, specialement la malade. Vostre filz, vostre neveu, tout cela vous donne le bon jour. Qu'a jamais soyons nous a Dieu, vous comme moymesme, moy comme vous mesme, puisqu'il a ainsy pleu a sa divine Bonté, a laquelle soit gloire es siecles des siecles. Amen.

            XXI avril 1613, a Saint Jan de Maurienne.

 

            A Madame

Madame de Chantal,

Superieure de la Visitation.

            A Neci.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Uedem (Prusse rhénane).

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DCCCLXX. A la même. Comment attendre l'issue d'une maladie. — Dans quels sentiments faut-il sortir de cette vie et acquiescer à la Providence divine

 

[Fin avril-mai 1613.]

 

            Il faut attendre, ma tres chere Mere, l'evenement de cette maladie le plus doucement qu'on pourra, avec parfaitte resolution de se conformer a la volonté divine [375] en cette perte, si perte se doit nommer l'absence de quelque tems, qui, Dieu aydant, sera reparee par une presence eternelle. Hé, que bienheureux est le cœur qui ayme et cherit la volonté divine en toutes occurrences !

            O si une fois nous avons nostre cœur bien engagé a cette sainte et bienheureuse eternité : Allés, ce dirons-nous a tous nos amis, allés, chers amis, allés en cet Estre eternel a l'heure que le Roy de l'eternité vous a marquee ; nous y irons aussi apres vous. Et puisque ce tems ne nous est donné que pour cela et que le monde ne se peuple que pour peupler le Ciel, quand nous allons la, nous faysons tout ce que nous avons a faire. Voyla pourquoy, ma Mere, nos anciens ont tant admiré le sacrifice d'Abraham. Quel cœur de pere ! Et vostre sainte compatriote, la mere de saint Symphorien, par le traict de laquelle je finis mon livre !

            O Dieu, ma Mere, laissons nos enfans a la mercy de Dieu, qui a laissé le sien a nostre mercy ; offrons luy la vie des nostres, puisqu'il a donné la vie du sien pour nous. En somme, il faut tenir les yeux fichés sur la Providence celeste, a la conduite de laquelle nous devons, de toute l'humilité de nostre cœur, acquiescer.

            Dieu vous benisse, et marque vostre cœur du signe eternel de son pur amour. Il faut devenir tres humblement saintz, et respandre par tout la bonne et suave odeur de nostre charité. Dieu nous face brusler de son saint amour et mespriser tout pour cela ; Nostre Seigneur soit le repos de nostre cœur et de nos cors ! Tous les jours j'apprens a ne point faire ma volonté et faire ce que je ne veux pas. Demeurés en paix entre les doux bras de la divine Providence et dans le giron de la protection de Nostre Dame.

FRANÇS, E. de Geneve. [376]

 

Minute écrite par saint François de Sales pour Madame de Saint-Cergues

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DCCCLXXI. A Madame Dufour. Mme de Saint-Cergues expose les raisons de son abjuration. — Après la grâce du Saint-Esprit, la confession de foi catholique a surtout dessillé ses yeux : elle a vu Jésus-Christ, unique objet de foi, d'espérance et de charité, l'exclusion de toute idolâtrie, le culte raisonnable des Saints. — Une « pauvre petite brebiette » se réunit au troupeau. — La lumière n'est pas toujours accompagnée de la facilité pour déduire les raisons de la croyance.

 

Annecy, février 1611.

 

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            Au demeurant, Disdiere n'est pas assez clairvoyante pour juger dignement de mes actions et beaucoup moins [377] de mes intentions, et partant vous aves bien fait, et tous mes amis aussi, de ne point la croire quand elle vous a dit que je m'estois destournee de la vraye foy en un seul Christ, pour adhserer aux fables, traditions et inventions des hommes. Il est vray que, par une speciale grace du Saint Esprit, je suis retournee dans le giron de la sainte Eglise Catholique, duquel, par ignorance et inconsideration, je m'estois separee. Mays je n'ay point esté attiree a cette si salutaire resipiscence par aucunes fables, traditions ou inventions humaynes, ains par la connoissance de la verité, prise en la pure, simple et claire Parole de Dieu, a laquelle je veux a jamais inviolablement adhaerer.

            Je confesse bien pourtant en bonne foy, que l'une des choses qui m'a le plus aydee a me fayre voir l'erreur auquel je vivoys, a esté la confession de foy que j'ay veu faire icy aux Chrestiens catholiques, mise en comparayson avec l'accusation qui s'en fait ordinayrement es sermons et conferences de messieurs les ministres. Car j'ay treuvé qu'icy on ne respire que la foy en un seul Jesuschrist, on n'aspire et espere qu'en un seul Jesuschrist, on n'annonce que l'amour d'un seul Jesuschrist, qui est hautement et clairement reconneu pour vive et vivante source et unique fin de toutes louanges et benedictions. Je ny ay point treuvé d'idoles, ains des [378] images de Jesuschrist, exterminateur des idoles, et des portraitz des Saintz, qui ont perdu la vie plustost que de souffrir les idoles. J'ay treuvé qu'on y prioit les bienheureux Saintz, non comme compaignons, mais en qualité d'aggreables et tres humbles serviteurs de Jesuschrist, non point pour desfiance de la bonté et charité divine envers nous, mays pour prattiquer et se prævaloir de la communion des Saintz. J'ay treuvé que l'on n'establissoit son salut qu'en la Mort et Passion de Jesuschrist, et que l'on ny estimoit aucunes œuvres bonnes et meritoires qu'en la vertu et valeur qu'elles ont par le merite du sang de Jesuschrist. Et en toutes choses, j'ay treuvé que la souveraine gloire deüe a ce souverain Sauveur estoit exactement preschée, inculquée, reconneue et conservée avec une tressainte et religieuse jalousie ; chose, certes, comme vous sçaves, bien esloignee du tesmoignage que messieurs les ministres rendent contre les Catholiques.

            C'est pourquoy, ayant treuvé une si grande sainteté de religion ou l'on m'avoit tant asseuré ny avoir que superstition, un si grand zele pour lhonneur de Jesuschrist ou l'on præsupposoit estre le seul regne de l'antichrist, une si droite pureté d'intention ou l'on m'avoit tant dit ni avoir que faintise, une si grande clarté de doctrine ou l'on m'avoit fait entendre ni avoir qu'illusion, j'ay esté grandement confuse en moymesme d'avoir si longuement accusé, par une vayne persuasion, une si chaste et innocente Susanne, et, comme la charité m'obligeoit, je me suis res-jouye d'avoir tant treuvé de bien ou j'avois pensé ne treuver que du mal. Dont, comm'une pauvre petite brebiette esgaree qui retrouve en fin le trouppeau que par mesgarde ell'avoit laissé, je m'y suis librement, [379] volontairement et par franche election, remise et reunie, n'ayant pas voulu refuser au Saint Esprit l'exercice de sa grace en mon cœur, ni a la verité divine, l'hommage que mon entendement luy devoit ; affin que les propheties, qui prædisent en tant d'endroitz le retour des ames a l'Eglise, fussent heureusement accomplies en moy et par moy, et qu'ayant esté une des estoiles errantes, desquelles parle saint Jude, en un ciel apparent et contrefait, je fusse meshuy un'estoile du vray firmament, qui est l'Eglise Catholique, en laquelle on ne connoist le grand dragon roux que pour le combattre et fouler aux pieds, ains escraser et exterminer par la force de la Parole de Dieu, pure, simple et entiere ; Parole qui est la vraye espee et le vray bouclier des croyans, et a laquelle nul homme n'a touché pour en oster un seul mot, y adjouster un seul point, ou y broüiller le vray sens, que soudain il n'ayt esté repris, puis condamné par la mesme Esglise.

            Voyla ce que je vous puis dire de l'estat de mon ame qui sent une grande consolation en la misericorde de Dieu, si doucement exercee envers moy ; et vous prie de croire qu'en cet heureux changement je n'ay jetté mes yeux que sur Jesuschrist crucifié et sur l'eternité glorieuse quil m'a acquise par son sang, au prix delaquelle j'estime toutes choses un vray rien. Et si je pouvois aussi bien exprimer les raysons qui m'ont induite a ce desirable retour comme je les ay veüe (sic) clairement pour m'y resoudre, je croy que vous en series fort satisfaite. Mais ce bon Dieu qui ne nous manque jamais es choses necessaires a nostre salut, m'a donné la lumiere requise pour le voir et l'embrasser, par ce que sans cela je me fusse perdue, et ne m'a pas donné le moyen de bien declairer ce que j'ay conneu et connois par cette lumiere, par ce que ce n'est pas a moy d'instruire ni enseigner. Comm'en effect, je ne m'espancherois pas mesme si avant a parler [380] de cette grace que j'ay receüe avec un'autre qu'avec vous qui m'aymes, et que je prie ne point communiquer la presente, pour ne me point rendre plus odieuse a ceux qui croyront que ce mien despart d'avec eux m'en rende digne, et lesquelz, non obstant cela, je ne laisseray neanmoins de cherir d'une vraye et sincere dilection, priant, etc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [381]

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DCCCLXXII. Au Cardinal Anne de Pérusse d'Escars de Givry (Inédite). La Sainte-Maison de Thonon. — Les Carmes réformés de Paul V.

 

Annecy, 6 août 1607.

 

            Monseigneur,

 

            Je ne respons encor pas aux articles quil vous a pleu me faire envoyer, par ce que je n'ay encor sceu retirer le double de la fondation de la Mayson de Thonon, qui estoit la principale piece que vous me commandiés de vous faire tenir. Je presse neanmoins le plus quil m'est possible pour cela.

            Mais despuis, le Pere Cherubin m'a remis des Bulles [382] de nostre Saint Pere pour les executer, par lesquelles il m'est commandé de ranger la Sainte Mayson de Thonon a l'observation de certains articles signés par Monsieur le Nonce de Turin et de Son Altesse, lesquelz entr'autres choses, mettent ladite Mayson sous la protection de la Milice des saintz Maurice et Lazare.

            Sil se pouvoit faire que Sa Sainteté envoyast la mission des Carmes reformés, delaquelle il a esté parlé, pour le balliage de Gex, ce seroit un grand bien, et le Roy l'auroit aggreable, comme monsieur le baron de Lux me l'a escrit.

            Je vous bayse les mains en toute reverence, et suis, Monseigneur,

Vostre tres humble et tres-obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le VI aoust 1607.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Maurice Le Corbeiller, à Concise (Thonon). [383]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice

avec le texte des Lettres de saint François de Sales.

 

Appendice

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I. Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants

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A. Lettre du Baron de Lux

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            Monsieur,

 

            Je n'ay pu vous faire responce plutost a celle qu'il vous a pleu de m'escrire ; j'attendoys d'y sçavoir les volontés du Roy qui a eu fort aggreable que vous mettiez au bailliage de Gex les Religieux Carmes reformez que Sa Sainteté vous doit envoyer. Sa Majesté s'asseure que vous les choisirez tels, qu'elle en aura du contentement et les jugerés d'edification. J'en escris a ces Messieurs un mien billiet dans le pacquet, afin que, voyans l'intention de Sa Majesté, ils n'y apportent rien de contraire.

            Il ne m'arrive contentement qui soit egal a celuy que je reçois de vous faire service qui vous soit aggreable : cela estant, je suis asseuré que cette action est receue avec plaisir devant Dieu. Ne me soyez, Monsieur, s'il vous plaist, siche de vos commandementz ; me les [385] departant, vous faictes chose charitable, puisque sans iceux je ne fais chose aucune qui soit digne d'aggreer a la divine Majesté.

            Je la supplie tres humblement qu'elle me conserve vos bonnes graces, et vous donne, Monsieur, [heureuse] et longue vie.

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

DE LUX.

            Missery, ce 18e mars 1607.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le IId Procès de Canonisation.

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B. Lettre du Prieur et des Religieux de Saint-Claude

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            Monsieur,

            Nous avons reçu la vostre par les mains du sieur present porteur, et pour response à icelle nous vous assurerons que nous monstrerons tousjours par effects l'affection et volonté que nous avons au service de Dieu pour son honneur et gloire, et mesmement au faict du restablissement de la sainte Messe audit lieu de Dyvonne. Et pour y satisfaire, nous avons donné ordre à nos fermiers de fournir argent pour redresser l'autel et autres reparations necessaires, et prié le sieur porteur d'en poursuivre l'execution. Pour les ornements, nous en avons delivré suffisamment pour la celebration du divin service.

            Quant à l'entretien du sieur Curé, outre ce que le ministre possedoit en domaine dependant de la cure et trois cents florins de pension qui estoyent par nos fermiers payez audit ministre, nous avons bien voulu nous charger et incommoder de luy augmenter l'entretien de quarante francs sur nostre revenu ; qui fera une notable somme pour un homme d'eglise. Nous assurons que plusieurs curés n'en ont pas tant, et que la religion ne nous sauroit contraindre d'en donner davantage, d'autant que nous surpassons la portion congrue ; et sommes mary ne pouvoir donner telle pension que celle de Cessy, selon qu'il est porté par la vostre, d'autant qu'il nous est impossible, [386] parce que le revenu n'est pas semblable, pour ce que ledit prieuré de Dyvonne est chargé de la troisiesme partie du revenu de pension annuelle au resignataire, par authorité du Saint-Siege, outre les pensions annuelles qu'il nous faut payer trois cent vingt livres, pour l'argent emprunté pour le remboursement du prix auquel on a esté condamné par arrest à Paris. Vous assurons que la reunion du dit prieuré nous revient à plus de quatre mille ecus en frais, pour l'avoir retiré de la main des heretiques ; à quoy l'on doit avoir consideration, mesme les reparations qu'il convient y faire presentement, tellement que nous ne tirerons rien du revenu dudit prieuré durant cinq ou six ans, joint que l'on nous menace des decimes pour ceste annee. N'entendant pas que la dite pension de trois cents florins et augmentation de quarante livres par cy apres, soient payez par nous lorsque le revenu de la cure sera reuny, comme il estoit anciennement.

            Et d'autant que le droit de presentation de ladite cure nous appartient, desirant neantmoins nous conformer à vostre volonté, nous vous supplierons accepter la presentation que nous vous ferons du mesme qu'il vous a plu choisir ; ou, en tant que l'authorité vous ait esté donnee du Saint Siege pour la premiere fois, de choisir tel que bon vous semblera, et que cela soit, comme nous ont donné a entendre de vostre part nos confreres, nous vous supplions nous donner acte, tant pour celle de Dyvonne que pour celle de Cessy, que ce soit sans prejudice pour l'advenir. Si non, nous vous supplions ne pas trouver mauvais si nous maintenons nos privileges, que nous croyons que vous nous conserverez ; qui nous fera sur ce vous baiser tres humblement les mains, et prier Dieu de vous conserver et vous donner santé longue et heureuse vie, nous qui sommes,

            Monsieur,

Vos tres humbles serviteurs,

LES GRAND PRIEUR ET RELIGIEUX DE St CLAUDE.

            A Saint Claude, ce 20 may 1611.

 

            A Monsieur

Monsieur le Reverendissime Evesque de Geneve.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Paris, Bibliothèque nationale,

Galerie Mazarine, vitrine XXXII, n° 324.

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C. Lettre du Père Jean de Villars de la Compagnie de Jésus

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            Monseigneur,

 

            Vostre humilité, ma condition et mon humeur me defendent la flatterie et commandent la congratulation pour les biens que ma Mere, qui, de ses eaux salutaires, m'a engendré en vie eternelle, reçoit par vous. Il est vray, Monseigneur, je ne suis qu'un pecheur et le dernier de nostre Compaignie ; mais Dieu me donnoit des mouvemens si vifs d'asseurer madame de Chantal que le Ciel luy vouloit donner l'eau de la Samaritaine par le canal de vos levres, que si les Anges fussent venus troupes a troupes pour m'en dissuader, je ne crois pas qu'ilz l'eussent peu faire, parce que l'impression estoit du Roy des Anges.

            Et m'a semblé, depuis que vostre naissante Congregation est commencee, que je l'ay veüe comme une Hierusalem nouvellement descendante du Ciel. Oh ! que je me suis ecrié de bon cœur : Benite soit la premiere pierre de cet edifice ! Oh, qu'elle est polie ! C'est un marbre bien taillé, marbre blanc, que le cœur de cette digne vefve, dont j'ay autrefois tant honoré les vertus et dont je venere maintenant la sainteté. Il est blanc, ce cœur, par la pureté de ses intentions ; il est poli, par les diverses afflictions qui, en guise de coups de marteau, ont osté toutes les superfluités et l'ont jointe au point du lieu sacré ou elle devoit estre posee, et vostre ingenieuse main a gravé sur ce marbre poli, pour un monument eternel de gloire a Dieu, ces quatre belles paroles qui sont les devises de vostre cœur : VIVE JESUS ! VIVE MARIE ! Tout a Dieu, tout pour sa gloire !

            N'ay-je pas donc sujet de dire : Benite soit la pierre, beni soit l'ouvrier, et beni soit eternellement l'Architecte celeste qui, dans son idee eternelle, avoit fait le projet de cet edifice ? Il me semble, Monseigneur, que cette Congregation manquoit encor a l'Eglise, et que Dieu vous ait suscité en nos jours pour l'eriger. Certainement, [388] Nostre Seigneur a visité son peuple, et faut croire que la benediction de commencement s'estendra avec une amplification nombreuse : car, que manquoit il aux foibles, que cette mediocrité ? que falloit il aux vefves, que cette douceur ? que pouvoyent desirer les robustes et ferventes, que cette mortification ? Vous avez, mon tres cher et digne Seigneur, dressé un temple de Salomon en ce siecle, voyla les trois estages : que reste il a ces ames bienheureuses destinees a l'habitation d'iceluy. que d'entrer dans le Sancta Sanctorum de l'eternelle felicité ?

            Monseigneur, donnés moy quelque petite part aux prieres qui se feront dedans ce temple. Il me reste de recourir a vous pour cet effect, car je crois que madame de Chantal ne me refusera pas cette grace, puisqu'elle sçait mes besoins, et de plus, que je suis

Vostre tres humble, obeissant serviteur, fils, penitent,

JEAN DE VILLARS, Jesuite.

            De Dijon, ce 24 juillet 1611.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère

de la Visitation d'Annecy.

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D. Lettre de Madame de Saint-Cergues

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            Monseigneur,

 

            La reception de celle dont il vous a pleu m'honorer a apporté une telle joye et consolation en mon ame, qui me sembloit, la lisant, que je vous voioyt present. Je me condamnois neantmoins en ce que vostre bonté et courtoisie, joiend au soien quil vous plaist avoir de mon bien et salut, m'avoit prevenue, encore que la faute ne provenoit pas d'obliance ni moins de reconnoissance de mon devoir ; car il y a plus de huict jours que j'avois dressé une lettre pour vous l'envoyer à la premiere comodité. Mais d'autant qu'elle contenoit quelque avis plains (sic) de difficulté et facherie ou je me suis trouvé reduicte, il m'a semblé qui me seroist plus seant de m'en taire pour le present, remettant à nostre premiere veüe à le vous dire de bouche ; qui sera, comme j'oze esperer, bien tost, puis que nous approchons [389] de la feste qui vous donne subject de venir à Thonon. Je m'en rejouis infiniment, me promettant que ce ne sera sans avoir l'honneur de vous voir en passant, ou bien à vostre maison de Vieu.

            Cependant, je vous diray (Monseigneur) comme par la grace et support de mon Dieu je persevere en l'exercise ou il vous a pleu m'acheminer, qui apporte un grand repos à mon ame et contentement à mon esprit parmi les traverses et facheries qui faut supporter en ce monde. Je me raffreschis aussi la memoire tous les jours des bonnes et salutaires instructions qui vous a pleu me despartir, en la lecture des beaux livres que je tiens cherement de vous, Monseigneur, ou je trouve le remede à tous mes maux. Ne reste si non à me les sçavoir bien appliquer et en bien user.

            Le Seigneur m'en fasse la grace, sil luy plaist, et me doinct meriter de me nommer à tousjours, Monseigneur,

Vostre tres humble et obeissante fille, sœur et servante,

J. de CARTAL.

            De Lucinge, ce 29 juillet 1611.

 

Revu sur l'Autographe inédit, qui, en 1895, appartenait à Mme Doroz,

née d'Arcine, à Besançon.

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E. Lettre de D. Sens de Sainte-Catherine, Feuillant

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            Mon tres digne Pere et mon Pasteur bien aimé,

 

            Les petits chiens, [qui] aiment grandement leurs maistres et que leurs maistres aiment bien, ne laissent pas de les importuner [390] quelquefois de leurs griffes, mesme en leur tesmoignant qu'ils les aiment et en les caressant. Ainsi, Monseigneur, je vay, avec les griffes de ma plume, vous carresser comme mon cher maistre, et vous demander quelques unes des miettes qui tombent sous vostre table, lorsque vous rompé le pain de salut a vos cheres Filles.

            Mais, Monseigneur, vous ne [me] pardonnerié jamais si je vous racontois les louanges que l'on donne a ce Pere et a ses Filles. L'on dit que c'est la perfection de ce siecle ; et, vous laissant a part pour pardonner a vostre modestie et contenter vostre humilité, le bon Pere de Saint Malachie me disoit l'autre jour, qu'il consideroit devant madame de Chantal et la voioit en esprit comme un soleil, et chacune de ses filles estait un rayon pour esclairer ce siecle.

            Et moy, mon unique Seigneur, quand je considere vostre Congrégation devant Dieu, je la vois aussi haute en amour comme vous l'avez faite profonde en humilité, et j'espere que bientost la France, jalouse du bien de nos montagnes, voudra partager ce bonheur avec elles ; j'espere, dis je, que comme les plaines sont plus propres a s'estendre que les monts et vallees, que dés que vous auré fait quelques Maisons en nos quartiers, ce sera jetter madame de Chantal comme un grain dans ces plaines, qui raportera au centuple. Dieu me rende digne de voir nos terres ensemencees de cette bonne semence, et je prie Dieu de luy donner l'arrousoir d'en haut, par les benedictions, et l'arrousoir d'en bas, par les bons accueils que cette Congregation merite recevoir par tout, quand ce ne seroit qu'a la consideration de son Fondateur et de la Fondatrice, que j'honore sans difficulté, selon le conseil de l'Apostre, comme l'autel sacré de Dieu.

            Et apres vous avoir supplié en toute humilité, Monseigneur, de luy demander un Avé pour moy [et] a toutes ses Filles, je demeure

Vostre tres obeissant fils,

DOM SENS DE Ste CATHERINE, indigne Feuillant.

            De vostre Maison, ce 3e fevrier 1612.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy. [391]

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F. Lettre de M. Jean-Louis de Chevron, Seigneur de Bonvillard

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            Monsieur,

 

            Je vous prierey m'excuser si je vous importune de ces deux moctz pour vous prier representer, si vous voz (sic) treuvé en commodité, a messieurs de Chivron mes nepveuz, aux fins que, avec vostre assistance et du sieur de Villette nostre cousin, puissions faire noz partaiges sans aulcunes formallités de justice, ains par voye d'amytié, comme le debvoir nous oblige. J'ey par plusieurs foys prié lesdictz sieurs mes nepveuz de prendre une journee pour y resouldre en vostre presence, lesquelz ne si veullent entendre, ains desmeurent saysis de tout, a mon grand prejudice, veu les grandz charges et debtes qui sont deubz sus noz biens.

            Et sur ce, j'attendrey d'avoir de vous, nouvelles, en priant Dieu [392] qu'il vous aye en sa protection, et suis, appres vous avoir baisé tres humblement les mains, Monsieur,

Vostre bien humble et affectionné cousin et serviteur,

J. L. DE CHIVRON.

            A Bonvillard, ce 21e mars 1612.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation de Pignerol.

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G. Lettre de Mgr Michel d'Esne, Évêque de Tournai

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            Monseigneur,

 

            Le P. Irenée a eu raison de vous parler de l'affection que je vous porte, car dez la premiere veuë que j'eu de vostre Introduction, elle s'empara de mon ame et y va prennant racine si avant, que la seule mort la poura arracher. Vostre Introduction, certes, a esté si bien receüe par deça, que l'impression s'en est multipliée a l'esgal, sans doubte, du fruict qui en a reussi. Ha ! que ce vous est un heureux travail que de combatre et debatre contre les huguenots ! (travail qui infalliblement vous acquerrera une couronne de gloire et ça bas et au Ciel.)

            Nous ne sommes pas icy, par la grace de Dieu, oisifz, mais nous n'advançons pas tant que nous voudrions bien. Combien de fois ay je regretté la faulte de Geneve ! Pleust a mon Dieu que je fusse condamné a vous restablir en vostre siege ! Tout viel que je suis (aagé de 71 ans), je m'y achemineroy tres volontiers, deuse-je mourir (comme l'on dit) en la peine. J'ay maintes fois souhaitté que ceste hydre n'eust qu'une teste (comme faisoit Neron du peuple Romain), pour la luy trancher tout d'un coup.

            J'envoye a Vostre Seigneurie Reverendissime une de mes petites traductions, que je vous prie recevoir de pareille affection que je [393] la vous presente, priant Nostre Seigneur seconder voz bons desseings, vous asseurant que je demeureray toute ma vie,

            De Vostre Seigneurie Reverendissime,

Tres humble et tres affectionné confrere

et serviteur en Nostre Seigneur,

MICHEL, Evesque de Tornay.

            Je me recommande a voz prieres. [Mai 1612.]

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rme Evesque de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy.

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H. Lettre du Chevalier Claude de la Verchère

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            Monsieur,

 

            Il y a quelque temps que nous avez asseuré, monsieur de Gerlande et moy, par vostre reponce à celles que luy et moy vous avions escriptes, que me donneriez tout contentement pour le faict de mes biens de Crozet, pays de Gex, dans les limites de vostre evesché, desquels vous avez prins la possession sans qu'il vous appartienne ; car de tout temps, ça esté un membre despandant de ma commanderie, fors des la prinse dudit pays par les seigneurs de Berne, qu'il a esté occuppé par ceux de la religion, ainsi que je [394] vous ay fait entendre par mes lettres et comme le sieur Girod, mon fermier, l'a fait voir sur lieux aux curez de Gex et Farges, qu'aviez a ces fins deputez, tant par mes derniers terriers, que ceux qui sont faiz des cent et quattre vingts ans en ça, desquels il leur a baillé les coppies pour les vous fere tenir des le moys d'octobre dernier ; par ou il appert clairement, avec d'autres enseignements, que la chappelle de Crozet ne fust jamais cure ny parroisse, moings que lesdits biens en feussent depandants. De quoy, du despuis, je n'ay heu de vous aucune resolution, quoique mon fermier aye sollicité lesditz curez, nottamment ceux (sic) de Gex qui l'a entretenu a parolles jusques a Noel dernier, et remettant l'affaire sur vous, puis que vous avon envoyé lesdittes coppies et memoires. Tellement que, par le silence que m en a du despuis fait ledit Girod (auquel j'avois donné charge d'en suivre les poursuittes), a cause d'une maladie qui des lors l'a retenu au lit jusques a present, je croyois que luy en aviez relasché la possession.

            Mais je vois maintenant le contraire et que me detenez tousjours lesdits biens contre tous nos droits et privilleges ; car jamais les Evesques n'ont heu a cognoistre sur ceux qui depandent de nostre Ordre. De sorte que, comme il a pleu a Sa Majesté remettre les Catholiques en la possession de tous les biens ecclesiastiques dudit Gex et les choses au mesme estat qu'elles estoyent anciennement, afin que chacun jouy du sien paisiblement, je m'estois librement dispancé de luy accenser ceux dont il est question ; dequoy il me demande de grands dhommages et interests, faute de l'en faire jouir. C'est pourquoy je vous ay encor fait ceste, par laquelle je vous prie [395] mettre le tout en consideration ; apres quoy je m'asseure qu'aurez pour agreable a me relascher amiablement lesditz biens, ensemble les fruicts tant de la presente que derniere annee. Lhonneur et le respect que je vous porte me fait souhaiter de n'en venir par la voye que chacung recherche pour conserver le sien, que je seray contraint de suivre si, de vostre propre motif, vous ne vous rendez a la raison.

            Et quant a ce qui concerne le service que je doibs faire celebrer en laditte chappelle, je veux tousjours rendre mon debvoir et payer le prestre qui le voudra faire au jour de la fondation ; mais d'y entretenir ung, je ne le puis, tant pour en estre dispencé, que a cause des grandes charges que je paye a ma Religion, joinct que le revenu n'est suffizant pour l'y entretenir. L'asseurance donques que je prends que ne voudriez vous prevalloir de ce qui depand de nostre Ordre, ny le constituer en frais pour chose si juste, mais plustot qu'en desiriez l'accroissement, me fait croire que me donnerez tout contentement et que l'equité de vos proceddures ne refusera ce qu'avec justice nous pourroit avec toute raison facilement rendre.

            Cela m'obligera de tant plus a demeurer, comme je suis a jamais, …

             [Janvier 1613.]

 

            A Monsieur et Reverend Seigneur,

Monsieur de Salles, Evesque de Geneve.

            A Necy.

 

Revu sur la minute inédite, conservée à Lyon, Archives du Rhône,

Fonds Malte, H. 240, n° 29. [396]

 

II. Pièces diverses

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A. Saint François de Sales et Mgr Germonio

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            « Musteriensis diœcesis finibus appropinquanti, occurrit Franciscus Sales, Genevensium Antistes, elegantis ingenii homo, doctusque, ac pius divini verbi præco, simul et Anastasii studiosissimus, quod ejus opera, a Summo Pontifice Paulo Quinto plurima, eademque non vulgaria et sibi et canonicis suis utilia beneficia accepisset ; quem Anastasius ad se officii gratia venientem amanter, ac pro loci angustia honorifice habuit.

            « Is sumpto cibo, post multa benevolentiæ signa utrinque edita, Anastasium rogat, ut aliquando et cum opportunum duceret, Necium peteret ubi, inquit (amice Præsul), veri obsequii officiis quantum tibi debeo, aptius ostendam. — (In hoc Allobrogum oppido, domicilium habent Genevensium Episcopi, ex quo ab infelici civitate, post abnegatam catholicam fidem, in exilium projecti sunt.)

            « Necium se iturum promittit Anastasius, tum ut invitanti amico gratum faceret, tum ut Tarantasiensi Ecclesiæ subjectum cœnobium Sancto Christi Sepulchro nuncupatum inviseret, tum demum, ut decem et octo passuum millibus Necio distantem, Genevam ex itinere videret. »

 

Ex Anastasii Germonii Commentariis, Historiæ Patriæ Monumenta,

tom. XI, Scriptores, tom. IV (Taurini, 1863), p. 1016. [397]

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B. Lettre de M. Antoine des Hayes A M. de Charmoisy

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            Monsieur,

 

            Je suis tres aise du desseing que vous avez pris de faire nourrir vostre filz en ceste court, a quoy je vous pourray servir, puis que Dieu a voullu que nous feussions esloignez l'un de l'autre. J'en ay parlé a Madame la Princesse, quy est toute disposee de vous obliger en cela, mais je ne l'ay supplyee de rien, luy ayant seullement dict que je vous l'avoys conseillé et que vous y estiez resolu : sur quoy elle m'a dict qu'elle s'offroyt. L'on me faict croire que dans peu de jours la court sera a Montargis, ou je me prometz de donner bon commancement a l'affaire. Vous sçavez quil y a maintenant trois premiers gentilzhommes de la Chambre : monsieur le Grand, monsieur le Marquis d'Ancre, au lieu de monsieur de Bouillon, et monsieur de Souvray. Appres en avoir dict ung mot a Sa Majesté, comme l'on doibt, et dont je me prometz telle responce que vous sçauriez desirer, je menageray vers l'un des trois vostre contentement, et sy je ne suys assez fort, je manderay de vos amys.

            Madame de Guyse est allee en son Conté d'Eux, d'ou elle espere retourner dans ung mois et rapporter de quoy vous contenter. Je l'en ay suppliee a son partement, et monsieur du Demare aussy, auquel j'ay promis recognoissance, veoyant que l'affaire deppend de luy. Sy vous n'aviez esté nourry chez les Princes, je seroys bien enpesché a vous faire conprendre comme l'on sy gouverne et les incomoditez quilz reçoivent, faulte d'avoir pris garde a leurs affaires.

            Monsieur Rousselet vous escripra comme j'ay representé audit sieur du Demare que vous estiez pressé d'une petite partye deue a monsieur de Mezieres, affin que sil estoyt possible, elle feut acquitee contant au retour de ma dite dame. Je verray a son retour ce quil fera, m'ayant asseuré que ce sera sans plus de remise ; mais je vous conseille d'agreer que monsieur Rousselet et moy luy promettions ce que nous adviserons : c'est le plus court chemin.

            J'avois cy devant escript a Monseigneur de Genefve le desir que messieurs de St Benoist avoyent d'estre enseignez de luy le Karesme [398] prochain. Toutes les parroisses ont ceste mesme vollunté et plusieurs des principaulx d'icelles s'en sont addressez a moy. Mais ayant esté faict marguillier deppuis trois sepmaines et l'ayant accepté, voyant que tout d'une voix j'estois desiré, je suys dispensé d'escripre pour aultruy et obligé d'escripre pour S' Benoist, non seullement comme en ayant charge, mais encores pour la comodité de ceste petite maison ou j'espere que mondit Seigneur logera. Que sil acceptoyt une aultre chaise et que l'on luy donnast le logement ordinaire des predicateurs, cela ne seroyt convenable a sa qualité ; sy l'on luy en donnoyt ung plus grand, cela l'obligeroyt a quelque despence. Ceans, il sera logé chez son serviteur, hors de cerimonye ; je luy donneray ung carrosse pour visiter ces (sic) amis, je luy feray faire penitence et le dechargeray de tout soing. Il aura des auditeurs aultant que l'eglise en pourra tenir, quy est assez cappable. L'on estimera quil a plustost defferé a la supplication de son serviteur qu'a la priere des plus grandes et favorisees parroisses.

            Je luy en escriptz amplement, et luy envoye une lettre que Monsseigneur le Nunce residant en ceste ville, logé, comme vous sçavez, a l'hostel de Clugny, escript a Monsseigneur le Nunce de Thurin, auquel il mande que messieurs les parroissiens de St Benoist, bien memoratifz du fruict des predications que Monsseigneur de Genevefve (sic) a faict aultrefoys en leur parroisse, d'ou il est maintenant, l'ont pryé luy escripre pour supplier Son Altesse d'avoir agreable que l'on prye Monsseigneur, pour le bien de la relligion, de prendre ceste peinne, et luy donner congé d'accepter la supplication que l'on luy en fera. Vous pourrez fere donner la lettre par M. du Fresne, ou par quelqu'un quy en retirera responce. J'ay premierement pris ce chemin, a cause que je ne veoy une entiere intelligence de la Royne avec Son Altesse ; sy elle n'est suffisante, quand j'auray la parolle de Monssieur de Genefve j'en feray escripre Leurs Majestés et le Saint Pere, sil en estoyt besoing. Lors quil sera icy, il ce (sic) fera beaucoup de bonnes choses pour le bien de la relligion. C'est pourquoy je vous supplye vous employer a ce bon œuvre et m'en fere mander promptement responce, attandant laquelle je prye Dieu, Monsieur, quil vous conserve et garde.

Vostre plus humble serviteur,

A. DES HAYES.

            A Paris, ce 2e juing 1612.

 

            A Monsieur

Monsieur de Charmoisy, escuyer, Sr de Marclaz.

            En sa Maison, a Necy.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Adélaïde Vuÿ,

à Carouge (canton de Genève). [399]

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C. Les Grands Pardons d'Annecy

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1er septembre 1612

 

            Il y a sept ans que l'on joua et representa quelques histoires a Sainct Mauris, tellement qu'a modelle de ce, l'on a faict dressé des eschaffaultz pour representer quelques histoires, ayanct esté faictes quelques despenses        

            Et de plus, comme Monseigneur le Reverendissime, a certaine assemblee quil feit faire, feit appeller messieurs les Scindics ausquelz fut remonstré la grande affluence de peuple qui accourera icy au Jubilé qui ce (sic) celebrera vendredy prochain, dont par ce moyen les logis seront remplis, tellement quil sera besoin de rechercher quelques licts pour les plus notables, dans ceste ville, vers les plus riches d'icelle, et ce quy il fault pourvoir     

            Pour l'affluence des personnes qui arriveront en ceste ville pendant le prochain Jubilé, que en cas de necessité, l'on recherchera quelques licts vers les plus aisés, pour loger ceux que seront representés par mondict Seigneur le Reverendissime ; estant donné acte de la remonstrance faicte par messieurs les Scindics, de la volonté de monseigneur le Marquis de Lans continuant le faict de la garde. [400]

 

Jesus Christus, Filius Intemeratæ Virginis Mariæ

 

            Cy commence la solemnité du grand Jubilé concedé par Sa Saincteté, de sept en sept ans, a la tres devote Chappelle de la tres sacree et tres heureuse Vierge Marie, fondé (sic) en l'eglise collegiale de ladicte Vierge d'Annessy, ou reside (sic) les Reverends Seigneurs doyen, secretain (sacristain), chantre, chanoines et Chapitre d'icelle.

 

Du jeudy, sixiesme septembre mil six cens douze

 

            Comme il plaict a Dieu de donner a chascun la commodité de son sauvement, il luy a pleu d'inspirer le tres sainct Siege Apostolique, plus de 200 ans, d'honnorer la Chappelle fondé (sic) en ceste cité d'Annessy, estant en l'eglise dressee soubz son nom, ou resident les Reverends Seigneurs doyen, secretain, chantre, chanoines, prebstres d'honneur de ladicte eglise, de plusieurs privileges et indulgences ; et entre aultre d'ung Jubilé de sept en sept ans, lequel a esté continuellement, par le clergé, habitans de la dite cité, circonvoisins et estrangers, tres devotement celebré, ainsy que les livres et registres des archives de l'Hostel de ville ont delaissé par escript et enseigné.

            Et partant, ce jourdhuy, affin que chascun se contint a son debvoir quant au peuple, suivant l'ordonnance de noble et spectable sieur Jean Flocard, docteur es droitz, noble Jean Crochet, noble Guilliaume Meclard, honnoré de ce tiltre de procureur au Siege presidiai du Conseil du duché de Genevois, et noble François Marvin, scindics et consulz de la cité d'Annessy, et des seigneurs leurs Conseillers : messire Janus de Sales, chevallier de la saincte Religion de Sainct Jean de Jerusalem, residant pour maintenant a Malte, lieutenant de noble sieur Louys de Sales son frere, seigneur dudict lieu de Sales et de Thorens, a deux heures apres midy, auroit faict assembler partie des enfans et habitans de la ville, au son de 4 tambours, accompagnés du fiffre ; qui, assemblés a la place du College, les a faict marcher comme cy apres :

            Premierement, tout a la teste marchoit le tambour majour, tenant son baston rouge ; puis le gojat (goujat) dudict sieur lieutenant, portant la cuirasse et toulache (bouclier) d'icelle, et en la teste le casque, le tout gravé et doré. Apres luy, suivoit le susdict sieur lieutenant, habillé de riches vestements, portant l'aulse col aussi doré et gravé, et ung sergentin portant la houppe tissee de seye verte, meslee a fil d'or, et au bout de chasque cordon, des bouttons de mesme estoffe, le manche toutesfois de brisit (bisette ?). Les 4 capitaines des quatre penons de la ville sui voient ledict sieur lieutenant, portant chascun une [401] partisanne (pertuisane) doree, et couverts les manches de velours, deuement garnis de clouz dorés.

            Quatre rangs d'allebardiers, bien armés de cuirasses la pluspart ; cinq arquebusiers tenant place de caporaulx ; deux rengs de muscataires, et suivoient le tambour sonnant a l'accoustumee, j rangs d'aultres muscataires ; et les arquebusiers, de rang a rang et a cinq par rang, suyvoient aussy deux tambours. Le garçon de l'enseigne, portant une partisanne doree couverte de velours verd, garnie aussy de clous dorés, sans aulcune enseigne, pour les causes cy apres. Puis, trois rendz (rangs) d'allebardiers, six aultres d'arquebusiers, finalement six aultres rengs de picqueurs. Et ladicte compagnie finie par trois sargens, de quatre [qu'ils étaient,] d'aultant que le quatriesme estoit employé, par commandement du sieur scindic Marvin, sargent manent, a mettre en reng la compagnie.

            Et en tel ordre sont sortis par la porte du grand verger dudict College, proche de la grande porte du Pasquier Messieres. Et arrivés au devant de l'Hostel de ville, seroit monté noble Monet Falcaz, capitaine enseigne de la ville ; auquel Hostel de ville les susdicts sieurs Scindics estoient assemblés, avec leurs Conseillers, cy devant nommez en l'assemblee de ce jourd'huy : ou estant, leur auroit demandé le drappeau neuf, plyé dans une grande baucine d'argent, affin d'estre benict. Lequel drappeau, ledict sieur Falcaz l'auroit reçu, gettant les genoux en terre, des mains du sieur premier Scindic ; et apres les remerciations ordinaires, ledict sieur Falcaz seroit descendu portant a deux mains ladicte baucine et le drappeau neuf dans icelle, et auroit trouvé la compagnie qui avoit faict alte jusques a sa venue, et se meit a son rang : estans a ladicte compagnie davantage de 200, sans ledict chief et officiers.

            Et prenant le chemin du Pont de la Hasle, sont arrivés au cimistiere de Sainct Maurice et ont environné ledict cimistiere. Ledict sieur Falcaz seroit entré dans ladicte eglise, et arrivé au marchepied du grand autel, ou il trouva Illustre et Reverendissime Seigneur FRANÇOIS DE SALES, Esvesque et Prince de Geneve, revestu d'une estolle et la miltre en teste, auroit presente ledict drappeau (est ans messieurs les Scindics, accompagnés de plusieurs Conseillers et de secretaires, dans leurs sieges) : lequel drappeau auroit benist, usant de plusieurs sainctes et belles ceremonies ; puis, mise (sic) a son baston, mondict Seigneur l'auroit eslevé un peu hault par la poignee, et despuis remis audict sieur Falcaz qui, retournant a sa trouppe qui faisoit aussi alte, a continué son chemin par devant Saincte Croix, ou soit la porte Genotton ; et se rendant devant l'Hostel de ville, auroit arborisé aux fenestres ledict drappeau, ou il a demeuré jusques au lundy apres, dixieme de ce moys. [402]

            Cependant, le pennon de la Procure estoit prest pour entrer en garde avec l'enseigne desployee, ce quil fet ; et puis se feit la predication a Sainct François, par le Pere François, Capucin. Estant a noter que pendant que la trouppe passoit par devant la Porte Genotton, le penon d'icelle s'estoit mis en tout debvoir, s'estant assemblé avec l'enseigne deployee, portee par lé fils ayné de Mr Jean Gabriel Compte ; qui neanmoins a esté aulcunement altein en sa charge par Me Jean Greyfié, procureur au Conseil de Genevoys, et par Me Claude et François Greyfié ses freres, qui se sont mis en debvoir de luy arracher ladicte enseigne : s'estant tous les pennons esmeus tellement, que les ungs ont levé les armes contre les aultres, estant le tout reucy, par la grace de Dieu, que nul n'a esté offencé.

            La predication achevee, l'on a sonné la procession a l'eglise de Sainct François, ou reside le tres venerable Chapitre de l'eglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve, ou touttes les eglises se sont assemblees avec les croix, sauf celle de Nostre Dame. Et peu apres sont parties en procession, chascune en son ordre, sçavoir :

            Les devots Capucins premier ; puis la croix de Sainct François et de Saincte Clare joinctes ensemble, avec les Peres de Sainct François qui les environnoient. Troisiesmement, la croix des devots Orateurs de Sainct Dominique, et apres eulx, les Reverends Chanoines reguliers du prieuré du Sainct Sepulcre. Finalement, les Reverends sieurs Prevost et Chanoines de Sainct Pierre, avec leurs serviteurs, tous revestus de leur habit viollet, le rocquet au dessoubz ; les enfans de cœur (chœur) habillés de tuniques de damas incarnat. Et puis, Illustre et Reverendissime Seigneur FRANÇOIS DE SALES, Evesque et Prince de Geneve, revestu d'une chappe de drap d'or, assisté de deux sieurs chanoines revestus de tuniques de satin rouge, et ung prestre qui portoit au devant la croce, revestu de une chappe de damas roge (sic), estant pres des deux chantres portant des chappes de satin rouge et des miltres de damas a leurs testes et tenant leurs bastons d'argent en main ; et dernier (derrière) mondict Seigneur, autre prestre revestu d'une chappe de damas rouge pour porter sa miltre.

            Et estant entonné l'hymne Veni Creator Spiritus, la procession a commencé, au rang que dessus, a marcher, mise neanmoins en reng par le Me des Ceremonies de Mrs de Sainct Pierre, qui portoit un beau baston d'argent et marchoit en teste de la croix de Sainct Pierre. Puis suivoit un enfant de cœur portant un cros (gros) benistier d'argent, deux aultres portans chascun un chandellier d'argent, la grand croix de Sainct Pierre [portée] par un prestre revestu d'une tunique de damas roge ; et apres les serviteurs et musiciens habillés de leurs surplis, nos Seigneurs les chanoines, chascun par ordre ; enfin les deux chantres que dessus, puis celluy de la croce, et [403] Monseigneur avec ses assistans, a costé le porte miltre. Et sont partis de ladicte eglise de Sainct François en tel ordre.

            Puis suyvoient quatre petits enfans portans chascun une tocque armizee des armes de la ville, devant et dernier, portant chascun une torche cire blanche qui n'estoit allumee ; estans suivis du secretaire de la ville tout seul, puis de messieurs les Scindics portans leurs bastons de scindicat en main, le premier revestu de sa robbe d'audience, ayant les parementz devant et des manches de velours, avec sa cornette. Et apres eulx, trois huissiers avec leurs baguettes d'argent, vestus de leurs longues robbes ; puis nos seigneurs du Conseil, de la Chambre, juge mage, advocat et procureurs fiscaulx, noblesse, advocats, procureurs et le reste du peuple.

            Ayant icelle procession prins son chemin pardessus le Pont Morens pour aller vers celuy de la Hasle, passant pardevant Sainct Dominique. Et ladicte procession arrivee sur le Pont de Nostre Dame (tout ledict Pont, et fort bien loing, bordé de soldats, comme aussy celuy de la Hasle, du pennon de la Procure, l'enseigne desployee, et au devant l'Hostel de ville le drappeau neuf et tantost benist porté par ledict sieur Falcaz), s'est trouvé a costé du bout du Pont, pres la petite maison de Me Jean Baptiste Garbillon, la croix de la venerable eglise de Nostre Dame, avec les Reverends sieurs François de Lornay, doyen, revestu d'une chappe de drap d'or frizé ; le porte croix revestu d'une tunique drap d'or parsemé quelque peu de soye viollette, et precedoit le maistre bedeau avec son baston d'argent de ladicte eglise ; puis deux enfans de cœur (chœur) revestus de tuniques de diverses couleurs, ainsy'que les aultres enfans d'icelle eglise, portans deux chandelliers d'argent. En devant le dict sieur Doyen marchoit un seigneur chanoine, revestu d'une tunique de pareil estoffe que la chappe dudict sieur Doyen, portant ung grand turibule ou encensoir d'argent ; puis les serviteurs de ladicte eglise, faisant la musique. En apres, les prestres d'honneur et les sieurs chanoines, portant leurs aumusses aux bras, et finallement deux chantres portans deux beaux et grands bastons d'argent neuf, ayant de grosses pommes d'argent a la cyme, revestus de chappes d'or tres riches : qui tous, apres avoir salué le clergé, se sont mis audevant la croix de Sainct Pierre avec celle de Sainct Maurice, puis ont commencé a chanter en musique, a leur tour, le reste du Te Deum, etc., avec Messieurs de Sainct Pierre. En tel ordre sont entrés dans l'eglise de Nostre Dame, qui estoit paree tres richement, ainsy que sera declairé cy apres. [404]

 

Description du parement de l'Eglise de Nostre Dame

 

            Premierement, a la premiere porte de l'entree de ladicte eglise, sçavoir celle qui est plus proche de la chappelle de Nostre Dame, au dessus de l'arcade reposoit l'image de la tres sacree Vierge Marie en bosse, et au dessoubz d'icelle estoit escript ce distique en grosse lettre jaune, estant ung anagramme faisant les premieres lettres des motz MARIA VIRGO :

MATERNO

AFFLICTOS,

REGINA,

INTELLIGE

AMORE.

 

VERTITUR

IRATUS

REX

GENITRICIS

OPE.

 

            Le susdict distique entouré de lierre et de buis, qui estoit soustenu de quatre belles colonnes aussi de buys et de lierre, environnees d'ung papier feullaige de roze, avec l'arcade de ladicte porte de mesme parure, et a chasque costé ung cherubin. Dont lesdictes 4 colonnes estoient posees deux de chasque costé, soustenues par un lyon du costé de la chappelle, et d'ung chien de l'autre ; et entre les deux colonnes estoit une colonne de papier, deuement eslaboree de beaux feullaiges. Par laquelle porte la procession n'entra point, ains par celle cy apres.

 

Description de l'autre porte de l'entree de l'Eglise de Nostre Dame et par laquelle la procession est entree

 

            Au dessoubz du couvert de ladicte porte, pres les degrez de l'Hostel de ville, par ou la procession fait son entree, estoit une Annonciade tres riche, et au dessoubz, aultre distique parlant a ceulx qui desiroient d'entrer :

 

            Crimen ad hoc fugias si vis attingere limen, nam sine sorde coli Virgo beata cupit ;

 

estant environné aussy de lierre et de buys, comme aussy l'arcade de ladicte porte garnie d'aultres deux chrrubins comme la precedente ; et de chasque costé, de deux colonnes de buys soustenans le susdict [405] distique ; et entre deux de ses (sic) deux colonnes, de chasque costé, estoit mise une colonne piatte diversement eslaboree, [semblable] a celle de l'aultre portai.

 

            Puis la procession a continué a marcher, sçavoir : les Peres Capucins et tout le reste du clergé, sauf Messieurs de Nostre Dame et de Sainct Pierre, contre l'hostel (autel) de Nostre Dame, au devant la trille de fer duquel s'estant reposés, Monseigneur le Reverendissime seroit allé prendre le tres sainct et tres auguste Sacrement, qui a esté remis par ledict sieur Doyen, qui continuellement, despuis l'arrivee a ladicte eglise, luy a assisté avec les aultres assistans que dessus. Et apres que mondict Seigneur a heu en main le tres sainct Corps de Jesus Christ, les deux chantres de Nostre Dame ont commencé Pange lingua, qui a esté chanté en musique par le cœur (chœur) de ladicte eglise, et celluy de Messieurs de Sainct Pierre chante le second verset dudict hymne ; et ainsy successivement les ung (sic) apres les aultres, jusque a la fin d'icelle. Et arrivé mondict Seigneur aupres des degrés du jubé, ou estoit paré l'oratoire pour reposer Jesus Christ, a esté conduict par ledict sieur Doyen, avec les deux assistans, audict oratoire richement paré, ou il a reposé le Sainct Sacrement ; et cependant, les deux cœurs des deux eglises chantoient en musique divers mottetz a la louange de nostre Dieu.

            Mais avant que descripre le reste, fault revenir au portai dressé devant le treillis de fer de la chappelle de Nostre Dame.

 

Description du portail dressé devant la trille de fer de la chappelle de Nostre Dame avec la parure de l'autel d'icelle

 

            Oultre que ladicte chappelle, comme aussy tout le reste, estoit richement tapissee, sans seulement veoir cuing (coin), tant petit quil fut, qui ne fut couvert de tapisserie, et des plus belles, l'autel de ladicte chappelle estoit bien et devotement paré.

            Au devant des personnages qui sont audict autel en bosse, estoit ung drap d'or qui leur arrivoit ung peu plus hault de la ceinture ; le sainct siboire (tabernacle) revestu d'ung pavillon de toille d'argent, garny de ses escallins esclattans.

            A l'entree de ladicte chappelle, estoit dressé ung portai de bois, enrichy de deux colonnes plattes de bois a chapiteau, avec la corniche tres riche au dessus ; le tout despeint merveilleusement. Dont, au dessus de chascune colonne estoit posé un pommeau doré. Au dessus de la corniche, qui estoit faicte a jour, estoit ung Jesus a bosse, revestu d'une chemise de toyle d'argent ; au bas, a l'endroict [406] de ses piedz, ung pommeau, et deux aultres a chasque costé, et au bas d'icelle corniche, sçavoir entre les consoles dorees et argentees estoit escript ce distique en lettre d'or :

 

Virginis Anneciam venias si purus ad Ædem acta remittentur cuncta nefanda tibi.

 

 

Description de l'oratoire dressé au jubé, sçavoir pres le crucifix

 

            L'oratoire estant dressé au jubé de ladicte eglise pres du sainct Crucifix, en lieu fort eminent, dressé d'une merveilleuse façon, sans que ledict Crucifix fut veu ; fort bien, de la Vierge et de sainct Jean, la teste seulement et les mains, qui sembloient adorer le tres auguste Sacrement. Et estoit dressé ung autel, auquel pour y arriver, falloit monter six degrés, ausquelz ne paroissoit aultre que de feullaiges dorés et argentés, enrichis de diverses couleurs ; et a chasque bout desdicts degrés, ung cherubin ; et au marchepied de l'aultel, de chasque costé, deux vases grands de mayolica (faïence) blanche, remplis de diverses fleurs, notamment de passefleurs de Rome, qui sont jaunes. Et estoit ledict autel bien hault eslevé, paré au devant d'ung parement de satin rouge cramoisy, parsemé de larmes d'or en broderie ; et au milieu dudict parement, ung soleil aussy en broderie, ou estoit brodé ung Agneau. Et sur l'autel reposoit le tres sainct et tres adorable Sacrement dans ung siboire doré ; deux grands anges dorés, mis l'ung d'ung costé et l'aultre a l'aultre, tenans chascun ung brandon et au dessus ung cierge cire blanche allumé, et dernier (derrière) ledict siboire estoient trois escallins richement elaborés ; et tout dernier, sçavoir pres le Crucifix, ung parement de damas rouge parsemé d'estoilles d'or, et tout autour dudict oratoire, des tappisseries de peau doree, neufves. Le fons qui estoit pres de la voulte estoit bleu, parsemé d'estoilles, avec ung aultre parement de satin bleu estoillé, et au milieu, ung JESUS a façon de soleil.

            Tout au devant et a l'aspect du peuple, y avoit trois arcades a façon de portes : celle du milieu fort grande, les autres deux, petites. A l'une des dictes petites, sçavoir a celle du costé du clochier, estoit dressé l'effigie de Moïse en grande statue, tenant les tables de la Loy es mains ; icelle arcade bouché (sic) d'une tapisserie de peau doré. Et a l'aultre estoit l'effigie du grand Prebstre Aaron, revestu de ses habitz sacerdotaux, portant le turibule ou encensoir es mains ; serree au dernier (par derrière), de pareille tapisserie que l'aultre. Et la grande du milieu, toute ouverte, richement paree.

            Et entre la grande et les petites arcades estoient deux portes ouvertes, et au dessus ung fons despict (peint) ; chacune porte soustenue [407] avec lesdictes arcades, de quatre grandes colonnes argentees, a façon de chappiteau et a canaulx creux et de relief, et deux autres grandes plattes richement travaillees, ausquelles estoient le soleil et la lune en deux verres rond (sic), et aultres verres en triangle, et les aultres en long, qui rendoient une grande clarté. Sur lesquelles plattes colonnes estoient deux cherubins revestus d'une robbe drap d'or, et sur deux colonnes d'argent, aultres deux cherubins revestus de robbes toille d'or et de soye viollette ; et sur lesdictes aultres deux colonnes d'argent, estoient deux grandes fleurs de cartons couleurs, et au dessus desdictes arcades et portes estoit parsemé d'etoilles qui rendoient grande clarté. Et tout au dessus, une cornice grande, despeinte richement, ou estoit escript le distique :

 

Ecce Sacramentum cœloque soloque colendum ;

Ecce viatorum spes, via, vita, salus.

 

            Et a l'arcade de Moïse estoient escriptz ces mots :

 

Lex per Moysen data est, et gratia per Christum.

 

            A la porte proche de ladicte arcade de Moïse, dont le dessus estoit faict en fons despict (peint), et au milieu d'icelluy le tres sainct nom de JESUS en grosses lettres d'or, et au dessoubz de ce tres venerable Nom estoient escriptz ces mots aussy en grosse lettre :

 

Ecce Panis Angelorum.

 

            Au tour de la grande arcade, qui estoit au devant le tres auguste et tres sainct Sacrement, estoient couchés ces mots, aussy en grosse lettre :

 

Factus cibus viatorum.

Vere Panis Angelorum.

 

            A l'aultre porte ouverte, estant de l'aultre costé pres celle ou estoit Aaron, garnie de son fons despict, et au milieu, ce tres sainct nom, MARIA, au milieu d'ung soleil ; estoient escriptz au dessoubz ces mots :

 

Non mittendus canibus.

 

            Finalement, a la porte faicte en arcade, ou estoit Aaron portant l'encens a ses mains, comme dict est, estoient escriptz a l'entour de ladicte arcade ces motz, parlant au Sainct Sacrement :

 

Tu es Sacerdos secundum ordinem Melchicedec (sic).

 

            Et tout au dessus de la grande corniche, sept vertus en grande forme, touteffois a piatte figure : dont la premiere estoit Justice, puis la suivante Prudence, Charité, et droict au milieu Foy, portant le tres sainct Sacrement sur calice ; et apres elle, Esperance, Force et [408] Temperarle. Et deça et dele desdictes vertus, deux soleils : l'ung, ce mot au milieu, JESUS, et a l'aultre, MARIA, et entre deux desdictes vertus, des grands rameaux de laurier. Puis au dessoubz desdictes arcades, ou soit desdictes colonnes et pillastres, estoit ung tres riche tour de lict, travaillé sur gaze de diverses couleurs de soye, sans franges, qui estoit si long quil arrivoit d'ung but (bout) a l'aultre ; et au milieu, ung tres beau Agnus Dei, et au dessoubz, douze Apostres. Dont au milieu estoit l'image de la tres sacree Vierge Marie tenant son Enfant aux bras, en broderie d'or sur sattin blanc, et a costé, ung tableau de l'effigie de Nostre Seigneur, de la face seulement, et de l'aultre costé, aultre tableau d'ung Crucifix a broderie d'or. Et au dessoubz desdicts Apostres, 4 pantes de courtines de satin blanc, garnies de leurs franges de soye blanche et fil d'or, ou estoit escript en grosses lettres d'or :

 

            Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui.

 

            Et les aultres trois arcades tout au dessoubz, estoient parees richement d'ung estoffe rouge semé de petites croix blanches de sainct Mauris, et aux 4 pilliers estoient mis quatre pillastres enrichies (sic) de diverses couleurs, avec des rosettes de papier dourees, argentees et coulouriees. Et au tour de l'arcade du costé du clochier estoit escript :

 

Quæ est ista quæ processit sicut aurora consurgens ?

 

Sur celle du milieu :

 

Mulier amicta sole, et luna sub pedibus ejus.

 

Et au tour de la troisiesme arcade estoit escript :

 

Et duodecim stellarum erat coronata.

 

            Puis a costé de celle du milieu, deça et dela au dessus d'icelle, sçavoir aux deux sieges qui sont de pierre, deux anges revestus de rouge, les ailes dorees, tenans chascun ung chandellier d'argent ou estoient deux cierges de cyre blanche. Au milieu de l'arcade du milieu, pendoient les armes d'heureuse memoire Pape Clement, qui jadis s'appelloit Robertus de Gebennis ; au milieu de l'arcade pres le clochier, pendoient les armes d'Illustrissime et Reverendissime Monseigneur Cardinal de Savoye, et au milieu de l'aultre et troisieme arcade, celles de Son Altesse et de Monseigneur. Et sur le pillastre pres du clochier ont esté mises les armes du venerable Chapitre de Nostre Dame ; a l'aultre apres, celles d'Illustre et Reverendissime Seigneur François de Sales, Evesque et Prince de Geneve ; sur le [409] troisieme, celles de monseigneur Sigismond d'Est, marquis de Lans, lieutenant general pour Son Altesse deça les montz, et sur le quatriesme pillastre estant pres la chappelle de Sainct Laurens, les armes de la ville. Chascune desdites armoiries entorees d'ung chappeau de triomphe, avec des rouleaux de bandes de papiers couleuriés. Ayant esté le susdict oratoire parsemé en divers lieux de petitz cherubins, et estoit paré l'autel de Saincte Barbe fort richement, auquel l'on communyoit, et le reste de l'eglise estoit richement tapissé.

 

            Et le tres sainct Sacrement mis au susdict oratoire, mondict Seigneur le Reverendissime est descendu, puis la procession avec tout le clergé a commencé a partir par la porte de la grand allee ; et messieurs les Scindics sont demeurés dans Nostre Dame, sans avoir suivy et accompagné ladite procession. Et comme toutes les croix sont sorties de l'eglise, Messieurs de Nostre Dame sont pareillement sortis par le premier portai, avec leur croix et au mesme ordre que cy devant, et ont attendu aupres du Pont ladite procession qui passoit, saluans tout le clergé a mesure quil passoit, notamment Monseigneur le Reverendissime. Et arrivés au cuing Gouard, les Peres de Sainct Dominique, apres une profonde salutation, se sont retirés, et les aultres croix aussi, soudain qu'elles sont arrivees au commencement du Pont Morens, estant demeuré, avec la croix de Messieurs de Sainct Pierre, seulement celle de Sainct François. Puis arrivés a l'eglise de Sainct François, chascun s'est retiré, estant environ l'heure de sept apres midy. Et toute la nuyct l'eglise de Nostre Dame a esté ouverte et plaine de peuple, et sur les autelz, de chandelles pour esclairer les penitens et ceulx qui y abordoient.

 

Du vendredy, septiesme septembre, jour et feste de sainct Gras

 

            Encores que la nuict precedente l'eglise fut toute remplie de peuple advenue (sic) a la devotion, tant pour avoir plus de commodité de se confesser que pour adorer le tres sainct Sacrement, n'a resté pourtant que la musique, mays [a] faict sa function avec les orgues, violles, lutz, espinettes et aultres instrumens musicaulx.

            Estant a noter que le jour d'hui, tandis que Monseigneur le Reverendissime estoit dans l'eglise de Nostre Dame, nonobstant que l'enseigne de la ville fut arborisee aux fenestres de l'Hostel de ville, ne laissat (sic) pourtant d'arriver le pennon de la Porte de la Perriere, avec l'enseigne desployee dudict cartier, [et ledit] pennon de se geter en garde soubz la conduicte de noble Pierre Marvin, capitaine [410] dudict cartier. Et portoit l'enseigne monsieur Jean Rogex, estant sergent honnorable Pierre des Roches, dict des Terres ; et estoient en soldatz bien armés, davantaige de 200, sans les officiers, qui ont faict ung corps de garde devant l'Hostel de ville, oultre les quatre des quatre grandes portes.

            Puis arrivee la minuyct, l'on a commencé de sonner les cloches grosses et petites, par ce que a la dite heure commençoit le Jubilé, et aux quatre heures semblablement. Et aux cinq heures ont esté commencees les Matines par monsieur le doyen François de Lornay, avec le reste de l'Office de tout ce jour la, estant tousjours l'eglise remplie de peuple qui tachoit de se confesser ; dont, pour le peu de confesseurs, plusieurs s'en sont allés confesser et communier a leurs parroisses, d'aultant que mondict Seigneur le Reverendissime, par ordonnance quil feit attacher aux portes des eglises, n'en commit la charge des confesseurs sinon a quatre sieurs chanoines de Sainct Pierre et a trois sieurs chanoines de Nostre Dame qui ne pouvoient souffire ; estans lesdits quatre de Sainct Pierre : Reverends seigneurs Estienne de la Combe, Claude Grandis, Philibert Rogex et Janus des Oches ; et les aultres, Jean Loys Jacques, Thomas Peyssard et Roux des Oches.

            Et es aultres actions de musique, estoient meslees les trompettes, qui estoient en nombre de sept ; n'estant a oublier que soudain que le Jubilé fut ouvert, le chasteau ne manqua a rendre son debvoir et de tirer des pieces de canons a la louange de nostre Createur, jusques a 40 coups. Estant si plain l'autel de la Communion, et la devotion des penitens [si grande,] qu'apres avoir esté repeus de ce tant sacré Sacrement, ils s'en alloient par les autelz baiser les linges par humilité. Ayant messieurs du Conseil de la Chambre et messieurs les Scindics assisté a tous les Offices, sauf a Matines, accompagnés de grand noblesse, respondues a divers cueurs (chœurs) de musique, tantost aux orgues et ores aux violles, lutz et trompettes.

            Puis environ une heure, l'on a celebré Vespres, et apres, la predication par le Pere Capucin cy devant ; et enfin, joyé (joué) une partie de l'histoire de la vie de Joseph, vers Sainct Mauris, sur ung theatre basti aux despens de la ville, et qui a duré deux heures et demye. Et [après] disné, les escholliers ont faict monstre pour donner a entendre quilz avoient a jouer une histoire le lundy prochain.

            Et a esté continué la mesme devotion le jour de Nostre Dame, auquel ledict sieur Doyen a faict l'Office, saufz a la grand Messe, qui a esté celebré (sic) par Monseigneur le Reverendissime au grand autel, et a l'apres disné il a faict un tres rare sermon. Puis apres Vespres, joué et representé le reste de l'histoire de Joseph.

            Ce qui a esté obmis, c'est que le cartier de Bœuf est entré en garde, [411] son enseigne desployee, portee par messire Humbert Falquet, conduict par noble Jean Jacques Demoliet, capitaine, et honnorable Petremand Jacquet, sergent, estans environ 250 ; dont arrivans devant l'Hostel de ville, a la salve qui a esté faict, a esté percer (sic) le drappeau d'ung coup de basle, et le cartier de la Perriere s'est retiré.

            Le Dimanche continuant le divin service, et la splendeur et la devotion s'augmentant, a esté continué la fin de l'histoire de Joseph que fut commencer (sic) hier seulement (n'ayant esté commencé le vendredy, comme cy dessus est dict, ains hier seulement). Et mondict Seigneur prescha a la coustumee, sçavoir apres Vespres ; puis, environ les six heures du soir, la procession assemblee a Sainct Pierre et partant dudict lieu, seroit venue droict par dessoubz [la] rue, puis entree a Nostre Dame, chantans. Et tous les cœurs des eglises assemblés en pareil ordre que celle cy devant, Monseigneur a prins le tres sainct Sacrement, puis marchand au mesme reng qu'a l'ouverture du Jubilé, la procession est partie par la grand allee de Nostre Dame, qui est allé (sic) vers le pré Chapuis, au coing Gouard ; et puis revinrent a l'eglise, ou Monseigneur a remis le Sainct Sacrement au siboire de l'autel de Nostre Dame, et l'Ave Maria sonnee, la procession s'est retiree.

            Et le lundy, les escholliers ont representé en vers latins la Vie de sainct Placide, surnommé sainct Heustache ; puis apres, au lieu d'une farce, ont esté sonné les pris aux ascendants aux classes.

            Voila la fin du sainct Jubilé celebré a lhonneur de nostre Redempteur, auquel et a la tres sacree Vierge sa Mere soit louange, honneur et gloire. Ainsi soit il.

VASSAL.

 

Archives de la Mairie d'Annecy, Délib. municip., vol. 33. [412]

_____

 

 

D. Lettre de M. Louis de la Tournette a M. Crotti

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            Monsieur,

……………………………………………………………………………………………………..

            Je donne a S. A. S. quelques nouvelles que j'ay entendu des nostre retour de Bade, là où nous avons esté et n'avons rien faict, encoures que nous avons esté trois Ambassadeurs, si non despendre beaucoup d'argent. A la verité, s'il m'est permis de parler avec vous sans offenser personne, je ne sçay qui peut avoir conseillé S. A. S. de mander deux Ambassadeurs extraordinaires avec moy, pour demander une simple responce sur les poursuittes et propositions que j'ay desja faict cy devant a sept ou huict assemblees et dietes, suivant les commandements de S. A. S. Pour moy, j'estime sçavoir cette negociation mieux que mon Pater ; s'il eut pleu a S. A. Sme de me laisser suivre mes dessins, possible luy aurois-je apporté quelque contentement. Vous sçavez, quand l'on est tant de gens ensemble, chacun veut croire son opinion. Vous priant d'asseurer S. A. S. sur ma parolle, que je suis autant praticque des affaires de Suisse, autant aymé et cognu, que tel qui a demeuré en ce pais les cinq et six ans, au rapport que le seigneur Auditteur Valdengue en fera, s'il veut dire la verité. Je suis bien asseuré qu'il y a deux personnages parmi le monde qui voudroient bien que je fusse ailleurs qu'en ce pais : je m'expliqueray un jour avec vous plus amplement.

            Je ne veux point contrevenir, ny moins y pencer, au commandement de S. A. S. ; mais on a bien esté esbey de voir venir trois Ambassadeurs a la Diete generale, pour demander a Messieurs de Berne ouy ou non. Si ce feut esté pour une conference, ou bien une [413] assemblee pour disputer les droits de S. A. S., cela estoit bien, car trois sçavent plus que non pas un. Je me remettray de cela et de toutte chose en ce monde aus commandemens que m'en fera tous-jours S. A. S. mon Seigneur.

……………………………………………………………………………………………………..

            Je suis a jamais, appres vous avoir baisé humblement les mains,

            Monsieur,

Vostre plus humble et plus affectionné serviteur,

DE LA TORNETTE.

            De Lucerne, ce 3 novembre 1612.

 

Revu sur une copie de l'Autographe inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat, Svizzera, Lettere Ministri, Mazzo 5. [414]




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